Procès du "violeur de la Sambre" : derrière Dino Scala le "bon père de famille", un prédateur sexuel accusé par 56 femmes
Cet ouvrier de 65 ans, arrêté en février 2018, comparaît à partir de vendredi devant les assises du Nord, à Douai, pour des viols et agressions sexuelles commis sur 56 victimes pendant trente ans, à l'insu de tous.
Il fait encore nuit, ce 16 octobre 2002, lorsque Blandine marche sur un chemin de campagne. Trois kilomètres la séparent du collège d'Aulnoye-Aymeries (Nord), où elle est scolarisée en classe de troisième. Dans quelques semaines, elle aura 14 ans. "J'étais en pleine crise d'ado. Ce matin-là, j'ai décidé de partir à pied, pour éviter de croiser une amie dans le bus."
Blandine voit une voiture bleue et entend le bruit d'une portière qui s'ouvre. Puis des pas. "Quelqu'un a couru derrière moi et m'a lancée sur les orties. Il a essayé de me déshabiller, mais n'a pas réussi. J'avais un pantalon serré. Il s'est masturbé sur moi", relate Blandine à franceinfo, vingt ans plus tard. "Je l'ai laissé faire, j'ai fait la morte." Une voiture passe et fait fuir l'agresseur. "Tout ce que j'ai vu de lui, c'est un pull noir avec une ligne blanche."
Son visage, Blandine le découvre fin février 2018 : des joues rondes, des yeux sombres, des sourcils fournis et un front dégarni. "J'ai ouvert Facebook et j'ai lu un article sur l'arrestation du 'violeur de la Sambre'. C'était une évidence : tous les détails sur sa manière de procéder me révélaient que c'était lui", assure la trentenaire. Comme tout le monde, elle découvre que l'homme interpellé s'appelle Dino Scala. Qu'il est né en 1961, qu'il est marié et père de famille. Qu'il est bien intégré dans sa commune de Pont-sur-Sambre (Nord). Au point que personne ne s'est douté de rien.
"Un homme très discret"
Dès sa garde à vue, Dino Scala reconnaît s'en être pris à une quarantaine de femmes. Mais il nie certains faits, comme la tentative de viol de Blandine. Pourtant, certains éléments liés à son mode opératoire ont permis à la juge d'instruction de conserver ce cas dans le dossier. Ainsi, au terme de la procédure, il est finalement renvoyé pour des viols et des agressions sexuelles, ou des tentatives, parfois avec arme et sur mineure, commis entre 1988 et 2018 sur 56 femmes, dont Blandine.
Son procès se déroule devant la cour d'assises du Nord, à Douai, du vendredi 10 juin au vendredi 1er juillet. Il encourt jusqu'à vingt ans d'emprisonnement. "Les causes de ses agissements seront au cœur des débats. Il veut les expliquer au mieux et a conscience de la gravité des faits", assure à franceinfo Margaux Mathieu, l'avocate de Dino Scala.
Tous ceux qui le connaissent veulent percer le mystère. "Je voudrais bien comprendre pourquoi il a fait ça", déclare par exemple Claude Dupont, maire Les Républicains de Boussières-sur-Sambre depuis 1995. "Le jour où on a su que c'était lui le violeur, j'étais furieux, choqué et stupéfait, confie l'édile de 69 ans. Je l'ai connu comme un homme très discret, qui rendait service à tout le monde."
Un mode opératoire rodé
Dino Scala est très actif. Il se partage entre le foot, sa famille, son emploi et des travaux au noir pour arrondir les fins de mois. Titulaire d'un CAP électromécanique, ce technicien de maintenance collabore depuis de nombreuses années au sein de Jeumont Electric, où sont fabriqués des moteurs pour des secteurs industriels. Pour s'y rendre, il lui suffit de suivre le lit de la Sambre. Dino Scala ne fait pas de vagues à l'usine. "Il travaillait avec un de mes gamins, qui me l'a présenté. Je l'ai vu trois fois. Je n'aurais jamais cru ça de ce garçon, j'ai été saisi", explique un garagiste du coin. "Il était apprécié. Il discutait facilement, toujours de bonne humeur. Il cachait vraiment bien son jeu... comme s'il avait deux personnalités", ajoute un employé qui l'a côtoyé à partir de 2008.
L'image lisse du collègue modèle vole en éclats juste avant ses journées de travail. La plupart du temps, Dino Scala se livre à un déchaînement de violence à l'automne ou en hiver, aux prémices de l'aube. Il choisit des lieux à l'abri des regards. Interrogé par les enquêteurs sur chaque viol ou agression sexuelle commis, il explique lui-même son mode opératoire bien rodé : "Je l'ai saisie au cou", "je lui ai fait une clé de bras", "je l'ai attrapée par derrière, je l'ai mise par terre". Pour étrangler la victime, il utilise un foulard ou une corde qu'il garde toujours dans sa voiture. Souvent, il lui intime l'ordre de se taire et la menace avec un couteau. Il lui bande les yeux, puis la viole. Il lui arrive de demander de compter jusqu'à 30, le temps pour lui de fuir.
Le "violeur de la Sambre" se fait parfois oublier pendant un an, voire deux. Puis il sévit à nouveau, à quelques semaines d'intervalle. Aux yeux de Dino Scala, ces femmes agressées et violées "restent des ombres abstraites", d'après les psychologues qui l'ont expertisé. Mais pour elles, le traumatisme est profond et a laissé une cicatrice à vie. Certaines n'auront pas la force de venir témoigner au procès. Toutes redoutent de lui faire face, même si elles attendent une condamnation pour tourner la page.
