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Insolite et Faits divers

REPORTAGE. Dans la forêt des Landes, "l’incendie du siècle" aurait-il pu être évité ?

Le pin, très présent en Gironde, est un végétal hautement inflammable. Mais cette espèce est aussi habitué au feu depuis des millénaires. La question centrale porte sur l'entretien des forêts. Au volant de sa Land Rover, Dominique Sauboua, 76 ans, semble médusé quand il parcourt les routes de la forêt calcinée de La Teste-de-Buch (Gironde). De part et d'autre de la piste 214, l'air est toujours épais, l'odeur âcre, jeudi 21 juillet. Des foyers restent actifs. En douze jours, 7 000 hectares ont brûlé dans cette commune, estime la préfète de Gironde, Fabienne Buccio, durant ce que les pompiers appellent "l'incendie du siècle". Dans le même département, 13 800 autres hectares de pinède sont partis en fumée, dans un autre incendie, du côté de Landiras, une commune située à 60 km à l'est. Les deux feux sont désormais "fixés", mais "ne sont pas pour autant éteints", a prévenu la préfète, lundi. Des pins brûlés près de la piste 214 dans la forêt usagère de La Teste-de-Buch (Gironde), après l'incendie, le 21 juillet 2022. (MIREN GARAICOECHEA / FRANCEINFO) Après plusieurs jours passés à aider des pompiers venus de Vendée, Dominique, lui-même propriétaire de 50 hectares dans la forêt de La Teste-de-Buch, effectue des tours de ronde à la recherche de fumerons récalcitrants. Pour se distinguer des habitants, interdits dans la zone sinistrée, il porte un maillot jaune fluo de la Défense des forêts contre les incendies (DFCI), dont il est bénévole.  Une forêt composée à 90% de pins Après le sinistre, la question de la reconstruction de la forêt est déjà au centre des préoccupations. Emmanuel Macron l'a abordée mercredi, lors de sa visite sur les lieux. Un grand chantier national a été promis pour replanter les pinèdes locales. Et dès cette semaine, l'ensemble des professionnels de la filière seront réunis pour établir une feuille de route, confirme le ministère de l'Agriculture à franceinfo. Aménagement et entretien de ces forêts artificielles, essences plantées, modèles de culture... Les sujets de discussion sont nombreux. Derrière ses lunettes teintées, Dominique s'interroge : "Jusqu'ici, c'était le bordel dans la forêt. On va peut-être en profiter pour évoluer ?" Pour l'heure, il plisse les yeux et balaye l'endroit du regard. Le retraité scrute la base des troncs incandescents. Des petites flammes surgissent parfois du creux d'un pin éventré. A leur vue, il démarre à la hâte. "On va accélérer, il peut nous tomber dessus."  Ces arbres qui brûlent de l'intérieur ont longtemps été exploités par l'homme. "Mon grand-père était gemmeur à Landiras", confie le septuagénaire. Il entaillait les pins maritimes pour en recueillir la précieuse résine. Depuis, les arbres plantés il y a plus d'un siècle ont asséché les sols marécageux et produit cette résine, nécessaire pour la fabrication de solvants jusqu'à la fin des années 1970. Des pins anciennement gemmés brûlent toujours près de la piste 214 dans la forêt usagère de La Teste-de-Buch (Gironde), après l'incendie, le 21 juillet 2022. (MIREN GARAICOECHEA / FRANCEINFO) Aujourd'hui, 90% des arbres de la forêt des Landes sont des pins, une espèce hautement inflammable. Depuis qu'il a acquis sa parcelle, Dominique interdit donc à sa famille d'aller sur le terrain en temps de canicule. "Je réprimande aussi les campeurs qui s'allument un barbecue entre les pins." Sachant que 9 incendies sur 10 sont d'origine humaine, selon le ministère de la Transition écologique. L'entretien de la forêt au centre des attentions A ce stade, l'enquête n'a pas déterminé l'origine des différents sinistres. Mais ce mois de juillet l'a montré : le risque principal est qu'un feu atteigne la cime des arbres. "La plupart de la biomasse s'y concentre, donc le feu augmente en puissance", décrit Anne Ganteaume, directrice de recherche à l'Inrae Aix-en-Provence. "S'il y a du vent, et si les massifs sont continus [comme c'est le cas dans les forêts de Landiras et une partie de celle de La Teste], c'est fini", complète la spécialiste. Avec le pin, la situation s'accélère vite : quand les pommes de pin brûlent, "elles explosent". Leurs écailles sont "emportées par le vent jusqu'à des centaines de mètres, parfois des kilomètres, et peuvent provoquer des sautes de feu difficiles à gérer pour les pompiers." A cela s'ajoute la résine des conifères qui contient "des molécules chimiques très inflammables".  