REPORTAGE. Procès Lelandais : quatre ans après la mort de Maëlys, "son regard est partout" à Pont-de-Beauvoisin
Avant le début du procès de Nordahl Lelandais, lundi 31 janvier, franceinfo s'est rendu à Pont-de-Beauvoisin, dans l'Isère, commune bouleversée par le meurtre de Maëlys, enlevée lors d'un mariage en 2017.
"Il faut s'imaginer qu'il y a quatre ans, on voyait les invités à travers le feuillage." Depuis sa terrasse, Florence distingue toujours la salle polyvalente de Pont-de-Beauvoisin (Isère). Le soir du 27 août 2017, elle était attablée avec sa fille, alors adolescente, tandis qu'en contrebas, Eddy G. et Anne-Laure M. célébraient leur mariage avec quelque 180 convives. Les sonos de la fête n'étaient pas particulièrement bruyantes. Des enfants jouaient devant la salle. Le lendemain matin, la musique avait laissé place aux aboiements des chiens des enquêteurs venus inspecter le quartier, puis le jardin de Florence. Dans la nuit, aux alentours de 3 heures, Maëlys, 8 ans, venue du Jura avec ses parents pour assister au mariage, avait disparu.
La terrasse de Florence, avec sa vue sur la salle polyvalente de Pont-de-Beauvoisin (Isère), le 5 janvier 2022. (ELOISE BARTOLI / FRANCEINFO)
Après six mois d'enquête, Nordahl Lelandais, habitant de Domessin (Savoie) dont le procès s'ouvre lundi 31 janvier à Grenoble, reconnaît avoir tué l'enfant. Le corps de Maëlys est retrouvé, sur ses indications, dans une zone montagneuse de la commune d'Attignat-Oncin (Savoie), à quelques minutes en voiture. A l'époque, Florence est plongée dans un livre-enquêtesur l'affaire du "pull over rouge". Gilles Perrault y raconte l'histoire de la disparition de Marie Dolorès Rambla, 8 ans, enlevée devant l'immeuble de ses parents, à Marseille, en 1974. "Et soudainement, dans ma réalité, il se passe la même chose", souffle l'habitante, toujours marquée par le crime. "C'était troublant."
"Plus personne ne veut se marier dans cette salle"
Le meurtre de Maëlys s'est immiscé en chacun des 3 500 habitants de la commune. Pour gérer le traumatisme, la parole est importante, mais pas avec n'importe qui. "A l'époque, j'ai écouté les vieilles femmes pleurer dans mon bar, raconte un Pontois, qui recueille cette douleur. C'est tous les jours qu'on pense à elle, qu'on a le cœur serré." Installé au comptoir, Mathieu renchérit : "Le psy va te prendre 50 balles, et puis quoi ? Ça ne ramènera pas Maëlys."
Depuis la mort de l'enfant, la fête ne résonne plus vraiment dans le quartier. "Plus personne ne veut se marier dans cette salle" associée pour toujours à la disparition de Maëlys, confirme Edwige Comte, traiteur à Pont. La jeune femme y a bien cuisiné pour un mariage en 2021. Le premier en trois ans. "Quand j'y suis allée, il y avait de l'appréhension. Forcément, on y pense." A l'entrée de la salle, une banderole demande toujours "la vérité pour Maëlys" avec ce message : "On ne lâchera pas."
Devant la salle polyvalente de Pont-de-Beauvoisin (Isère), une banderole réclame "la vérité pour Maëlys", le 5 janvier 2022. (Eloïse Bartoli / franceinfo)
"Son regard est partout dans la ville", confirme Luc Bassette, président de l'Union des commerçants et artisans pontois. Dans la petite commune, "il y a des gens qui connaissaient la famille, qui étaient au mariage", alors "c'est un événement qui restera encore longtemps dans les mémoires".
Dans le centre-ville, un groupe de jeunes un peu bruyant enchaîne les cigarettes. Au moment de la disparition de Maëlys, ces amis d'enfance n'avaient pas encore 14 ans. "Après l'histoire, je ne voulais plus retourner à Pont-de-Beauvoisin", confie Jérémy, en lycée professionnel dans la commune. Revenir lui "foutait le cafard." Depuis, les jeunes ont eu le temps de se réapproprier leur ville, ses bars et ses places où traîner. "On vit avec, mais c'est toujours bizarre", déclare Lorenzo, jeune électricien en recherche d'emploi, d'une voix qu'il voudrait assurée. Tous veulent quitter Pont-de-Beauvoisin, "mais pas à cause de Lelandais".
"Partir, pour aller où ?"
Pascal, lui, n'envisage pas de s'éloigner. Entre les mains de son coiffeur, Guy, installé depuis trente-cinq ans, il regrette un centre-ville qui se désertifie à la faveur de la zone industrielle et les dégâts de la crise sanitaire sur la commune. "On est dans la France périphérique et on est dans une ville qui est en crise. Il ne se passe plus grand-chose ici", déroule le quinquagénaire dont les sourcils sont taillés au ciseau.