"Ces affaires étaient étouffées"
Malgré l'ADN recueilli sur plusieurs scènes de crime, l'enquête a longtemps piétiné. Jusqu'à ce qu'on identifie sa plaque d'immatriculation sur des images de vidéosurveillance de la ville belge d'Erquelinnes, après l'agression d'une femme qui a réussi à prendre la fuite. Ce qui a permis aux enquêteurs de mettre enfin la main sur celui qui a été surnommé "le violeur de la Sambre". Sans cela, personne n'aurait jamais soupçonné cet homme au casier judiciaire vierge et à la vie banale.
"Dans la région, tout le monde connaissait une victime, mais personne ne faisait le rapprochement", explique à franceinfo Séverine Billard, avocate de trois plaignantes. "Ces affaires étaient étouffées ou restaient dans le cercle familial. Et tout dépendait sur qui on tombait quand on allait porter plainte." "A l'époque, dans l'idée commune, la plaignante avait toujours une part de responsabilité", abonde son confrère Emmanuel Riglaire, qui représente deux autres femmes. "Dino Scala a, comme nous tous, sa part d'ombre. Mais ce qui est incroyable, c'est qu'elle n'ait pas été visible pendant tant d'années", constate-t-il.
"C'est très exceptionnel qu'il n'ait pas été arrêté avant", insiste auprès de franceinfo le psychiatre Daniel Zagury. L'expert judiciaire estime que cela "prouve" qu'il maîtrisait "son mode opératoire" et "témoigne d'une certaine habileté à ne pas se faire appréhender". "C'est extrêmement frappant de voir comment ce type de sujet peut fonctionner, autour de ce mécanisme qu'on appelle le clivage, observe Daniel Zagury. Une partie d'eux-mêmes est complètement adaptée. Mais en parallèle, ils ont des conduites sidérantes, en rupture et en contradiction apparente." Dans son livre La barbarie des hommes ordinaires (éd. L'Observatoire, 2018), le psychiatre les désigne comme "monsieur Tout Le Monstre", en opposition au "monsieur Tout Le Monde" que les proches décrivent "quand ils apprennent les actes monstrueux commis".
"Le prédateur active dans son cerveau une mémoire traumatique"
"Quand il viole pour la première fois, quelque chose de tel se produit qu'il le répète et le systématise, avec un sentiment d'impunité. C'est ce qui saute aux yeux chez ce violeur en série", analyse également Daniel Zagury. "En commettant son premier crime, le prédateur active dans son cerveau une mémoire traumatique. Quand il est envahi à nouveau par les images de ce premier viol, il va avoir envie de rejouer la scène. Il passe à l'acte pour se soulager", expliquait déjà à franceinfo Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie, au moment de l'arrestation de Dino Scala en 2018.
"D'un côté, il y a la violence, avec les agressions, sur une longue période. De l'autre, un homme apprécié, attachant : c'est un bon père de famille, un ami sincère, un mari aimant. Il y a un clivage entre deux facettes opposées", concède son avocate. A l'époque de son arrestation, sa femme, rencontrée en 1988, le dépeint comme "serviable, ouvert, attentionné". Leurs trois enfants décrivent quant à eux des parents "normaux et complémentaires", bien que, selon le benjamin de la fratrie, le couple n'est pas heureux et sa mère dépressive.
Mais sa première épouse, avec laquelle il a été marié sept ans et a eu deux enfants, n'a pas le même vécu. Elle brosse le portrait d'un homme infidèle et violent, à la double personnalité. Et l'accuse d'abus sexuels sur l'une de ses sœurs. Des allégations devenues un secret de famille, mais qui ont refait surface au cours des auditions des uns et des autres. Quant à sa première fille, elle l'accuse d'attouchements et, avec son frère, l'appelle "l'autre".
"Eternel second"
Dino Scala a rompu les liens avec cette première famille depuis près de trente ans. Il en a peu avec ses trois frères et ses deux sœurs. D'origine italienne, il a été traité de "spaghetti macaroni" dans son enfance et ces moqueries l'ont marqué. Face à la juge d'instruction, en août 2019, il a expliqué "s'être toujours senti à part et non reconnu à sa juste valeur". Il dit éprouver en permanence "une sorte d'injustice", qui l'oblige "à demeurer l'éternel second dans les yeux de son père, de son épouse, de son employeur, ou même des clubs de football où il entraînait". Selon ses dires, c'est ce sentiment qui guide ses actes, afin de "retrouver la lumière là où tout le monde le laissait dans l'ombre".
Son comportement violent serait-il une vengeance sur les autres ? Les psychiatres et psychologues qui l'ont analysé divergent sur ce point. Pour les premiers, ce serait "céder à la facilité". Ils pointent "l'état dangereux" de Dino Scala. Les seconds décrivent un homme "obsessionnel", "un prédateur-chasseur qui agit dans l'ombre". Ils relèvent des "tendances psychopathiques élevées" chez lui. Et une "indifférence" à ce qu'a vécu l'une de ses sœurs, qui dit avoir subi des attouchements de leur père entre 4 et 13 ans. Car l'enquête a fait ressurgir cet autre secret de famille. "Cela peut être un cofacteur. Mais ce n'est pas parce que son père est incestueux qu'il est devenu violeur. Il y a beaucoup d'éléments qui se conjuguent", prévient le psychiatre Daniel Zagury.
Blandine, elle, n'a pas été très surprise par les révélations sur la double vie de l'accusé. "Il ne doit pas être le seul comme ça. C'est un détraqué, c'est tout", pense-t-elle. Aujourd'hui, elle ne veut plus "se voir comme une victime" et invitera les autres femmes à en faire de même le 24 juin, lors de son témoignage face à la cour d'assises. Et face au box des accusés, où se trouvera Dino Scala.