RECIT FRANCEINFO. "On est dans l'obscurité totale" : un an après, la disparition de Delphine Jubillar reste nimbée de mystère
La petite ville de Cagnac-les-Mines, dans le Tarn, se prépare à célébrer Noël. Mais en ce mercredi 15 décembre, la commune de 2 800 habitants commémore aussi un triste anniversaire : celui de la disparition de Delphine Jubillar, il y a un an. Devant le pavillon du 19 rue Yves-Montand, dans lequel elle vivait avec son mari et ses deux enfants, une photo agrandie de l'infirmière de 33 ans a été disposée au milieu des fleurs et des bougies, avec ce message : "Aidez-nous à retrouver Delphine." La jeune femme n'a plus donné de signe de vie depuis la nuit du 15 au 16 décembre 2020.
Ce soir-là, un couvre-feu entre tout juste en vigueur. Il est un peu plus de 4 heures du matin quand la gendarmerie locale reçoit un appel : Cédric Jubillar s'inquiète de ne plus voir son épouse au domicile. Lorsque les hommes en képi se présentent à 4h50, il est en pyjama et vient de mettre une couette dans la machine à laver. C'est celle qu'utilise Delphine Jubillar lorsqu'elle s'installe sur le canapé, où elle s'endort parfois. Son mari, un artisan peintre plaquiste de 34 ans, assure s'être assoupi avant son épouse et s'être aperçu de son absence après avoir été réveillé par les pleurs de leur fille de 18 mois, Elyah. Selon son récit, Delphine Jubillar serait sortie promener les chiens vers 23 heures comme à son habitude. Les chiens seraient revenus sans elle.
Du fait divers à "l'affaire Jubillar"
La disparition de cette femme au beau milieu d'une nuit de décembre, laissant derrière elle toutes ses affaires et deux enfants en bas âge à l'approche des fêtes et alors qu'un couvre-feu est imposé, est aussitôt qualifiée d'inquiétante. Elle intéresse rapidement les médias. Le fait divers devient "l'affaire Jubillar". Sur l'avis de recherche, la France découvre le visage de cette soignante de la clinique Claude-Bernard à Albi. Seule précision sur sa possible tenue au moment des faits, "une doudoune blanche à capuche". Son téléphone, introuvable, a borné toute la nuit sur le relais de Cagnac-les-Mines avant de s'éteindre à 7h48.
Les pistes du départ volontaire, du suicide ou de l'accident sont rapidement évacuées. Le 23 décembre, une information judiciaire pour "arrestation, enlèvement, détention ou séquestration" est ouverte et confiée à deux juges d'instruction à Toulouse. Des moyens considérables sont déployés. Battues citoyennes, plongeurs, drones, hélicoptère… Les environs de ce pays minier sont inspectés sans relâche. Un territoire de 2 500 hectares fait de points d'eau, de terrains escarpés, de bois et de galeries souterraines. "Une zone très vaste et très difficile pour retrouver un corps", résume une source proche du dossier à franceinfo.
Un contexte de séparation
La maison et le jardin sont également passés au peigne fin. Aucune trace suspecte de sang, de fluide corporel, de nettoyage ou de lutte n'est découverte. Même si la possibilité d'une mauvaise rencontre reste explorée, les investigations se concentrent discrètement sur le mari, dernière personne à avoir vu Delphine Jubillar vivante et donc premier suspect. Les enquêteurs rassemblent des éléments pour étayer la thèse qui leur semble la plus plausible : celle d'un homicide conjugal maquillé en disparition.
Ils abattent leurs cartes six mois plus tard. Six jours après avoir participé à une marche blanche pour sa femme, le 12 juin, Cédric Jubillar est placé en garde à vue et mis en examen pour "homicide volontaire sur conjoint". Lors d'une conférence de presse, Dominique Alzéari, alors procureur de Toulouse, liste "les indices graves et concordants" qui mettent en cause l'époux. Il insiste sur le contexte de la disparition : une séparation imminente, premier motif du passage à l'acte dans les féminicides.
