Polémique autour de l'abaya dans les écoles françaises : ce qu'il faut savoir
tenue scolaire
Depuis que le ministre de l'Éducation nationale, Gabriel Attal, a annoncé l'interdiction prochaine de l'abaya à l'école en France, la polémique politique enfle. Certains considèrent cette longue robe traditionnelle comme un "signe religieux ostensible" contraire à la laïcité, tandis que d'autres dénoncent une décision contraire à la Constitution. LFI a annoncé, mardi, son intention de saisir le Conseil d'État.
Des lycéennes vérifient leurs résultats aux examens du bac général au lycée Pasteur à Strasbourg, dans l'est de la France, le 4 juillet 2023.
L'abaya est une longue robe traditionnelle portée au-dessus des vêtements et couvrant l'ensemble du corps jusqu'aux chevilles – à l'exception du visage, des mains et des pieds.
En Arabie saoudite, l'abaya noire était de rigueur pour les femmes dans l'espace public jusqu'en 2018, date à laquelle le prince héritier Mohammed ben Salmane a estimé que son port n'était pas obligatoire dans l'islam et dans le pays. Dans la pratique, l'abaya, parfois déclinée dans diverses couleurs vives, reste néanmoins la norme.
Le qamis, très long et large, est la version masculine de ce vêtement. Il est porté dans de nombreux pays arabes et certains pays africains.
Dès sa nomination à l'Éducation, fin juillet, Gabriel Attal avait jugé qu'aller à l'école en abaya était "un geste religieux, visant à tester la résistance de la République sur le sanctuaire laïc que doit constituer l'école". Dans cette logique, le ministre a déclaré le 27 août sur TF1 : "J'ai décidé qu'on ne pourrait plus porter d'abaya à l'école". Et d'expliquer : "Vous rentrez dans une salle de classe, vous ne devez pas être capable d'identifier la religion des élèves en les regardant".
Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a, quant à lui, estimé en juin que l'abaya "n'est pas" un signe religieux musulman. "C'est une forme de mode", a abondé, dimanche, sur BFMTV, Abdallah Zekri, le vice-président du CFCM.
Haoues Seniguer, maître de conférence à l'IEP de Lyon et spécialiste de l'islamisme, estime que l'abaya "est beaucoup plus ambivalent qu'un voile". "En contexte arabe ou dans les pays du Golfe", l'abaya "n'est pas fondamentalement ou initialement un vêtement religieux", rappelle-t-il. "La meilleure manière pour savoir si c'est religieux ou pas, c'est de savoir le sens que donnent à ce vêtement celles qui le portent".
Pour Iannis Roder, directeur de l'observatoire de l'Éducation à la Fondation Jean Jaurès, "le phénomène est circonscrit à certains établissements et quartiers, mais l'abaya étant devenue par le fait des réseaux sociaux un objet viral, il a essaimé".
Dans les faits, quelque 150 établissements sur près de 60 000 sont concernés sur tout le territoire, selon une note des services de l'État révélée le 24 août par Europe 1.
Toujours selon cette même note, les atteintes à la laïcité ont augmenté de 120 % entre l'année scolaire 2021-2022 et 2022-2023. Le port de signes et de tenues – qui constitue la majorité de ces atteintes – a quant à lui augmenté de plus de 150 % tout au long de la dernière année scolaire. Au total, 4 710 signalements pour atteintes à la laïcité à l'école ont été recensés en 2022.
Selon la loi du 15 mars 2004, "dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit".
Une circulaire du 18 mai 2004 précise que "les signes et tenues qui sont interdits sont ceux dont le port conduit à se faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse tels que le voile islamique, quel que soit le nom qu'on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive".
Dans sa circulaire du 9 novembre 2022, le ministère de l'Éducation nationale considère les abayas – au même titre que les bandanas et jupes longues, également cités – comme des tenues pouvant être interdites si elles sont "portées de manière à manifester ostensiblement une appartenance religieuse".
La circulaire souligne aussi que le Conseil d'État distingue les signes ou tenues qui manifestent "par leur nature même, une appartenance religieuse", et ceux qui "peuvent le devenir" en raison "du comportement de l'élève". "Dans les deux cas, ils sont interdits", indique-t-elle.
C'est justement la plus haute juridiction administrative qu'entend saisir La France insoumise, comme l'a annoncé, mardi 29 août, son coordinateur Manuel Bompard.
"Je proposerai à notre groupe parlementaire d'attaquer au Conseil d'État cette réglementation parce que je pense qu'elle va être contraire à la Constitution, qu'à mon avis elle est dangereuse, elle est cruelle", a déclaré sur France 2 le député des Bouches-du-Rhône. Selon lui, cette interdiction va "se traduire par encore une fois des discriminations à l'égard des jeunes femmes, et en particulier des jeunes femmes de confession musulmane".
"Les autorités religieuses du culte musulman disent que les abayas ne sont pas une tenue religieuse et donc moi, je suis attaché à la défense de la laïcité, (...) je ne vois pas pourquoi il faudrait l'interdire", a-t-il argumenté, en soulignant attendre "autre chose du ministre de l'Éducation nationale que d'aller agiter les peurs et les fantasmes".
Comparé à ses voisins européens, la France est le pays le plus strict concernant le port de signes religieux à l'école, comme l'explique Franceinfo. Plusieurs pays, comme la Suisse ou l'Allemagne, ont une tolérance à ce sujet.
La Constitution fédérale suisse "garantit l’égalité devant la loi ainsi que la liberté de conscience et de croyance", comme le précise une brochure datée de 2017 intitulée "La laïcité à l'école". La loi fédérale n'interdit pas aux élèves de porter des signes religieux, mais la situation peut varier en fonction des cantons.
La loi fondamentale allemande garantit, quant à elle, que "la liberté de foi, de conscience et de croyance est inviolable". Ainsi, le port de signes religieux ou de tenues vestimentaires conformes à des croyances sont admis pour les élèves à l’école.
En Italie, la laïcité n'est pas inscrite dans la Constitution, mais il n'y a pas de restriction généralisée sur le port de signe religieux à l'école – tout comme en Espagne, même si le pays est un État laïc depuis 1978.
Avec AFP