Procès des attentats du 13-novembre : de nombreuses zones d'ombre subsistent autour de la logistique
Croquis d'audience réalisé le 6 janvier 2022 montrant les coaccusés Osama Krayem (à gauche), Mohamed Abrini, Mohamed Amri et Salah Abdeslam (à droite), le principal suspect des attentats, lors du procès du 13 novembre 2015 à Paris et des attaques de Saint-Denis,
Une nouvelle phase du procès consacrée à la logistique, entamée le 1er mars, a permis de livrer à la cour des éléments de réponse sur la préparation des attentats du 13 novembre 2015. Mais une fois encore, l’enquête belge laisse de nombreuses questions en suspens. Immense déception côté partie civile.
Armes, cachettes, téléphones, faux papiers, voitures… Le procès des attentats du 13-Novembre est entré depuis le 1er mars et jusqu'au 17 mars dans une nouvelle phase : la logistique. Après avoir recueilli les témoignages des rescapéset de leur famille, examiné le parcours des jihadistes, auditionné les enquêteurs et les grands témoins, comme François Hollande, la cour d'assises spécialement composée se penche durant trois semaines sur les éléments matériels qui ont permis de mettre en place les attentats de novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis.
Cette nouvelle phase signe le retour des enquêteurs belges. Déjà entendus en novembre, quatre autres membres de la police belge ont été auditionnés du 1er au 7 mars, après deux semaines de suspension d'audience à cause de cas de Covid-19 parmi les accusés. Ils ont cherché à expliquer comment la cellule terroriste, basée à Bruxelles et dans ses environs, avait fomenté les attentats du 13 novembre 2015 et ceux de Bruxelles, le 22 mars 2016. Ces nouvelles auditions ont levé une partie du mystère des préparatifs.
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Huit cachettes louées, dix-huit fausses cartes d'identité
Pour trouver les cachettes d'abord. Guidés par les frères Ibrahim et Khalid El Bakraoui (tous deux kamikazes dans les attentats de Bruxelles), les terroristes ont procédé à de nombreuses visites d'habitations dans le but d'en faire des planques. Les enquêteurs ont ensuite relevé huit locations de logements. Deux appartements ont servi à cacher les terroristes après les attentats du 13 novembre 2015. D'autres ont servi de planque aux frères El Bakraoui, ainsi qu'à des membres de commandos venus de Syrie. Enfin, des traces de TATP [puissant explosif] et des machines à laver désossées – dont les petites pièces métalliques ont pu être récupérées pour la confection des ceintures explosives – laissées dans deux caches ont permis aux enquêteurs belges de supposer qu'elles avaient servi à la fabrication d'armes explosives.
L'enquête menée autour des planques a aussi permis de découvrir l'existence de dix-huit fausses cartes d'identité commandées par les terroristes. Quatorze d'entre elles provenaient d'une filière démantelée à l'automne 2015. Les autres n'ont pas été retrouvées. À chaque location, des faux papiers d'identité, et même de fausses fiches de paie, ont été fournis.
Des préparatifs minutieux
Pour obtenir ces faux papiers, le modus operandi était toujours le même : Khalid El Bakraoui se mettait en relation avec un premier intermédiaire, Farid Kharkhach, présent sur le banc des accusés, qui appelait un autre intermédiaire qui contactait le faussaire. Chaque commande était passée avec précaution, selon les enquêteurs belges. Les appels pour obtenir les faux papiers étaient passés sur une ligne téléphonique prépayée. Les faux documents étaient réceptionnés sur une autre. En tout, Khalid El Bakroui a eu recours à seize lignes différentes en six mois au cours de l'année 2015. Une carte d'identité pouvait être commandée en une semaine. Coût de l'opération : 1 000 euros, primes des intermédiaires comprises. Pour fabriquer les faux papiers – souvent réalisés à partir de vrais documents volés – les terroristes se faisaient prendre en photo avec des perruques et des lunettes. Des accoutrements grossiers qui n'ont visiblement pas suscité de méfiance particulière.
L'enquête belge pointe aussi des imprudences majeures qui posent questions. Salah Abdeslam a notamment loué une BMW sous son propre nom et indiqué le numéro de téléphone de son ami Mohamed Abrini au loueur. Le véhicule a pourtant servi à récupérer Bilal Hadfi et Chakib Akrouh, kamikazes du Stade de France et des terrasses, qui se trouvaient alors en Hongrie. Mais pour Me Olivia Ronen, avocate de Salah Abdeslam, il n'y a là rien d'étonnant, puisqu'elle assure que son client n'a jamais utilisé de faux papiers.
Des failles béantes
Au-delà de ces quelques éléments apportés par les enquêteurs belges, il demeure surtout de nombreuses zones d'ombre portant notamment sur la provenance des armes. Une enquêtrice belge entendue le 7 mars, par visioconférence depuis Bruxelles, a reconnu ne pas être parvenue à "remonter la filière d'approvisionnement". Tout au plus, l'officier de police identifiée sous le matricule 447437051 a indiqué avoir mis en évidence "les démarches entreprises par certains membres de la cellule [jihadiste] pour s'en procurer". Une semaine avant les attentats, Mohamed Bakkali, considéré comme l'un des logisticiens du commando, aurait pris contact avec un certain Mohammed E. pour se procurer six kalachnikovs. Interpellé et poursuivi en Belgique, Mohammed E. ne fait pas partie des accusés jugés à Paris.
L'enquêtrice a également évoqué des contacts avec des Kurdes et des Tchétchènes dans la région de Liège. Ces contacts ont-ils abouti ? Elle ne peut l'affirmer. Les vérifications tardives de cette piste par la police belge, seulement à partir de 2018, n'ont pas permis une collecte suffisante de preuves. Une autre piste mène vers les Pays-Bas. "Une filière néerlandaise a bien été utilisée pour acheter des armes", assure l'enquêtrice. Mais les témoins qui ont accepté de s'exprimer devant la cour d'assises spéciale de Paris, en visioconférence depuis Rotterdam et avec l'intermédiaire d'une interprète, ont choisi de s'en tenir à des réponses laconiques ou ont fait usage de leur "droit au silence".
Frustration de la partie civile
Autant de failles qui exaspèrent la partie civile. "Depuis le début du procès, les choses se sont plutôt bien déroulées, estime Arthur Dénouveaux, président de l'association Life for Paris, contacté par France 24. Les victimes ont pu s'exprimer pendant cinq semaines, les prises de paroles des accusés – que l'on disait murés dans le silence – ont été intéressantes, en ce qu'elles ont permis de comprendre le parcours de radicalisation. Mais le gros point noir de ce procès reste le volet de l'enquête belge, déplore-t-il. Leurs techniques d'enquête résistent mal aux questions de la défense. Chaque nouvel élément apporté est battu en brèche par les avocats des accusés parce que beaucoup de leurs conclusions reposent sur de simples hypothèses."
Plus que frustré, le responsable associatif se dit "désolé" par la situation, comme un grand nombre de ses adhérents. Tous redoutent que le manque de preuves de la police belge aboutisse à d'éventuels acquittements. "Cela prouve au moins qu'il s'agit là d'un vrai procès dans lequel les accusés ont la possibilité de se défendre, conclut-il. Preuve que l'on ne cherche pas la vengeance, mais bien la justice".