Delphine Jubillar avait pour projet de "quitter définitivement le domicile conjugal et [de] s'installer avec un homme qu'elle avait rencontré l'été précédent". Pour preuve, l'emprunt qu'elle avait souscrit pour acheter des meubles et l'achat d'une nouvelle voiture en compagnie de son amant le samedi 12 décembre, dans un garage près d'Agen. Ce trentenaire, originaire de Montauban, décrit ainsi Delphine Jubillar devant les gendarmes : "Il s'agit d'une femme honnête, intègre, gentille, la plus belle personne que j'ai rencontrée dans ma vie."
Les mensonges de Cédric Jubillar
Les enquêteurs ont établi que Cédric Jubillar avait menti lorsqu'il assurait que cette séparation "se passait de manière non conflictuelle" et qu'il "ignorait que son épouse voulait le quitter pour un autre". D'après les témoignages recueillis, la rupture "donnait lieu à de nombreuses disputes". Le magistrat dépeint un homme jaloux, "brutal", "grossier" et "agressif", "intrusif", qui "avait organisé une véritable surveillance de son épouse, allant sur son compte pour voir si elle avait fait des dépenses".
Quant au déroulé de la nuit de la disparition, le procureur balaie la thèse d'une promenade nocturne de Delphine Jubillar avec les chiens, elle qui "n'aimait pas sortir dans le noir". Une voisine affirme en revanche avoir vu Cédric Jubillar marcher, l'air énervé entre 21h30 et 22 heures, la tête baissée sous sa capuche. Parmi les autres "éléments importants", le témoignage du fils du couple, âgé de 6 ans. Louis affirme que "vers 23 heures, quand il va se coucher après avoir fait un câlin à sa mère, il entend une violente dispute entre ses parents". "Au même moment, à 23h07 très précisément", deux voisines – une mère et sa fille – entendent "des cris stridents et de détresse d'une femme (…) qui vont disparaître et s'arrêter dans la nuit".
Des analyses de téléphonie révèlent en outre que le portable de Cédric Jubillar est resté éteint entre 22h08 et 3h58, fait très inhabituel pour lui – deux fois en 2020 –, et qu'il a contacté "très, très vite" la gendarmerie après le moment où il dit avoir constaté la disparition de sa femme – 16 minutes. Dernier "indice" mentionné : le changement de sens de stationnement de la Peugeot 207 de Delphine Jubillar, selon plusieurs témoignages. De quoi suggérer une utilisation de la voiture pendant la nuit, d'autant que des traces de condensation à l'intérieur, pouvant correspondre à "une présence humaine", ont été détectées.
Confronté à ces éléments en garde à vue, Cédric Jubillar persiste à clamer son innocence. Il soutient qu'il ne s'est pas disputé avec sa femme, assure que son fils doit confondre "avec une autre soirée". L'intérimaire est placé en détention provisoire, à l'isolement.
Le spectre de l'affaire Daval
Quatre mois s'écoulent avant son premier interrogatoire devant les juges, le 15 octobre. La vie du couple continue à être disséquée et exposée au grand jour, au gré des fuites dans la presse. A l'image de leur maison aux briques apparentes, dont les travaux n'ont jamais été achevés, le délitement de leur relation semble ancien. Différence de niveaux de vie, problèmes sexuels, addiction au cannabis de Cédric Jubillar… Lui-même présente les choses ainsi lors de son premier interrogatoire, dont des extraits sont cités par Le Parisien : "J'ai pas de CDI, l'argent ne rentre pas au bon moment, j'ai pas de voiture fixe, j'ai pas de permis, je ne sais pas parler et je fais que crier."
Alors qu'il maintient s'être fait à l'idée de la séparation, les juges le confrontent aux menaces de mort qu'il aurait proférées contre son épouse devant des tiers – "J'en ai marre, je vais la tuer, je vais l'enterrer, personne ne la retrouvera", aurait-il déclaré selon sa mère. Le mis en examen élude : "J'étais en colère, c'était des mots jetés en l'air."
Ses avocats, qui ont déposé une troisième demande de remise en liberté après son dernier interrogatoire du 3 décembre, critiquent auprès de franceinfo une "stratégie de fuite dans la presse" pour "salir l'image" de leur client. Dénonçant une détention "abusive", Jean-Baptiste Alary regrette la "vision monomaniaque" des gendarmes dans ce dossier "depuis le début". "On sort du dossier Jonathann Daval [condamné à 25 ans de prison en novembre 2020 pour le meurtre de sa femme Alexia], ils ont voulu faire pareil", regrette le pénaliste.
