Roman Abramovitch, oligarque russe et premier des milliardaires du football
PORTRAIT
Roman Abramovitch soulève le trophée de la Ligue des champions après la victoire de Chelsea en finale face au Bayern Munich en 2012.
Le milliardaire russe Roman Abramovitch a annoncé mercredi, au septième jour de l'attaque russe, mettre en vente son club de Chelsea, qu'il avait acquis en 2003, en raison de l'invasion en Ukraine. Réputé proche de Poutine, il aura lancé la mode des fortunes investissant dans des clubs européens.
C'est la fin d'une histoire d'amour de presque vingt ans. Roman Abramovitch a annoncé mercredi 2 mars qu'il allait vendre le club anglais de Chelsea, dont il est propriétaire depuis 2003 et qu'il a hissé à l'aide de sa fortune au sommet du football. Une conséquence supplémentaire de l'invasion de l'Ukraine initiée par Vladimir Poutine, dont Roman Abramovitch est réputé proche.
Le Russe craint les fourches caudines des Européens. Il avait déjà pris ses distances avec le club quelques jours auparavant, en déléguant la gestion à sa fondation. Mais, alors que l'étau se resserre au Royaume-Uni sur les oligarques russes, il a dû se résoudre à vendre.
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Pour l'heure, le milliardaire qui, outre le prestigieux club londonien, possède aussi une immense résidence dans le quartier huppé de Kensington dans la capitale britannique, échappe encore aux foudres de Londres, qui a déjà gelé les avoirs du président russe, Vladimir Poutine, et de plusieurs fidèles. Mais le gouvernement de Boris Johnson menace de sanctionner davantage d'oligarques réputés proches du Kremlin, alimentant les spéculations sur l'ajout d'Abramovitch à la liste.
Le plus célèbre des opposants à Vladimir Poutine, Alexeï Navalny, en fait régulièrement une cible prioritaire pour des nouvelles sanctions. "Pourquoi, bon sang, Abramovitch n'est-il pas sanctionné ?", demande, de son côté, le chef de l'opposition britannique, Sir Keir Starmer, à Boris Johnson.
Proche d'Elstine, puis de Poutine
Né à Saratov, dans le sud de la Russie, le 24 octobre 1966, orphelin dès son plus jeune âge et élevé par son oncle, le jeune Roman a grandi en partie dans le Grand Nord russe. Il suit des études de mathématiques à Moscou, avant de se lancer dans les affaires, en fondant des PME, à la faveur de la "perestroïka", la politique de libéralisation de l'économie de l'URSS enclenchée par Mikhaïl Gorbatchev à partir de 1986 à la chute du régime en 1991.
Il s'avère un entrepreneur doué, aux méthodes redoutables. Il fait ses armes dans l'import-export, notamment d'hydrocarbures. Lorsque le gouvernement cède la majorité des actions du vaste groupe pétrolier Sibneft pour 100 millions de dollars – une fraction de leur valeur réelle, les titres finissent dans le portefeuille d'Abramovitch. Du pétrole à l'aluminium en passant par l'automobile, sa fortune s'arrondit rapidement.
Ayant plusieurs cordes à son arc, il finance la campagne de Boris Eltsine pour la présidentielle de 1991, et quand ce dernier approche de la sortie, il contribue à financer celle de son successeur, Vladimir Poutine. Lorsque le nouveau président décide de reprendre la main sur l'oligarchie russe, Roman Abramovitch opte pour la prudence et prend ses distances avec la "famille" de l'ancien chef de l'État. Il échappe ainsi au destin de Mikhaïl Khodorkovski, opposant en exil après des années de prison, ou de son partenaire en affaires Boris Berezovsky, féroce critique du pouvoir retrouvé mort chez lui en 2013, en Angleterre. Au contraire, Poutine saura le récompenser : Gazprom rachète les parts de Sibneft pour 11,7 milliards d'euros, un prix d'or, alors que d'autres oligarques moins proches du Kremlin sont contraints à brader leurs actifs que l'État veut racheter.
"Le pacte entre les oligarques et Poutine, c'était je vous laisse faire ce que vous voulez, à condition que vous donniez un coup de main financier quand je le demande et que vous ne vous rebellez pas contre moi", explique Lukas Aubin, spécialiste de la géopolitique de la Russie et du sport, chercheur associé auprès de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et auteur de "La Sportokratura sous Vladimir Poutine. Une géopolitique du sport russe" (éd. Bréal, 2021), dans une interview sur BFM. "La 'Sportokratura', c'est un système qui utilise les oligarques, les hommes et femmes politiques ainsi que les sportifs pour construire un modèle sportif ultra-efficace. Les politiques sont chargés d'organiser le sport, les oligarques de le financer et les sportifs de le diffuser", explique Lukas Aubin à France 24.
