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Reconnaissance des harkis : "Une douleur énorme et irrépressible qu’il est impossible de combler"

Au cours de la réception, Emmanuel Macron a décoré Salah Abdelkrim, un représentant harki blessé au combat, un officier français, le général François Meyer, qui a organisé le rapatriement "de plusieurs centaines de harkis en désobéissant aux ordres", et une fille de harki, Bornia Tarall, "militante de l'égalité des chances et de la diversité". Emmanuel Macron a "demandé pardon" lundi aux harkis au nom de la France et annoncé un projet de loi de "reconnaissance et de réparation" à l'égard des anciens combattants aux côtés de l'armée française durant la guerre d'Algérie. Pour l'historien Gilles Manceron, qui estime que les harkis ont été "trompés", cette nouvelle étape est nécessaire, même s'il y a encore beaucoup à faire.  Le gouvernement "portera avant la fin de l'année un projet visant à inscrire dans le marbre de nos lois la reconnaissance et la réparation à l'égard des harkis", a annoncé lundi 20 septembre Emmanuel Macron lors d'une cérémonie d'hommage à l'Élysée.  Les harkis sont des Algériens recrutés localement comme auxiliaires de l'armée française durant la guerre d'Algérie (1954-1962) pour lutter contre le FLN. Mais au lendemain des accords d'Évian du 18 mars 1962, consacrant la défaite française en Algérie, le gouvernement français refuse le rapatriement massif de ces quelques 200 000 hommes. Seuls quelque 42 000 harkis, accompagnés parfois de leurs femmes et enfants, sont évacués en France par l'armée et transitent par des camps aux conditions de vie souvent indignes.  Quelque 40 000 autres y parviennent par des filières semi-clandestines ou clandestines. Au total, entre 80 000 et 90 000 personnes arrivent en France selon certaines estimations, pour la majorité entre 1962 et 1965. Les autres, désarmés, sont livrés à leur sort en Algérie. Considérés comme des traîtres par le nouveau régime, ils sont victimes avec leurs familles de sanglantes représailles. Soixante ans après la fin de la guerre d'Algérie, Emmanuel Macron leur a demandé pardon au nom de la France. Gilles Manceron, historien spécialiste de l'histoire coloniale de la France, membre du comité central de la Ligue des droits de l'homme et auteur notamment de "Les harkis, histoire, mémoire et transmission"(Éditions de l'Atelier, 2010), est revenu sur l'antenne de France 24 sur ces déclarations et sur cette plaie qui reste à vif. Emmanuel Macron, dans son discours, a annoncé une loi et un fonds de réparations. Est-ce que selon vous, la France fait un pas de plus en avant ? Il est nécessaire de reconnaître ce qui a été fait par la France, par l'armée française, durant toute la période de la colonisation et notamment pendant la guerre d'Algérie. Je pense que cela va dans le sens d'une reconnaissance. Il a dit que cela n'appartenait pas au chef de l'État de dire l'histoire, mais que c'était aux historiens de la décrire. En tant qu'historien, je dirais que les harkis ont été trompés. C'étaient des civils, des paysans algériens qui ont été trompés par la France et tout particulièrement par l'armée française qui a défini leur statut d'auxiliaire, de personnes qui ne faisaient que les choses que l'armée française leur demandait de faire et qui parfois ont été amenés par l'armée française à faire aussi des choses qui ont marqué profondément le peuple algérien dans la violence exercée notamment à certains moments dans les interrogatoires en particulier. Le chef de l'État a demandé pardon aux harkis et à leurs descendants. Ces mots ont du mal à passer auprès de certaines personnes. Dans la salle, une femme a notamment pleuré. Est-ce que ces mots sont particulièrement difficiles à entendre dans la bouche d'un Président ? C'est très difficile parce que la douleur est immense de la part de ces paysans algériens ou enfants ou petits-enfants de paysans algériens qui sont venus en France après 1962 pour fuir un certain nombre de violences et de massacres. C'est extrêmement difficile d'accepter le sort qu'ils ont subi ou que leurs parents ou grands-parents ont subi dans cette guerre. Il y a une douleur énorme et irrépressible qu'il est impossible de combler. Je comprends ces réactions.   Est-ce qu'il n'y a pas aussi un peu de scepticisme chez ces descendants qui ont vu les chefs d'État se succéder et faire un lot d'annonces même si on avance avec le temps ? Ils doutent car on leur a raconté beaucoup de mensonges. À l'époque de la guerre elle-même, on ne leur a pas véritablement dit ce qu'il se passait. L'armée a tenu à l'écart les déclarations du chef de l'État, le général de Gaulle, qui disait que la France allait accepter l'indépendance algérienne. L'armée, les chefs de l'armée, le général Salan, le général Challe, en particulier, leur ont fait courir un risque en définissant un statut d'auxiliaire qui les a enfermés dans une situation de victimes potentielles. Ces généraux étaient partisans du maintien de l'Algérie française. Ils voulaient que l'abandon des harkis soit comme l'exemple même de l'impossibilité de l'abandon de l'Algérie française. Il y a eu un piège. C'est cette histoire qu'il appartient aux historiens de reconstruire et de restituer. Pourquoi cette volonté de reconnaissance s'accélère-t-elle en ce moment ? Il y a un effet anniversaire décennal avec les 60 ans de l'indépendance et du cessez-le-feu en 2022 qui est aussi une année électorale. Emmanuel Macron veut consacrer son septennat du point de vue du travail mémoriel à cette vérité sur l'affaire algérienne et sur la colonisation plus généralement. On ne saurait l'en blâmer. Mais simplement, il a du mal à le faire. Ses choix et ses alliances politiques ne l'aident pas à réaliser son vœu. Il y a encore beaucoup de travail et de reconnaissance nécessaire de la part de l'État.

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