Jean-Baptiste Alary démonte un à un les "indices graves et concordants" qui pèsent sur son client. La couette dans la machine à laver ? "Il n'y a rien dans la maison, donc pourquoi suspecter que cette couette contienne quelque chose ?", répond-il, s'étonnant de son expertise tardive et du fait que les résultats ne soient toujours pas communiqués. Les cris entendus par des voisines ? "L'horodatage est impossible" et "les voisins les plus directs des Jubillar n'entendent rien". La voiture qui a changé de sens ? Un élément fragile, qui ne repose que sur quelques témoignages. La condensation à l'intérieur ? "Elle peut aussi bien être due au fait que la vitre était légèrement entrouverte", relève Jean-Baptiste Alary, rappelant au passage que le véhicule, expertisé, ne présentait aucune trace suspecte.
Un enfant pour principal témoin
Et la dispute évoquée par leur fils Louis ? "On ne va pas faire de ce petit l'élément accusateur du dossier", balaie l'avocat de Cédric Jubillar. Laurent Boguet, l'avocat qui représente les deux enfants du couple, placés chez la sœur de Delphine Jubillar depuis l'incarcération de leur père, nuance ce dernier argument : "Louis est l'un des seuls témoins à pouvoir raconter, avec ses mots à lui, avec les limites qui sont liées à son jeune âge, les dernières heures durant lesquelles il a pu voir ses parents."
Il pointe "d'importantes dissonances" entre ce que dit le petit garçon et "ce que son père soutient". L'enfant "explique que sa mère était en train de s'endormir sur le canapé et pas en tenue pour s'apprêter à quitter la maison. Il a entendu une altercation, avec des mots autour de l'idée que le couple devait se séparer définitivement." Selon nos informations, la monture des lunettes de vue de Delphine Jubillar, retrouvée au domicile, était abîmée, ce que son fils n'a pas constaté ce soir-là. Selon lui, ses lunettes étaient "normales".
"Les enfants, dans les grosses affaires criminelles, ça nous renvoie à des exemples terribles, Murielle Bolle, le petit Rambla…" observait Alexandre Martin, autre avocat de Cédric Jubillar, à l'issue du deuxième interrogatoire. La défense regrette que d'autres pistes n'aient pas été davantage exploitées, comme celle de la rivalité amoureuse. La compagne de l'amant de Montauban a appris l'existence de Delphine Jubillar le jour de sa disparition. Ses fadettes font apparaître 145 communications entre le 14 et le 16 décembre. Mais selon nos informations, ces données n'ont rien de suspect et elle a été mise hors de cause, comme son compagnon.
"Ce qui est terrible, c'est le meurtre sans corps"
"Des recherches ont vraiment été menées tous azimuts, souligne auprès de franceinfo Philippe Pressecq, avocat de la cousine de Delphine Jubillar. Cela décrédibilise cette théorie de la défense consistant à dire qu'ils n'ont cherché que dans un sens." Cependant, "ce qui est terrible, c'est le meurtre sans corps", relève le conseil de la partie civile, dressant un parallèle avec l'affaire Viguier, cet homme acquitté deux fois du meurtre de sa femme, disparue à Toulouse en février 2000. L'affaire Jubillar ira-t-elle jusqu'aux assises sans le corps de la victime, sans aveux ni preuve irréfutable ? La situation ne serait pas inédite et par le passé, elle ne s'est pas toujours soldée par un acquittement.
"On n'a pas abandonné et on n'abandonnera jamais tant qu'on ne l'aura pas retrouvée", souligne Emy, l'une des amies de Delphine Jubillar, qui poursuivent inlassablement les recherches autour de Cagnac-Les-Mines et organisent une marche en son hommage dimanche 19 décembre. Pour l'une d'entre elles, qui souhaite conserver son anonymat, "on est dans l'obscurité totale de ce qu'il s'est réellement passé. Bien sûr, les soupçons se dirigent vers Cédric Jubillar, mais on ignore ce qui est arrivé à Delphine." Un an après, cette intime de la disparue espère chose : "Si elle pouvait être retrouvée, que ça s'arrête enfin ! Pour le bien de tous, pour ses enfants, pour nous tous, et que l'on sache la vérité !"
Un an après la disparition de Delphine Jubillar, une enquête sans corps
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