Procès 13-Novembre : le médecin-chef de la BRI, premier soignant à entrer au Bataclan, raconte son intervention
Denis Safran était chargé de secourir les victimes présentes dans la fosse du Bataclan. Il témoigne au procès des attentats ce jeudi 28 octobre.
Le soir du 13 novembre 2015, il fut la première blouse blanche, à entrer dans l'enfer du Bataclan. Médecin-chef de la BRI, la Brigade de recherche et d'intervention, Denis Safran a reçu l'ordre de s'occuper des victimes dans la fosse, où il a piloté l'évacuation des blessés, au lieu de rester avec sa colonne. Il témoigne jeudi 28 octobre à la barre, après la longue séquence d'audition des parties civiles.
Denis Safran, 73 ans reçoit dans "son antre", comme il dit, à la préfecture de police, juste en face du tribunal où se tient tous les jours le procès des attentats du 13 novembre 2015. Ce soir-là, alors que les secours sont bloqués à l'extérieur du périmètre de sécurité, il fait face à l’horreur. Au moment de son intervention, il a pour lui une très grande expérience, comme ancien chef de service d'anesthésie-réanimation à l'hôpital européen Georges Pompidou, à Paris, et un passage auprès des pompiers. Six ans après, Denis Safran préfère rester à l'écart du procès. Seule exception jeudi 28 octobre, où il a été appelé à témoigner.
franceinfo : Quand vous arrivez au Bataclan avec la colonne d'assaut de la BRI vers 22h30 [l'attaque des terroristes a démarré à 21h48] vous êtes dans quel état d'esprit, et que faites-vous en entrant ?
Denis Safran : Lorsque j'arrive, je trouve une situation extrêmement inquiétante, je dirais même une situation d'horreur. Il y a déjà des victimes sur le trottoir. Tout est sens dessus-dessous. Il y a du verre brisé partout et lorsque j'entre avec ma colonne dans le hall d'accueil du Bataclan, je vois des victimes décédées et des victimes blessées très gravement, et a fortiori lorsque l'on ouvre les portes qui donnent sur la fosse.
Je prends immédiatement conscience que nous sommes dans une situation épouvantable, en particulier au plan médical, et qu'il va falloir agir rapidement. Alors effectivement, je quitte la colonne d'assaut.
Une fois à l'intérieur du Bataclan, comment travaillez-vous ? Vous soignez les gens directement ?
Lorsque nous arrivons, on ne sait pas combien il y a de terroristes. On ne sait pas pas s'il n'y a pas des terroristes cachés au milieu des victimes. Et on ne sait pas non plus si le bâtiment a ou non été piégé. On sait qu'il y a un risque d'explosion à tout moment. Donc, l'objectif, c'est une situation bien connue des militaires, c'est d'évacuer le maximum de gens le plus rapidement possible. Lorsque l'ordre leur a été donné, de sortir par le chef de colonne, j'ai vu affluer un très grand nombre de gens, dont les premiers valides marchant et même courant pour certains, et puis d'autres portés par leurs amis, leurs camarades qui étaient avec eux parce qu'ils avaient du mal à se mouvoir. Et puis, enfin, des gens très blessés qui étaient traînés par d'autres. Devant cet afflux, j'avais beaucoup, beaucoup de travail.
Le matériel que vous avez le plus utilisé ce soir-là, ce sont des ciseaux ?
Oui, ce sont mes ciseaux qu'on appelle des ciseaux tactiques capables de découper de fortes épaisseurs de tissu. Évidemment, quand je vois un blessé arriver, la première chose, c'est de voir. Il faut faire un bilan très rapide et ça, ça demande beaucoup d'expérience médicale. Voir en quelques secondes après avoir découpé le t-shirt, voire le pantalon, la gravité de la blessure, et savoir si elle peut attendre ou si le blessé doit être sorti prioritairement.
Pendant le procès, de nombreuses parties civiles se sont plaintes que les secours soient arrivés si tard. Comment leur expliquer que ça ne pouvait pas être plus rapide, que vous avez fait ce que vous avez pu ?
Dans cet endroit qu'on appelle la zone rouge, c'est-à-dire la zone de guerre, la zone où ça peut tirer de nouveau, où ça peut exploser, si vous faites entrer des secours en masse et que l'immeuble explose, s'effondre, ou qu'il y a un tir de kalachnikov de dizaines de cartouches en même temps, vous risquez de décimer les secours. Vous vous imaginez bien que ce n'est pas envisageable. Donc, on fait entrer les secours lorsque la zone est à peu près sûre. Et d'ailleurs, lorsque nous avons fait entrer les secours, la zone n'était pas totalement sécurisée. Certes, l'assaut avait eu lieu, mais rien ne démontrait qu'il n'y avait pas d'autres terroristes dans la salle et rien ne démontrait que le bâtiment n'était pas piégé. Et néanmoins, nous avons fait entrer les secours qui ont pris un risque considérable.
Vous avez dit on aurait peut-être pu faire mieux ?
On peut toujours faire mieux. Mais vous savez, refaire l'histoire à partir de son bureau sans se replonger dans le contexte... Beaucoup de gens n'ont pas une idée très précise du contexte, on peut le comprendre.
Il faut bien comprendre que l'objectif des médecins comme des secours dans cette situation, c'est de s'occuper des victimes. D'ailleurs, quand je dis que je n'ai plus un souvenir très précis de ce que j'ai fait ce soir-là, c'est parce que toute mon attention était dirigée vers la prise en charge des blessés. Blessés physiques ou même psychologiques parce que les gens qui sont sortis étaient dans un état de panique absolue. Plus rien ne compte. L'environnement ne compte plus. C'est le blessé, la victime, le patient d'abord.
Comment fait-on quand on voit de telles horreurs ?
Vous savez, chacun réagit à titre personnel. Le lendemain [des attentats], on n'a jamais considéré que tout était terminé. Il pouvait y avoir encore des terroristes dans Paris. La BRI a fait beaucoup de perquisitions. Il y avait le centre d'information des victimes, qui était à l'école militaire ou le directeur de cabinet du préfet de police m'a demandé très tôt de bien vouloir me rendre pour lui faire un rapport sur ce qu'il s'y passait. Donc, j'ai été très occupé et ce n'était pas le moment d'avoir des états d'âme.
Avez-vous préparé votre témoignage devant la Cour d'assises spéciale ?
J'ai été expert judiciaire pendant 20 ans, donc j'ai beaucoup été à la barre. J'imagine qu'on va me poser des questions précises. Je répondrai précisément quand je pourrai répondre. Les questions pour lesquelles je n'ai pas de réponses, je ne les inventerai pas. Je serai absolument factuel. Je dirai ce que j'ai vu, je dirai ce que j'ai fait. Je dirai ce que je n'ai pas pu faire, ce que j'aurais aimé pouvoir faire et je m'en tiendrai là. Donc je ne me prépare pas précisément. En tout cas, dans ma tête, je ne refais pas l'histoire.
Avez-vous une appréhension par rapport aux attentes des parties civiles qui viennent de témoigner pendant cinq semaines ?
Je n'ai pas vraiment d'appréhension. Je sais que les parties civiles ont beaucoup d'attentes. Encore une fois, je suis médecin. Je dois informer clairement, loyalement, sans mentir, sans inventer.