Dans les Landes, le pin a été planté en monoculture, c'est-à-dire sans qu'il soit associé à d'autres variétés d'arbres. Un incendie aurait-il été moins dévastateur s'il y avait eu d'autres espèces plus résistantes au feu, comme le chêne ? Anne Ganteaume conteste l'idée de "miracles opérés par des forêts plus diverses". "Les pins maritimes sont habitués au feu depuis des millénaires. Leur écorce est résistante, il n'y a pas de branches mortes le long du tronc. Cet auto-élagage empêche le feu de passer du sol à la cime", assure-t-elle. Le problème intervient en revanche, selon Anne Ganteaume, "quand la forêt n'est pas gérée, pas entretenue". En largeur, le feu progresse quand il n'est pas coupé par "de grands pare-feu" suffisants. En hauteur, le feu passe du sol à la cime quand le sous-bois n'est pas bien entretenu et que "des arbustes se développent". Dans le cas de la forêt usagère de La Teste, une forêt naturelle composée de pins et d'autres espèces, les deux risques se sont superposés. La peur de coupes massives Qui est responsable de cet entretien ? En Gironde, la situation est complexe. Si, à Landiras, la zone partie en fumée était exploitée pour l'industrie, la forêt de la Teste-de-Buch est détenue par un mille-feuille de propriétaires. "Dans la partie qui a brûlé, trois statuts cohabitent : une partie de la forêt est gérée par l'Office national des forêts (ONF). Une autre est une forêt d'exploitations privées. La dernière est la forêt usagère", retrace Christine Bouisset, maître de conférences à l'université de Pau et des Pays de l'Adour.  Vieille de deux millénaires, la forêt usagère de La Teste-de-Buch, 3 900 hectares presque intégralement touchés par l'incendie, est la seule de France encore régie par des règles dites "baillettes et transactions" du XVe siècle. Depuis, les usagers, habitants des communes du sud du bassin d'Arcachon, peuvent prélever librement du bois mort dans cette forêt naturelle pour se chauffer. Certains peuvent aussi récupérer du bois vert pour construire leur habitation ou un bateau. Dans cette forêt usagère, une centaine de propriétaires détiennent le sol et doivent entretenir leur parcelle. Mais, à l'image de Dominique, ils ne sont pas pleinement propriétaires des arbres. Ils ne peuvent donc pas librement couper et commercialiser le bois. Des parcelles, morcelées par les héritages successifs, ne sont pas non plus entretenues, faute de propriétaires connus. Depuis plusieurs années, les contentieux s'accumulent entre les détenteurs des parcelles et les usagers. Certains propriétaires ne comprennent pas que le Code forestier, en vigueur sur le reste du territoire, ne s'applique pas chez eux. Il leur permettrait de couper et de commercialiser leur bois, sans l'accord des bénéficiaires du droit d'usage. En 2020, un propriétaire, Thibaud Lemaire, a ainsi déposé un plan de gestion qui lui permettrait d'exploiter le bois de manière autonome. L'Addufu, l'Association de défense des droits d'usage et de la forêt usagère (1 200 adhérents), et deux élues EELV et LREM s'y sont opposés, de peur d'ouvrir la voie à des coupes massives d'arbres. Quatorze mois de retard de travaux Par ailleurs, des travaux de la Défense des forêts contre les incendies, prévus début 2021, auraient pu permettre d'élargir des voies et faciliter la circulation des pompiers. Un "impératif d'ordre public", selon un rapport du ministère de l'Agriculture de janvier 2022. Mais l'Addufu s'y était opposée, via un recours au tribunal administratif de Bordeaux, avant d'être déboutée en 2021. "Tout le monde voulait ces travaux, mais on redoutait la cupidité de certains !" rectifie Jean-Claude Dupoy, 80 ans, petit-fils de gemmeur et membre de l'Addufu. L'association réclamait en effet une répartition équitable des revenus tirés de l'abattage des pins lors des aménagements. Les travaux ont finalement commencé en juillet 2022, la veille de l'incendie, confirme Sud-Ouest (article réservé aux abonnés). Pointée du doigt pour le retard des aménagements, l'Addufu dénonce de son côté un autre retard, imputable selon elle à la Défense des forêts contre les incendies : "Pourquoi a-t-elle attendu 14 mois pour entreprendre les travaux d'élargissement des chemins le 5 juillet 2022 en période de très fortes chaleurs ?" questionne l'association sur Facebook le 23 juillet. Contactée par franceinfo, la DFCI n'a pas donné suite. De son côté, le maire de La Teste-de-Buch, Patrick Davet (Union de la droite et du centre), évoque une solution radicale pour assurer le bon entretien des lieux : "J'ai demandé au président de la République que la forêt usagère soit gérée par la commune, plaide-t-il. Cela évitera que des personnes souhaitent gagner beaucoup d'argent en coupant ma forêt… Et on imposera le nettoyage pour éviter la propagation d'incendies." A l'avenir, quand l'odeur de cendre aura de nouveau laissé place aux essences de la forêt. 

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