Présidentielle 2022 : on vous présente NationBuilder, le logiciel américain utilisé par de nombreux candidats pour faire campagne
Cette plateforme, élaborée en 2009, combine la création de site internet de campagne, la gestion de base de données de sympathisants ainsi que la possibilité d'envoyer des messages de propagande électorale.
Savez-vous ce qui réunit Eric Zemmour, Fabien Roussel, Anne Hidalgo et Yannick Jadot ? Qu'ils soient de gauche ou d'extrême droite, tous ces candidats à l'élection présidentielle font appel aux services de NationBuilder pour organiser leur campagne numérique. Cette entreprise américaine, qui a déjà travaillé avec les équipes d'Emmanuel Macron et de Jean-Luc Mélenchon en 2017, propose aux associations et partis politiques du monde entier une solution "tout en un" pour optimiser leur présence en ligne et recruter des forces vives sur le terrain. Franceinfo vous présente cet acteur quasi-invisible du grand public, mais omniprésent lors de ce scrutin.
Un outil semblable à un couteau-suisse
Créée en 2009, NationBuilder met à disposition de ses clients un logiciel appelé CMS (Content Management System) dans le jargon du numérique. Spécifiquement adapté à la mobilisation citoyenne, cet outil de gestion de contenus propose plusieurs fonctionnalités. Il permet d'abord de construire rapidement un site de campagne, dont chaque page ou presque est dédiée au recrutement de nouvelles forces vives.
Outre les traditionnels programmes, les sites d'Eric Zemmour, Anne Hidalgo, Fabien Roussel ou Yannick Jadot proposent systématiquement aux internautes "d'agir" en s'inscrivant à un meeting à venir, à une newsletter, à un événement de campagne près de chez eux ou encore à faire un don. Avec, bien sûr, la possibilité de le faire savoir à leurs proches sur les réseaux sociaux dans le but que ceux-ci les imitent.
Parfois ajoutées à un fichier préexistant des adhérents du parti, les coordonnées des curieux "recrutés" sur internet viennent gonfler une base de données rassemblant les informations disponibles sur les sympathisants. NationBuilder propose ensuite aux équipes des candidats de gérer l'envoi de textos et de mails aux militants de façon très fine.
"Si quelqu'un nous a signalé être particulièrement intéressé par les thématiques liées à l'écologie, on peut lui transmettre spécifiquement des contenus de la campagne qui portent sur cette question", détaille Julia Castanier, directrice de la communication du communiste Fabien Roussel.
Une plateforme qui se dit "apolitique"
Le logiciel permet aussi d'automatiser certaines tâches. Un curieux vient de s'inscrire à la newsletter de votre champion ? Vous pouvez programmer NationBuilder pour instantanément lui envoyer un mail de remerciement signé par le candidat, puis attendre 48 heures avant de lui transmettre un nouveau courriel l'invitant cette fois à rejoindre une réunion à venir de militants locaux. Le logiciel de l'entreprise américaine offre enfin la possibilité de se connecter à des applications annexes, comme Qomon, pour organiser des distributions de tracts ou des sessions de porte-à-porte.
La solution "tout en un" a séduit des organisations dans le monde entier. En Australie, une ONG de soutien aux réfugiés a récemment utilisé la plateforme pour lever plus de 250 000 dollars en une semaine, tandis que le camp des défenseurs du mariage pour tous l'a utilisé pour mobiliser ses troupes en Suisse. NationBuilder a également vendu ses services aux Etats-Unis pour la campagne numérique de Donald Trump en 2016. La même année, au Royaume-Uni, lors de la lutte acharnée du Brexit, le camp du "leave" comme celui du "remain" ont eux aussi fait appel aux services de l'entreprise. Contacté par franceinfo, un porte-parole de l'entreprise insiste sur l'aspect "apolitique" de son outil.
Le site de campagne d'Eric Zemmour, dont l'infrastructure est gérée par NationBuilder. (FRANCEINFO)
Treize ans après sa création, la machine NationBuilder est bien rodée et permet, en seulement quelques jours s'il le faut, de poser les bases d'une campagne numérique. L'équipe d'Eric Zemmour ne s'y est pas trompée. "On aurait préféré utiliser un service français, mais il n'y a rien qui permet de faire ce que NationBuilder propose", répond Samuel Lafont, chargé de la stratégie numérique de la campagne d'Eric Zemmour, lorsque Le Point lui fait remarquer que le choix de faire appel à une entreprise américaine peut paraître paradoxal quand on se veut être l'incarnation de la "reconquête française".
Un logiciel sans alternative "made in France"
Cette solution efficace a cependant un coût. En 2017, le camp d'Emmanuel Macron avait dépensé environ 48 000 euros pour six mois d’utilisation du logiciel, après avoir obtenu une remise commerciale de 20 000 euros, comme le révélait à l'époque la cellule investigation de Radio France. Pour s'épargner de telles dépenses, les équipes du président sortant comme celles de Jean-Luc Mélenchon n'ont cette fois pas souhaité rempiler avec l'entreprise américaine. Pour justifier cette démarche, La République en marche indique sobrement à franceinfo avoir "simplement fait le choix de développer [ses] propres outils" pour le scrutin, tout comme La France insoumise, qui a travaillé depuis 2017 à l'élaboration d'Action populaire, son réseau social "maison".
"En 2017, on utilisait NationBuilder, mais on avait eu besoin de le 'hacker' [pirater] un peu pour le faire fonctionner comme on le souhaitait, détaille Jill-Maud Royer, responsable des outils numériques de la campagne de Jean-Luc Mélenchon. On avait notamment détourné la fonction permettant de créer des événements pour donner aux militants la possibilité de créer eux-mêmes des groupes locaux, sans validation par le mouvement. On a donc développé Action populaire pour lui donner une forme d'horizontalité propre à La France insoumise."
Les équipes du candidat insoumis mettent également en avant la question du respect des données personnelles et disent avoir privilégié une solution leur permettant d'héberger leurs données en France, plutôt que sur les serveurs de l'entreprise américaine. Un argument également avancé par le camp de Fabien Roussel, qui songe à ne plus utiliser NationBuilder dans les prochains mois. Celui-ci précise à franceinfo que la base de données contenant les informations personnelles des militants qu'exploite NationBuilder est basée en France. Interrogé sur ce point, un porte-parole de l'entreprise affirme que "NationBuilder est entièrement conforme" au règlement européen sur la protection des données, et assure que ses clients sont les seuls à pouvoir accéder aux données électorales récoltées.