Procès des attentats du 13-Novembre : le récit "surréaliste" de six otages du Bataclan, dont "la vie ne tenait qu'à un fil"
Procès des attentats du 13-Novembre : le récit "surréaliste" de six otages du Bataclan, dont "la vie ne tenait qu'à un fil"
Six des onze otages du Bataclan le soir du 13 novembre 2015 ont témoigné mardi devant la cour d'assises spéciale de Paris, racontant ces heures passées dans un "couloir exigu" avec deux terroristes.
Ils étaient onze. "Trois femmes et huit hommes", raconte Grégory, mardi 19 octobre au procès des attentats du 13 novembre 2015. Six des spectateurs du Bataclan pris en otage par les terroristes se sont succédé à la barre pour témoigner de ces plus de deux heures "surréalistes" passées dans un "couloir exigu" de la salle de concert, jusqu'à l'assaut final de la BRI.
A la barre, Grégory, cheveux gris et écharpe rouge sur sa chemise bleue, explique qu'il est au balcon, avec son amie Caroline, quand les premiers tirs retentissent dans la salle, à 21h47. "Le balcon s'est vidé en quelques secondes", mais eux restent. Au sol, les yeux fermés, Grégory "fai(t) le mort" lorsque les terroristes montent à l'étage. Jusqu'à entendre cette "voix directive", celle d'Ismaël Omar Mostefai, qui ordonne à plusieurs reprises : "Debout !" Gregory rassemble ses affaires. "Pourquoi tu prends tes affaires ? Ça sert à rien, tu vas mourir."
"Ils nous demandent pour qui on a voté"
Les deux amis sont regroupés à gauche du balcon, bientôt rejoints par d'autres spectateurs, comme Sébastien, David Fritz-Goeppinger, Arnaud et Marie, qui ont également témoigné devant la cour d'assises spéciale. Les otages se souviennent d'abord des terroristes qui "prennent plaisir" à tirer dans la fosse, en contrebas. L'un d'eux paraissait comme "possédé", selon Caroline.
Les anciens otages évoquent également les "menaces" et les "diatribes" de Foued Mohamed Aggad et Ismaël Omar Mostefai. "Ils nous expliquent qu'ils viennent de Syrie, que François Hollande tue les femmes et les enfants en Syrie et en Irak", rapporte Grégory. "Ils nous demandent pour qui on a voté" à l'élection présidentielle. Les terroristes s'agacent parce que "plusieurs des otages expliquent qu'ils n'ont pas voté", ajoute-t-il.
L'explosion du troisième assaillant, Samy Amimour, sur la scène du Bataclan, peu avant 22 heures, a "précipité les choses", se remémore à son tour Caroline. Les terroristes rassemblent les otages dans un couloir et leur ordonnent de se placer contre les fenêtres. L'un d'eux somme Grégory d'aller chercher une sacoche de munitions sur le balcon : "Tu cours, tu vas la chercher. Si tu n'y vas pas, je te tue."
Les témoins décrivent aussi "les tâches" confiées par les terroristes. Certains otages devaient surveiller les fenêtres, quand Caroline était "chargée de regarder le plafond". Derrière la porte du couloir, désormais fermée, Grégory doit rapporter ce qu'il entend dans la salle. L'homme de 39 ans écoute les "râles", les "cris". "C'est bien, tu travailles bien", le félicite même un des assaillants.
"Le scénario, ils ne l'avaient pas écrit d'avance"
Sébastien explique que les terroristes lui demandent de brûler une liasse de billets. Sans vraiment comprendre pourquoi, il obéit. "Je pense à Gainsbourg à ce moment-là", confie à la barre cet ancien journaliste, vêtu d'une chemise à carreaux rouges, la même que celle qu'il portait ce soir-là. Les billets presque consumés, un terroriste isole Sébastien au fond du couloir.
Mais le terroriste lui ordonne simplement de "retourner à (sa) place". Les messages et les actions des assaillants "étaient très contradictoires. Ils n'avaient pas l'air d'avoir préparé" cette prise d'otages, analyse Caroline. "Le scénario, ils ne l'avaient pas écrit d'avance", abonde Sébastien.
Une certaine improvisation transparait d'ailleurs lors des négociations avec les hommes de la BRI, massés derrière la porte du couloir. "Dans un premier temps", les terroristes exigent des talkies-walkies, détaille à son tour David. Puis, un otage propose d'utiliser son téléphone. S'en suit une scène "surréaliste", où les otages déclinent à plusieurs reprises le numéro de téléphone aux forces de l'ordre. De l'autre côté, le négociateur de la BRI peine à les entendre et répète les chiffres du numéro avec son "accent du Sud très chargé", relève David. "Dans cette horreur-là, c'est un moment qui nous a fait un peu souffler", se souvient Grégory.
Les terroristes exigent une lettre écrite de François Hollande s'engageant au retrait des troupes militaires en Syrie. "Ça ne me paraissait pas être une demande réfléchie", poursuit Caroline. Les négociations patinent, malgré les nombreux "coups de fil" avec les membres de la BRI. "Je pensais que le dimanche, on y serait encore", grince Grégory, qui garde tout de même "l'espoir d'une issue favorable". David, lui, est résigné.
D'autant que David se rend compte que Foued Mohamed Aggad, à côté de lui, porte un gilet explosif. Le terroriste prononce ce qui ressemble "à une dernière prière". "Qu'est-ce que tu fais ? Tu vas pas me faire ça mon frère ?", lui lance alors Ismaël Omar Mostefai. "Non, non", rassure l'autre.
La "violence inouïe" de l'assaut
Il est 0h18 quand l'assaut final est lancé. "Pour moi, ça paraît durer une éternité et ce n'est qu'après que j'ai appris que ça avait duré 60 secondes", confie Grégory. De cette intervention d'une "violence inouïe", les anciens otages se souviennent des balles des terroristes "qui fusent au-dessus de (leurs) têtes", de l'imposant bouclier de la BRI, des "lasers verts", des grenades. "On n'avait plus aucune notion de l'espace, j'ai commencé à me faire piétiner", se remémore Caroline. Foued Mohamed Aggad déclenche sa ceinture explosive. Le corps de David est soulevé par la puissance de la détonation. "Pour moi, je suis mort, Mais j'entends du bruit, je me dis que c'est une bonne nouvelle."
Ce soir-là, les otages sont sortis vivants du Bataclan. Une issue que tous les témoins disent devoir aux "héros", aux "dieux" de la BRI qui ont mené l'assaut avec "brio". "Ce soir-là, c'était eux qui étaient derrière cette porte et ils ont fait leur maximum pour qu'on sorte tous sains et saufs de ce couloir", insiste Grégory. Une survie qu'ils doivent aussi à eux-mêmes. "Chacun a gardé son calme" et "personne n'a craqué", assurent-ils. Au travers de cette expérience commune, les onze otages ont tissé de forts liens amicaux. Ensemble, ils s'appellent désormais les "potages", contraction de "potes" et d'"otages". Un surnom à la fois "humoristique" et "tendre", sourit Sébastien.