Plan santé sur la recherche et l'innovation : "L'argent ne réglera pas tout"
Emmanuel Macron a dévoilé mardi les grandes lignes de son plan santé : 7 milliards d’euros pour stimuler les investissements dans la recherche et l’innovation. Une initiative louable mais qui ne suffira pas à relancer l’industrie française à l’étranger, selon l’économiste Frédéric Bizard.
Faire de la France un leader européen à l'horizon 2030. Mardi 29 juin, Emmanuel Macron a dévoilé son plan visant à relancer la recherche et l’innovation française dans le domaine de la santé. Un investissement avoisinant les 7 milliards d’euros pour développer les biothérapies (thérapies innovantes dont fait partie l'ARN messager), la santé numérique ainsi que les programmes et sites de recherche.
Combinant fonds publics et privés, ce plan doit notamment permettre de rattraper le retard de la France, mis en exergue par la pandémie de Covid-19 et les ratés de la recherche française sur les vaccins. “J’ai, comme beaucoup d’entre vous, noté les lourdeurs qui ont ralenti notre système. (…) Nos grandes structures n’ont pas été les plus rapides au monde”, a reconnu le chef de l'État dans un discours à l'Élysée. Pour analyser les tenants et les aboutissants du plan santé, France 24 s’est entretenu avec Frédéric Bizard, professeur d'économie associé à l’ESCP Business School et président de l'Institut Santé.
Le choix d’Emmanuel Macron de mettre l’accent sur les thérapies innovantes en développant les programmes et sites de recherche vous paraît-elle le bon ?
Frédéric Bizard : Mettre en place un plan dédié à l’innovation thérapeutique médicale afin de refaire de la France un grand acteur de la recherche et de l’innovation est bien sûr une bonne orientation. Mais la question est de savoir si on s’en donne véritablement les moyens. Le plan part du principe que le système est solide et qu’il suffit de redonner du financement pour recréer un élan. Or l’écosystème de la recherche, de l’industrie et de la protection est en état de décomposition avancé et il faut le repenser complètement. La France a raté le virage des biotechnologies il y a dix ans et elle est en train de rater celui de la génomique aujourd’hui. Certes, Emmanuel Macron a souligné des lourdeurs et la volonté d’accélérer les processus, mais il n’y a pour l’heure pas de réforme concrète qui va dans le sens d’une profonde refonte du système.
Quelle doit être selon vous la priorité pour relancer l’industrie de la recherche et l’innovation ?
Nous avons en France un vrai problème de gouvernance du médicament avec plusieurs agences qui s’entremêlent : HAS (Haute autorité de santé), CEPS (Comité économique des produits de santé), ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé)... Ce système ultrabureaucratique génère des concurrences et ralentit considérablement le processus pour obtenir les autorisations, qui est en moyenne de 500 jours en France contre 100 en Allemagne. La priorité doit être de supprimer ces agences et mettre en place une gouvernance horizontale efficace.
Le gouvernement planche aujourd’hui sur la création d’une agence de l’innovation. C’est une bonne idée, à condition qu’elle se substitue aux autres, d’autant plus que nombre d’étapes sont maintenant gérées à l’échelle européenne. Une seule agence doit gérer l’évaluation médicale et médico-économique de manière transversale. Le rapport à la recherche doit lui aussi être réévalué ; le système égalitariste à la française qui donne à tous les chercheurs les mêmes moyens est éculé et génère une fuite des cerveaux. Dans ce domaine, c’est comme dans le sport, il faut pouvoir sélectionner et prendre des risques car un chercheur hors du commun peut révolutionner un domaine.
Le montant de 7 milliards d’euros annoncé par le président vous semble-t-il à la hauteur de l’enjeu ?
Il y a bien sûr un enjeu financier pour refaire de la France une puissance compétitive dans le domaine de la recherche médicale. L’investissement public a baissé de 28 % en dix ans, à 2,5 milliards d’euros. L’Allemagne, elle, a augmenté son investissement sur la même période, pour atteindre 6 milliards. Il y a donc un profond écart à rattraper dont le gouvernement semble prendre la mesure. Mais il faudra juger de cet investissement dans le détail et s’assurer qu’il permette une amélioration durable.
Pour redevenir compétitive à l’échelle européenne, la recherche médicale française aurait besoin d’un budget pérennisé autour de 5 milliards d’euros par an. Or la santé est régie par une loi de financement annuelle qui empêche toute visibilité à moyen terme. Nous aurions besoin d’une loi de programmation sur cinq ans, comme on le fait pour le militaire. Ce système favoriserait les investissements et prises de risque des industriels. Car le montant de 7 milliards annoncé comprend une partie de financement privé, mais le domaine de la recherche est peu attractif en France ; la plupart des études cliniques sont menées dans des pays étrangers à la réglementation moins lourde, comme la Belgique ou l’Espagne. Tout n’est pas perdu, la France a des ressources, notamment d’excellents chercheurs, et la crise du Covid-19 a généré une prise de conscience qui peut permettre de construire l’écosystème pharmaceutique du XXIe siècle pour redevenir un grand acteur international. Mais pour y parvenir, l’argent ne réglera pas tout, il faut repenser le système.