Présidentielle : l’État de droit menacé par les projets constitutionnels de Marine Le Pen ?
Élysée 2022
La candidate du Rassemblement national avance dans son programme plusieurs propositions de réforme de la Constitution qui se heurtent à leur faisabilité. Mais Marine Le Pen assure vouloir passer outre grâce au soutien du "peuple".
Marine Le Pen a de grands projets pour la Constitution qui, en l’état, ne lui convient pas. La candidate du Rassemblement national, qui affrontera Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle le 24 avril, entend réviser le texte fondamental de la Ve République. Elle souhaite, d'une part, y inscrire la "priorité nationale" et, d’autre part, instaurer le référendum d'initiative citoyenne (RIC) afin de "rendre plus facile l'organisation de référendums sur tous les sujets".
Problème : il est impossible de modifier la Constitution d'un claquement de doigts. Celle-ci se révise grâce à son article 89, qui dispose que le texte doit d'abord être adopté dans des termes identiques par les députés et sénateurs avant d'être soumis par référendum à l'ensemble des électeurs ou d’être voté par au moins les trois cinquièmes du Parlement réuni en Congrès.
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Une telle procédure nécessite donc d’avoir la majorité à la fois à l’Assemblée nationale et au Sénat ou alors de soumettre un texte suffisamment consensuel pour qu’il soit accepté par l’opposition. Emmanuel Macron, lui-même, s’est cassé les dents avec son projet de révision de la Constitution en 2018 puis en 2019. Ne disposant pas de la majorité au Sénat, tenu par Les Républicains, le président de la République n’est pas parvenu durant son quinquennat à faire adopter son texte.
Qu’à cela ne tienne ! Marine Le Pen affirme qu’elle usera de l’article 11 de la Constitution, qui permet d’organiser des référendums sur "tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions".
"Si le peuple français choisit de changer sa Constitution, alors il le fera"
La candidate d’extrême droite s’appuie sur le précédent créé par le général de Gaulle en 1962. Le premier président de la Ve République avait effectivement utilisé l’article 11 pour organiser le référendum ayant permis d’instaurer le suffrage universel direct à l’élection présidentielle. "Depuis cette date, il a été acquis que la Constitution pouvait être modifiée par référendum directement", a affirmé Marine Le Pen le 12 avril sur France Inter.
Marine Le Pen s’arrange ici avec les faits historiques. L’usage de l’article 11 par le général de Gaulle pour réviser la Constitution avait à l’époque été critiqué par une grande majorité de juristes. De plus, "le Conseil d’État a clairement résumé l’état du droit dans sa décision 'Sarran et Levacher', rendue dans sa formation la plus solennelle le 30 octobre 1998 (…) : seul l’article 89 peut être utilisé pour réviser la Constitution", affirment quatre professeurs de droit dans une tribune publiée le 12 avril dans Le Monde.
"Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs modifié en 2000 sa jurisprudence électorale pour préparer un contrôle du décret convoquant les électeurs à un référendum. C’est la jurisprudence Hauchemaille", ajoutent-ils.
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En clair, la décision Hauchemaille permet au Conseil constitutionnel de contrôler la constitutionnalité du référendum avant même son organisation. Une jurisprudence que Marine Le Pen a balayé du revers de la main lorsque celle-ci lui a été opposée lors de son interview sur France Inter. "Le seul souverain en France, c’est le peuple. Si le peuple français choisit de changer sa Constitution, alors il le fera", a-t-elle affirmé.
"À la limite du coup d’État"
Si Marine Le Pen allait au bout de son projet malgré l’avis défavorable du Conseil constitutionnel, cela ouvrirait une crise institutionnelle. "Aux termes de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et ne sont susceptibles d'aucun recours. Si elle décidait néanmoins de passer outre, on serait à la limite du coup d'État ou, en tout cas, face à une grave mise en cause de nos institutions susceptible de justifier une destitution", estime d’ailleurs la constitutionnaliste Anne Levade, professeure de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, interrogée par Les Échos le 13 avril.
Un danger que ne manque pas de pointer du doigt son adversaire du second tour. "L'implicite de la démarche de Mme Le Pen, c'est qu'au fond, une fois élue, elle considère qu'elle est supérieure à la Constitution, puisqu'elle peut ne pas la respecter pour en changer les règles. Ça, c'est une rupture, et c'est grave", a pointé Emmanuel Macron dans un entretien avec France Culture, diffusé lundi.
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"D'autres le font dans d'autres pays, ça se fait très bien en Hongrie, ça permet de changer un régime à la main, mais je le dénonce", a poursuivi le chef de l’État en référence aux penchants autoritaires de Viktor Orban.
Un parallèle que font également les auteurs de la tribune publiée dans Le Monde. "Ce projet politique consistant à violer la Constitution pour y inscrire, en faisant appel au référendum, l’idéologie nationaliste d’extrême droite portée par le Rassemblement national en dit long sur la manière dont Mme Le Pen envisage son accession à la tête de l’État. Comme tous les leaders autoritaires, elle veut dynamiter la démocratie libérale en faisant appel au peuple", soulignent-ils.