Procès des attentats du 13-Novembre : "90 de mes amis ont été tués" ce soir-là, témoigne le chanteur du groupe Eagles of Death Metal
Ce devait être le "meilleur concert de la tournée", ce 13 novembre 2015. Le groupe américain Eagles of Death Metal, EODM pour les fans, se produit au Bataclan, à Paris. Six ans et demi plus tard, le chanteur Jesse Hughes et l'ancien guitariste du groupe, Eden Galindo, ont témoigné au procès des attentats qui ont fait 130 morts ce soir-là, dont 90 dans la salle de concert.
Costume noir et cordon rouge autour du cou – le signe distinctif pour les parties civiles qui ne souhaitent pas être importunées par la presse – Eden Galindo, 52 ans, est le premier à s'avancer à la barre. Assisté d'une traductrice, il raconte à la cour d'assises spéciale l'ambiance au concert avant les premiers tirs. "Nous avons fait les vérifications du son, tout se passait bien, c’était 'a great show' ('un grand spectacle')." Puis vient la fameuse chanson "Kiss The Devil".
Eden Galindo est alerté par Jesse Hughes, familier des coups de feu car "il vient d'une communauté désertique de Californie" comme il le précisera lors de sa déposition, qu'il s'agit bien de tirs. Le guitariste voit "des flashs dans la foule" et les visages interloqués des spectateurs au premier rang : "Il y avait tellement de monde qu’ils n’arrivaient pas à bouger." La panique gagne la scène. "On a tous couru sur le côté, poursuit-il. On pensait que ça allait s’arrêter mais ça a continué, ils ont commencé à tous tirer en même temps puis ils ont rechargé. Le technicien nous a dit : 'La prochaine fois que ça s'arrête, on court'."
Eden Galindo, l'ex-guitariste du groupe Eagles of Death Metal, au procès des attentats du 13-Novembre, le 17 mai devant la cour d'assises spéciale de Paris. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)
Avec Jesse Hughes, il monte à l'étage pour récupérer la petite amie de ce dernier. Dans la confusion, ils mettent du temps à la localiser, avant de la trouver dans une loge. Les tirs continuent. Ils finissent par sortir de la salle "par une porte sur le côté". "On a couru dans la rue, on ne savait pas où aller, on ne savait pas s’ils étaient après nous, on avait très peur, décrit, avec un débit rapide, Eden Galindo, une feuille de papier sous les yeux. Et là un jeune homme qui est devenu un bon ami, Arthur [Dénouveaux, président de l'association Life for Paris], a appelé un taxi et nous a fait monter dedans en nous disant d’aller au commissariat."
"Les événements du 13-Novembre ont changé ma vie à jamais"
Au commissariat, ils sont entourés d'autres victimes, "blessées" et couvertes de "sang". Après une longue attente, la nouvelle de la mort du merchandiser du groupe, Nick Alexander, tombe. "Nous sommes rentrés à la maison, je me sentais comme brisé, c’était très difficile de reprendre une vie normale", témoigne Eden Galindo. Après "une thérapie" et un retour en Europe pour finir la tournée, le musicien a quitté le groupe. "Aujourd'hui, ma vie est différente, j’ai des filles et une femme magnifiques, mais je ne serai plus jamais le même, conclut-il. Je veux dire aux familles des victimes que je pense à elles chaque jour et que je prie pour elles."
Jesse Hughes, costume noir et cravate rouge, cheveux noués en catogan et longue moustache, prend le relais à la barre. Après avoir remercié "le président de la France, la maire de Paris, la cour, le juge, l’association Life for Paris et tout particulièrement le peuple français, toujours bienveillant envers moi et mon groupe", il confie son appréhension à venir témoigner ici des "évènements du 13-Novembre", qui "ont changé ma vie à jamais".
Les provocations du chanteur après les attentats semblent loin. Son ton et son propos sont mesurés, l'émotion est contenue. "Au fur et à mesure que ce jour approchait, j’ai commencé ressentir cette nervosité familière (...) que je porte en moi depuis les attaques, explique-t-il. J’ai recommencé à sentir des choses que j’avais enfouies, des sentiments que je pensais avoir surmontés."
Comme Eden Galindo avant lui, il se souvient de sa joie de venir jouer à Paris ce soir-là, lui qui entretient avec les Français "une love affair" (une "histoire d'amour") bien connue. La salle est comble, "tous les tickets avaient été vendus". On connaît la suite : les tirs, la scène quittée précipitamment, la recherche éperdue de sa "fiancée" car "je savais que la mort se rapprochait", la sortie en trombe de la salle et cet "ange" qui les met dans un taxi. Et puis l'inquiétude et l'attente de savoir ce qui est arrivé aux membres du groupe, mais aussi au public : "Je savais déjà qu’on avait perdu des amis car de mon point de vue, tous ceux qui étaient là ce soir-là étaient des amis."
Jesse Hughes raconte la reconstruction. "Je ne savais pas si j’aurais la force de revenir sur scène, parce que je pensais que j’étais comme le fromage qui devait attirer les souris pour piéger les souris", métaphorise-t-il. "Après les attaques, je me suis posé beaucoup de questions, j’étais un peu perdu. Je me suis appuyé sur des amis, notamment en France, pour continuer à aller de l’avant." Le chanteur du groupe, actuellement en tournée en Europe, se veut optimiste : "Cette tragédie a pu être transformée en un flambeau de lumière et c’est pour cela que j’ai pardonné à ces pauvres âmes qui ont commis ces actes." Pour conclure, Jesse Hughes cite le chanteur britannique de heavy metal Ozzy Osbourne : "You can't kill rock'n roll." ("Vous ne pouvez pas tuer le rock'n roll").