Un amour tardif pour le football
L'oligarque tombe amoureux du Ballon rond au début des années 2000. Un amour tardif qui doit beaucoup à l'agent israëlien Pinhas "Pini" Zavahi, connu en France pour avoir négocié le transfert de Neymar au PSG, qui le convie à Old Trafford en quarts de finale de retour de la Ligue des champions : un match endiablé entre Manchester United et le Real Madrid.
Manchester United n'est cependant pas à vendre, donc le Russe se rabat sur Londres et le club de Chelsea. Il sort le chéquier et dépense sans compter. Dès le mercato 2003, quatre des dix joueurs les plus chers de l'été signent chez les Blues (Crespo, Duff, Veron, Makélélé). Année après année, les couteûses arrivées de Didier Drogba en 2004 (38,5 millions d'euros), Michael Essien en 2005 (38 millions d'euros) ou encore de l'Ukrainien Andreï Shevchenko en 2006 (44 millions d'euros) battront des records.
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Sans le savoir, Roman Abramovitch va lancer un mouvement : celui des rachats de clubs par des milliardaires et des fonds souverains. En Premier League, Manchester City est racheté par le fonds d'investissement d'Abu Dhabi. D'autres suivront dans le football européen du Qatar à Red Bull en passant par Châteauroux racheté par un prince saoudien. Dernier exemple en date avec le rachat de Newcastle par un fonds saoudien.
Le football anglais n'est pas fan de ce nouveau riche. Le club londonien devient le plus détesté de la Premier league. "Chelsea FC, you've got no history", lui chantent notamment les supporters de Liverpool. L'arrivée de José Mourinho, entraîneur à la personnalité plus que clivante, n'arrange pas les relations publiques des "Blues". Pourtant, le club se construit un épais palmarès grâce aux milliards de son oligarque. Sous le règne de Roman Abramovitch, Chelsea a remporté 21 trophées.
Cependant, à la maison, les Russes crient à la trahison. Pourquoi ses millions devraient financer la football anglais et non celui de la mère patrie ? Pour se faire pardonner, Abramovitch sponsorise aussi le CSKA Moscou, renfloue l'équipe nationale en payant sur ses fonds le sélectionneur, finance la construction de terrains de mini-football pour les enfants. Il joue aussi un rôle dans l'organisation des JO de Sotchi et dans celle du Mondial-2018.
En parallèle, il est également gouverneur de la Tchoukotka, la région à l'extrémité nord-est du pays. Grâce à ses investissements et ses dons, l'économie de la province décolle. Le budget est multiplié, le salaire moyen augmente et les conditions de vie s'améliorent. Mais Abramovitch goûte peu la politique, il propose sa démission plusieurs fois, mais reste en poste tant que Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev ne l'autorisent pas. On lui redonne sa liberté en 2008.
Il continue d'investir, dans les arts à Saint-Petersbourg et à Moscou, dans son club de Chelsea qui remporte sa première Ligue des Champions en 2012, mais aussi dans de multiples start-ups. Il se cherche aussi un nouveau point de chute. La Suisse refuse mais Israël lui offre un passeport en 2018.
Un rôle à jouer dans les pourparlers de paix
En Grande-Bretagne en revanche, sa vie se complique rapidement. L'annexion par la Russie de la Crimée en 2014 crée un premier froid. L'assassinat de Sergueï Skripal, ancien agent russe devenu agent britannique, en Angleterre en 2018, achève le divorce. Les oligarques russes, surtout très proches de Poutine comme Abramovitch, deviennent peu à peu personæ non gratæ au Royaume-Uni.
Entre 2018 et février 2022, Abramovitch n'a pu retourner à Stamford Bridge, le stade de Chelsea, qu'une seule fois : c'était en novembre 2021 pour le match nul entre Chelsea et Manchester United.
Après l'invasion russe en Ukraine, il a été sollicité par les Ukrainiens pour jouer un rôle dans les pourparlers de paix ayant lieu à la frontière biélorusse. Un rôle qui lui a été proposé en raison de sa proximité avec Vladimir Poutine, mais aussi des communautés juives, dont celle d'Ukraine de laquelle la famille maternelle d'Abramovitch est issue. La famille de ses grand-parents figurent même parmi les victimes du massacre de Babi Yar.
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Roman Abramovitch semble cependant désapprouver la guerre menée par Vladimir Poutine. Dans son communiqué, il a indiqué que le "produit net" de la vente de Chelsea serait reversé à une "fondation caritative au profit de toutes les victimes de la guerre en Ukraine".
Sa fille est moins ambigüe sur ses opinions. Sur son compte Instagram, Sofia Abramovitch n'a pas hésité à poster un message antiguerre : "La Russie veut une guerre avec l'Ukraine" , mais où le mot "Russie" est barré et remplacé par le mot "Poutine"…
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