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Projet de loi contre le "séparatisme" : un texte liberticide pour les associations ?

Les sénateurs entament deux semaines d'examen du projet de loi "confortant le respect des principes de la République", dont le but est de combattre l'islamisme radical. En France, les sénateurs ont débuté mardi l'examen du projet de loi "confortant les principes républicains". L'article 6, qui impose un "contrat d'engagement républicain" aux associations, est particulièrement décrié par les défenseurs des droits.     Les sénateurs ont débuté, mardi 30 mars, l'examen du projet de loi "confortant le respect des principes de la République", qui vise à combattre l'islamisme radical en France.    Le texte prévoit un ensemble de mesures pour garantir la neutralité du service public, une meilleure transparence des cultes et de leur financement, le contrôle de l'enseignement à domicile ou bien encore la lutte contre les certificats de virginité ou la polygamie.     Dans le cadre de la lutte contre les idéologies séparatistes, le gouvernement souhaite notamment un contrôle renforcé des associations, dont l'octroi des subventions publiques serait conditionné au respect d'un contrat d'engagement républicain. Le texte prévoit que toute association signataire qui contreviendrait aux principes de la République devrait alors rembourser les sommes versées par l'État.   "Notre objectif, c'est de faire en sorte que pas un euro d'argent public n'aille financer des ennemis de la République", expliquait Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'Intérieur, chargée de la Citoyenneté, le 5 février.    Depuis, alors que le texte a été adopté par l'Assemblée nationale, de nombreuses organisations sont montées au créneau pour dénoncer une loi "liberticide" qui fait peser un climat de défiance sur l'ensemble du milieu associatif français.    "Une interprétation bien trop large"   Le "contrat d'engagement républicain" figure dans l'article 6 du projet de loi présenté au Sénat. Il stipule que les associations doivent s'engager à respecter "les principes de liberté, d'égalité, de fraternité et de respect de la dignité de la personne humaine, ainsi qu'à respecter l'ordre public, les exigences minimales de la vie en société et les symboles fondamentaux de la République".    Au Sénat, dominé par la droite, des députés souhaitent ajouter à cette définition l'engagement à "ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République".   Le gouvernement l'assure, ce contrat, qui a fait l'objet de "larges consultations" avec le milieu associatif et de plusieurs amendements, ne vise qu'à lutter contre les dérives et ne pose aucun risque pour la grande majorité des associations. Les défenseurs des droits, eux, pointent un risque accru pour la liberté associative.   "Au regard du droit international, les autorités françaises ne peuvent pas adopter de mesures discriminatoires visant des personnes en raison de leur appartenance religieuse", explique Katia Roux, chargée de plaidoyer Libertés chez ‎Amnesty International France. "Certains des principes inclus dans ce contrat, comme le 'respect de l'ordre public', sont problématiques, car ils laissent place à une interprétation bien trop large. La Cour européenne des droits de l'Homme a par ailleurs souligné à plusieurs reprises que la liberté d'expression couvrait les formes d'expression dérangeantes, offensantes et choquantes. À ce titre, conditionner les subventions publiques des associations au respect des symboles fondamentaux de la République constitue une restriction illégale du droit à la liberté d'expression." Inquiétudes sur le terrain Parmi les acteurs de terrain, les critères du contrat suscitent de nombreuses craintes et même de franches oppositions. Certains mouvements écologistes considèrent que l'engagement à "respecter l'ordre public" va à l'encontre de leurs actions de désobéissance civile. Une inquiétude d'autant plus grande qu'un autre article du projet de loi, le 7, prévoit que le "contrat d'engagement républicain" devienne un critère d'attribution de l'agrément, le précieux sésame qui offre une reconnaissance des associations par l'État ainsi que divers avantages, dont l'accès aux subventions ou des réductions fiscales.   "Nous œuvrons pour l'intérêt général depuis 50 ans mais ce texte nous met le couteau sous la gorge" dénonce Gabriel Mazzolini, responsable des actions citoyennes chez Les amis de la Terre. "La désobéissance civile est utile à la démocratie et nous ne pouvons pas compter uniquement sur des procédures judiciaires pour nous faire entendre. Si l'extension de l'aéroport de Paris a finalement été jugé "obsolète" et abandonné par le gouvernement, c'est notamment grâce à nos actions citoyennes. Or demain ce texte ambigu pourrait être utilisé pour nous coûter notre agrément et nos subventions, pour peu qu'on ne rentre pas dans ses cases".   Alors que le gouvernement insiste sur la volonté de lutter, avant tout, contre l'islamisme radical, plusieurs représentants religieux sont eux aussi monté au créneau pour dénoncer une mesure qui empiéterait sur leur pratique. "Par sa logique interne, quoi qu'il en soit des intentions, ce projet de loi risque de porter atteinte aux libertés fondamentales que sont la liberté de culte, d'association, d'enseignement, et même à la liberté d'opinion malmenée par une police de la pensée qui s'installe de plus en plus dans l'espace commun", ont souligné Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, et Emmanuel Adamakis, président de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, dans une tribune commune, rendue publique le 10 mars dernier.   >> À voir aussi : L'école à la maison, un dangereux séparatisme ? Utilité contestée   Outre les craintes quant au caractère potentiellement liberticide du contrat d'engagement républicain, certains s'interrogent quant à l'utilité d'une telle mesure alors qu'un accord existe déjà pour fixer le cadre des obligations entre le gouvernement, les élus et les associations. "La Charte d'engagement réciproque de 2014 prévoit déjà un engagement des associations au respect des principes de la République, donc pourquoi imposer aujourd'hui de nouvelles contraintes ?", interroge Katia Roux. "Il existe déjà des chartes dites de la laïcité prises parfois par des régions et des municipalités, mais elles n'ont pas valeur de loi. Certaines ont d'ailleurs été contestées en justice", affirme de son côté Marlène Schiappa, jugeant que ce texte vient en soutien des élus et des maires qui "font preuve de courage pour lutter contre l'islamisme radical".   Dans un nouvel avis publié le 25 mars, la Commission nationale des droits de l'Homme (CNCDH) juge quant à elle que le caractère "unilat"ral" de ce contrat, basé uniquement sur des contraintes, "rompt avec le climat de confiance nécessaire au développement du partenariat prévu" par la charte de 2014.   La CNCDH, Amnesty International France et plusieurs associations, dont Les amis de la Terre, réclament le retrait de l'article 6.   Examiné en procédure accélérée au Sénat, le projet de loi contre le "séparatisme" devrait être approuvé au terme des débats, dans deux semaines.     Un décret en Conseil d'État déterminera alors le contenu exact du contrat d'engagement républicain, ainsi que les conditions du remboursement des subventions en cas de non-respect des règles. 

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