Procès de Nordahl Lelandais : le récit glaçant des mariés de Pont-de-Beauvoisin qui ont "fait entrer le loup dans la bergerie"
Procès de Nordahl Lelandais : le récit glaçant des mariés de Pont-de-Beauvoisin qui ont "fait entrer le loup dans la bergerie"
Eddy et Anne-Laure sont venus raconter, mardi face à la cour d'assises de l'Isère, la soirée lors de laquelle Maëlys de Araujo a été enlevée et tuée par celui qu'ils considéraient comme leur ami.
En août 2017, cela faisait cinq ans qu'Eddy n'avait pas revu Nordahl Lelandais, cet ami de longue date, qu'il avait perdu de vue. Mais jusqu'ici, ce militaire de carrière a toujours apprécié "Nono", qu'il a côtoyé pendant toute sa vingtaine, essentiellement dans des soirées. Il l'avait même invité pour fêter ses 30 ans, six ans plus tôt. "C'était quelqu'un de jovial, bon vivant, qui aimait faire la fête et s'intégrait facilement dans un groupe", résume Anne-Laure, sa compagne, mardi 8 février, face à la cour d'assises de l'Isère.
Alors, quand Nordahl Lelandais appelle Eddy la semaine de son mariage, ce dernier n'hésite pas une seconde et lui propose "naturellement" de passer à l'apéritif. "D'autant qu'il déménageait mon témoin le jour-même", précise l'homme de 40 ans. Cet appel impromptu, après des années sans nouvelles, ne l'étonne pas plus que ça. "Ça lui ressemble, ça arrivait qu'il vienne à une soirée, par l'intermédiaire d'autres personnes. C'était lui, on l'acceptait comme ça", raconte Eddy.
Au septième jour du procès de Nordahl Lelandais, le couple est venu raconter comment ce qui devait être une journée de "bonheur" s'est transformée en "cauchemar", lorsque Maëlys de Araujo, 8 ans, s'est volatilisée au beau milieu des festivités à Pont-de-Beauvoisin. En incluant ce convive de dernière minute, ils étaient loin de se douter qu'ils avaient "fait entrer le loup dans la bergerie", comme l'a déclaré Eddy mardi matin, dans une colère froide.
"Je ne pouvais pas imaginer que c'était quelqu'un que je connaissais"
"Je savais qu'il aimait boire, fumer des joints. Mais je sentais que c'était la même personne que j'avais connue, donc aucune crainte de l'inviter", répète le marié à la barre. Aussi, quand plusieurs amis, dont Nordahl Lelandais, viennent le voir à la fin de l'apéritif pour demander à revenir plus tard dans la soirée, Eddy accepte avec plaisir et leur propose de repasser vers 1 heure du matin, au moment du gâteau.
La fête bat son plein, le couple est "dans l'euphorie du mariage" et ne le croise pas beaucoup. "On a juste rigolé sur deux-trois photos de moi plus jeune", se souvient Eddy. Vers 2h30 du matin, la soirée bascule : Maëlys est introuvable. Dans un premier temps, le marié garde son sang-froid et étudie les solutions les plus rationnelles.
Et puis, tout le monde commence à s'affoler. Le DJ lance un appel dans le micro. La musique est coupée, les recherches s'improvisent. A ce moment-là, Anne-Laure se dit qu'un intrus a pu se mêler aux invités. Le lendemain, elle passe sa journée à rappeler tous les convives et le photographe pour récupérer l'ensemble de leurs clichés et tenter d'identifier un suspect qui lui serait étranger. "Je ne pouvais pas imaginer une seule seconde que c'était quelqu'un que je connaissais", souffle cette femme blonde.
Les "voyants" passent au rouge
Mais son mari, lui, a une intuition. Eddy raconte comme ses "voyants se sont allumés" les uns après les autres, convergeant vers Nordahl Lelandais. Sa cousine, Jennifer de Araujo, la mère de la fillette, lui confie très vite qu'elle suspecte l'"homme aux chiens" qui a été vu en train de jouer au ballon avec Maëlys. Eddy va le voir et lui demande s'il n'a pas vu la petite fille. "Sa réponse était 'non', donc je suis passé à autre chose. Mais voir Jennifer inquiète par rapport à lui, c'était une première alerte", explique Eddy. Anne-Laure se souvient d'un propos étrange prononcé par l'accusé. "Mais c'est quelle gamine qu'on cherche ?", lui aurait-il lancé.
Puis Nordahl Lelandais se volatilise au moment des recherches. Le témoin d'Eddy l'informe que l'invité s'est senti mal, qu'il est allé vomir dans les toilettes et qu'il est parti. "Je n'y croyais pas du tout, car il allait très bien quand je l'avais croisé", dit Eddy. Un signal de plus.
Aux gendarmes, Eddy confie : "C'est bizarre, il est parti avant que vous arriviez, ça ne lui ressemble pas". Après coup, il s'en veut. "J'accuse peut-être un ami." Mais dès le lendemain, ses soupçons sont ravivés : alors que tous les invités sont à la mairie pour effectuer leur déposition, Nordahl Lelandais est absent. Un ami d'Eddy le contacte et insiste pour qu'il vienne déposer. Réponse de l'intéressé : "Ah, vous ne l'avez pas encore retrouvée, cette fille ?"
"L'indifférence qu'il avait à ce moment-là, c'est aussi un voyant qui s'est allumé", commente Eddy. Le 28 août, au surlendemain du mariage, son témoin croise l'ancien maître-chien sur le parking du Leclerc de Pont-de-Beauvoisin. Il est en train de nettoyer sa voiture. "Je lui dis : 'Faut surtout rien laisser passer'. Et je lui donne le numéro de l'enquêteur'", se remémore Eddy. Six mois plus tard, une tache du sang de Maëlys sera découverte dans le coffre de l'Audi A3 de l'accusé, qui avouera avoir enlevé et tué la fillette, après avoir clamé haut et fort qu'il n'avait rien à voir dans sa disparition.
"C'était quoi ton objectif ? Tuer, violer ?"
Aujourd'hui, c'est la colère qui domine chez le marié, mêlée à une grande culpabilité. "Ça fait quatre ans qu'on vit avec ça, mais on essaye d'avancer parce que ma peine ne sera jamais aussi haute que celle de Jennifer [de Araujo] et celle de sa famille", dit-il la voix tremblante. "Au début, j'ai eu un sentiment de trahison et en fait, quand je vois son portrait, ce qu'on a découvert sur lui, je me dis que c'est une personne que je ne connais pas", analyse le militaire.
Alain Jakubowicz, l'avocat de Nordahl Lelandais, invite Eddy à en dire plus sur ce revirement de son client : comme lors du procès pour le meurtre du caporal Noyer, le basculement de 2017 semble être l'un des piliers de sa défense. "L'homme que vous avez connu cinq ans avant les faits n'était évidemment pas capable de commettre l'abomination qu'on apprend ici ? Ça ne correspond pas à l'homme que vous avez connu ?", lui demande l'avocat. "Oui, c'est ce qui me fait dire que sa dangerosité est avérée. Comment peut-on, avec autant de discernement, autant de maîtrise, duper tout le monde ?", rétorque sèchement Eddy.
Le militaire ne se tourne qu'une fois vers son ancien camarade, lui demandant froidement, sans ciller : "Si Maëlys ne t'avait pas arrêté, t'aurais fait quoi derrière ? C'était quoi ton objectif ? Tuer, violer ?" L'audience se poursuit, sans attendre la réponse de l'accusé, dont personne ne semble plus rien espérer.