"Plus utiles que jamais" : à Malakoff, les médiateurs de quartier pour prévenir les conflits
REPORTAGE
De notre envoyé spécial à Malakoff – Depuis trois ans, des médiateurs sociaux arpentent la ville de Malakoff, dans les Hauts-de-Seine. Leur mission : prévenir les conflits et les troubles à l'ordre du public par le dialogue, en recréant du lien avec la population. Un rôle primordial pour rassurer la population alors que les festivités du 14-Juillet ont pu raviver le spectre de tensions après les émeutes des dernières semaines.
Les médiateurs sociaux de Malakoff opèrent sur la place du 11-Novembre, où se trouve la mairie de la ville, le 13 juillet 2023.
Des paillettes sur les joues des enfants, des ballons en forme de renard, la chanteuse de pop Corine sur scène devant des dizaines de badauds et, à 23 heures pile, un feu d'artifice. Malgré les craintes suscitées par les émeutes qui ont émaillé la France ces dernières semaines, les festivités du 14-Juillet, célébrées un peu en avance jeudi 13 juillet à Malakoff, dans les Hauts-de-Seine, se sont passées sans anicroche. Si un important dispositif policier avait été prévu pour l'occasion, filtrant notamment l'accès à la place du 11-Novembre où avaient lieu des célébrations, au milieu de la foule, cinq autres personnes ont veillé au grain toute la soirée : les médiateurs sociaux.
La mission de ces cinq hommes affublés d'un T-shirt violet criard : prévenir et désamorcer par le dialogue les potentiels conflits et troubles à l’ordre public mais aussi créer du lien avec les habitants. "C’est vraiment un job où on se sent utile", explique tout sourire Samba Baye, du haut de ses 1,80m. "On peut aussi bien aider des sans-abri à sortir de la galère que sensibiliser des jeunes à certains enjeux ou encore essayer de calmer le jeu quand une situation dégénère. Et parfois, comme ce soir, nous sommes juste là au cas où on aurait besoin de nous."
Samba faisait partie des deux premiers médiateurs de Malakoff lorsque le dispositif a été installé en 2020. Aujourd'hui, ils sont cinq à opérer cinq jours par semaine dans tous les quartiers de la ville. Tous sont embauchés par l'association Promevil, spécialiste de la médiation sociale, en partenariat avec la municipalité et les deux bailleurs sociaux.
"Alors qu'est-ce que vous pensez de la soirée ?"
Dès le début de soirée, jeudi, Samba et ses collègues errent donc parmi les badauds. Quelques habitués leur adressent un bonsoir et un sourire, d'autres leur serrent la main et prennent quelques nouvelles. Subitement, Baba, un autre médiateur s'éclipse et se dirige vers un groupe de sans-abri installé sur des bancs. Il s’approche. Les hommes lui sourient largement. Ils discutent, font quelques pas à l'écart. La situation paraît calme. "On les connaît bien. Ils errent souvent sur la place et malheureusement, ils boivent beaucoup. J'ai essayé de leur expliquer que ce soir, ils devaient être encore plus prudents parce que c'était une soirée exceptionnelle", explique Baba.
À quelques mètres de là, juste derrière le cordon de sécurité installé par la police municipale, un groupe d'adolescents rient fort. Cette fois-ci, c'est Karim, médiateur rompu au métier depuis 10 ans, qui entame le dialogue. "Alors qu'est-ce que vous pensez de la soirée ?", leur lance-t-il. "C'est cool ça met l'ambiance", répond l'un d'eux, avant de s'écrier, en pointant du doigt le toit de l'immeuble derrière lui : "Mais moi j'ai envie de voir le feu d'artifice de là-haut !". L'idée est tout de suite coupée court par Karim qui lui rappelle qu'escalader une propriétée est non seulement illégale mais aussi très dangereux. L'adolescent finit par acquiescer. La bêtise paraît abandonnée. La conversation se poursuit à coups de blagues et de références à Mansour Barnaoui, un jeune de Malakoff devenu champion de MMA et idole des ados du coin.
Puis, naturellement, arrive le sujet des émeutes des dernières semaines. La bande dégaine son téléphone pour montrer des images qui les ont visiblement marqués. Parmi eux, l'un assure avoir pris part aux violences, l'autre avoue, la mine déçue, avoir été forcé de rester chez lui. Tous, en revanche, arrivent à la même conclusion : "on s'identifie à Nahel, c'était injuste ce qu'il lui ai arrivé !"
"Ce sont des bons gamins, ils sont à l'écoute", salue Karim. Le résultat, assure-t-il, de trois ans à tisser des relations avec eux.
Passer les quartiers au peigne fin
Avant même le début des festivités du 14-Juillet, Karim, Samba et Baba étaient ainsi persuadés que la soirée serait calme. Pourtant, dans l'après-midi, l'inquiétude était palpable en ville.
L'équipe a commencé à arpenter les rues de Malakoff pour sa ronde habituelle vers 16 h 30. Pendant deux heures, elle a vérifié chaque recoin pour traquer des dysfonctionnements et prendre en photo des dépôts d'ordures sauvages. Elle s'est aussi arrêtée régulièrement pour discuter avec les passants et à chaque immeuble pour saluer le gardien et recueillir ses remarques et doléances. Dans la liste : une ou deux portes cassées et quelques soucis de voisinage. Mais une question est revenue systématiquement - "alors la soirée risque d'être chargée ?"
La ville de Malakoff a pourtant été plutôt épargnée par les émeutes qui ont fait suite à la mort de Nahel, tué par un policier. "Quelques voitures et poubelles ont brûlé et une boutique a été vandalisée", détaille Samba. Un "bon bilan" qui est en partie, estime-t-il, dû au travail des médiateurs sur le terrain. Pour la soirée du 14-Juillet, il se contentera donc de conseiller de ranger ses poubelles.
"Nous avons parlé à ces jeunes pendant les émeutes. Ils ont pu exprimer leur sentiment d’injustice et leur colère, témoigne-t-il. "De nôtre côté, nous avons pu les sensibiliser et leur expliquer que non seulement répondre par la violence n’était pas la solution mais qu'en plus, ils risquaient gros s’ils prenaient part aux dégradations. Plusieurs jeunes nous ont répondu qu’ils avaient compris et qu’ils allaient essayer d’en parler avec leurs copains", conclut-il, satisfait.
"Nous sommes un vrai dispositif de proximité, nous sommes les personnes vers qui se tourner pour les soucis du quotidien", résume encore Samba. "Ici, les services publics manquent le soir. La mairie ferme à 17 h et après, il n’y a plus rien. Les médiateurs permettent de maintenir le lien social tout le temps."
D'autant plus, ajoute Baba, "que les relations entre la police et la population ne sont pas au beau fixe ces temps-ci". "Nous notre rôle est de conseiller, pas d'ordonner, et de créer du lien. Et en cela nous sommes plus utiles que jamais." Un constat partagé par de nombreux riverains croisés, qui une fois rassurés sur leur souci aiment bien conclure "heureusement que vous êtes là !"