Guy, dans un salon de coiffure du centre-ville de Pont-de-Beauvoisin (Isère), le 6 janvier 2022. (ELOISE BARTOLI /FRANCEINFO)
"Partir, pour aller où ?" S'interroge encore un ancien chauffeur poids-lourd. "L'horreur est partout, y a pas seulement à Pont-de-Beauvoisin que les drames arrivent. Les endroits paradisiaques, ça n'existe pas." Après la mort de Maëlys, l'homme a ressenti le besoin de se recentrer sur sa famille. "Ma fille et mes deux petites filles, c'est tout pour moi. C'est toute ma vie." Il fallait aussi faire barrage à la tristesse, trouver la bonne distance, compatir sans être submergé.
Les recherches ont pris fin en 2018 avec les aveux de Nordahl Lelandais, mais, quatre ans après, certains pare-brises arborent encore ces petites pancartes.
"Il n'y a plus de confiance maintenant"
En chacun, le sentiment de sécurité s'est étiolé. "J'ai une belle-fille de 6 ans. Quand je suis avec elle, je ne fais plus confiance à personne. Surtout pas aux voisins… On ne connaît jamais les gens", jure Elodie, gérante du restaurant au DD's burger, du côté savoyard de l'agglomération. Le périmètre de liberté des enfants a rétréci fini les sorties non supervisées. Contrairement à leurs parents au même âge, ici, les enfants ne rentrent pas seuls de l'école.
Pour se rassurer, on surveille aussi les environs. En 2018, la petite commune d'Isère a fait installer un système de vidéosurveillance. Au total, 24 caméras filment les habitants quotidiennement. Le tout régenté par le policier municipal de Pont-de-Beauvoisin. Mais Eric Philippe, adjoint à la sécurité, l'assure, cela n'a aucun lien avec le décès de Maëlys. "Il s'agissait d'une annonce de campagne lors de notre élection en 2014."
Un chauffeur de poids lourd fait le plein, dans une station-service de Pont-de-Beauvoisin, le 6 janvier 2022. (Eloïse Bartoli / franceinfo)
Après le drame, la méfiance a aussi gagné Nour-Eddine Ghaoui : "J'ai fait mettre des capteurs de géolocalisation sur mes filles de 6, 11 et 12 ans. Ce qui arrive aux autres, c'est des avertissements. Il n'y a plus de confiance maintenant."
L'homme, qui habite à quelques kilomètres, a organisé unerecherche citoyenne à Pont-de-Beauvoisin une semaine après la disparition de la petite fille. Plusieurs milliers de personnes, parfois venues de loin, s'étaient divisé le secteur, à la recherche de Maëlys. Sans succès. Depuis, cet Isérois retrouve régulièrement des amis rencontrés durant la battue. "Ce drame, ce n'est pas que du sang et des larmes", en déduit le président de l'Union des commerçants et artisans.
"Qu'il ne s'amuse pas à revenir ici"
Dans les cafés, dans les salons de coiffure, la famille Lelandais, souvent aperçue à Pont-de-Beauvoisin, continue d'animer les conversations. En quatre ans, les altercations entre les habitants et le frère de l'accusé se sont multipliés. "Il vient là, dans les commerces, il provoque", lance un Pontois. "La mère m'a beaucoup aidée quand j'ai perdu mon mari, pondère la voisine des Lelandais. Son fils Nordahl, on le croisait parfois, mais je ne savais pas qu'il avait tous ces problèmes de comportement, personne ne m'avait rien dit. Dans le quartier, ça ne bavasse pas trop", relate-t-elle à son portail, avant d'écourter la conversation.
La maison de la famille Lelandais, à Domessin (Savoie), commune voisine de Pont-de-Beauvoisin (Isère), le 6 janvier 2022. (ELOISE BARTOLI / FRANCEINFO)
A Domessin, la maison des Lelandais, où s'est jouée une partie du drame de l'affaire Maëlys, n'a ni portail ni muret. Des oies et poules en plastique côtoient les décorations de Noël dans l'allée. Est-elle inhabitée ? A vendre ou à louer ?
Son devenir cristallise l'attention d'une population habitée par le souvenir de la victime et les stigmates de la présence du bourreau. Et, en filigrane, la crainte que tout cela ne soit pas fini. La peur aussi de découvrir d'autres victimesd'un homme déjà condamnéà vingt ans de réclusion criminelle pour le meurtre d'Arthur Noyer. Pour le meurtre de Maëlys, Nordahl Lelandais est jugé à partir du 31 janvier aux assises de l'Isère. Et "quand il sortira de prison, qu'il ne s'amuse pas à revenir ici, il sera bien accueilli", prévient un habitant.