Plan de sobriété énergétique : un premier test climatique pour le gouvernement
La Première ministre française, Élisabeth Borne, et la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, le 5 octobre 2022, quittant l'Élysée après le Conseil des ministres.
Le gouvernement présente jeudi après-midi son plan de sobriété énergétique qui vise à réduire de 10 % en deux ans la consommation d’énergie de la France. Les premières mesures publiées par la presse témoignent d’une volonté de faire des économies d’énergie, mais en incitant les citoyens plutôt qu’en les contraignant.
Le gouvernement se sait attendu, alors il a mis les petits plats dans les grands : c’est en grande pompe que la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, présentera, jeudi 6 octobre, dans l’après-midi, son plan de sobriété énergétique. Ce grand raout organisé au Parc des expositions de Paris, pendant plus de trois heures, réunira pas moins de huit ministres et sera conclu par un discours de la cheffe du gouvernement, Élisabeth Borne, devant des dizaines d’invités.
L’objectif est ambitieux : réduire de 10 % la consommation énergétique de la France en deux ans. Si le plan s’est imposé au gouvernement en raison de la guerre en Ukraine et de ses répercussions sur le marché de l’énergie, il vise également à mettre en place des mesures pérennes afin de diminuer à long terme les émissions françaises de gaz à effets de serre.
Ce plan "permettra d'éviter les mesures contraignantes" durant l’hiver à venir, mais "à plus long terme, la sobriété énergétique sera fondamentale pour atteindre nos objectifs climatiques", expliquait il y a quelques semaines Agnès Pannier-Runacher, qui a organisé ces trois derniers mois des groupes de travail avec les différents secteurs concernés.
Se sont ainsi succédé tout au long de l’été des réunions thématiques : "État exemplaire", "Entreprises et organisation du travail", "Établissements recevant du public et grandes surfaces", "Logement", "Collectivités territoriales", "Numérique et télécommunications", "Sports", "Transports" et "Industrie".
L’heure est désormais à la remise des devoirs. L’enjeu est de taille pour le gouvernement puisque la présentation de ce plan de sobriété aura valeur de test sur sa compréhension des enjeux et sa volonté d’impulser des comportements nouveaux.
D’ores et déjà, les premières mesures sont connues, révélées mercredi par Le Parisien. En premier lieu, l'administration se veut être "exemplaire", ce qui passera notamment par une coupure de l'eau chaude dans les sanitaires des bâtiments de l'administration, sauf dans les douches.
Chauffage à 19°C, coupure de l’eau chaude, covoiturage
Le gouvernement souhaite également encourager le télétravail pour limiter les déplacements et réduire le chauffage dans les bâtiments, avec un maximum fixé à 19°C en journée, voire 18°C en cas de tensions sur les réseaux de gaz ou d’électricité.
Dans le monde du sport et des collectivités locales, un degré en moins dans les piscines sera demandé et le chauffage abaissé dans les équipements, selon une source proche du dossier.
Le ministère de la Fonction publique va annoncer en outre une revalorisation de 15 % de l'indemnisation télétravail à destination des agents, qui passerait de 2,50 euros à 2,88 euros par jour. Le gouvernement souhaite que les entreprises fassent de même.
>> À lire : Sobriété énergétique : comment cela se passe-t-il en France et ailleurs en Europe ?
Du côté des particuliers, le gouvernement veut encourager le covoiturage avec la distribution d'un bonus proposé à chaque nouvel inscrit à une plateforme de covoiturage, de 100 euros selon Le Parisien, un montant confirmé par le ministère de la Transition énergétique. Mais le ministère des Transports a indiqué mercredi soir que ce montant de 100 euros n'était pas encore fixé, et qu'il ne le serait que dans le cadre d'un plan sur le covoiturage qui serait présenté dans les prochaines semaines.
Au chapitre de l'éclairage, l'un des axes du plan de sobriété dans les entreprises, un décret devrait être publié jeudi pour généraliser à tout le pays l'extinction des lumières des magasins entre 1 h et 6 h du matin, une interdiction qui connaissait jusqu'à présent des dérogations selon la taille des agglomérations.
>> À lire : Piscines, ski, industries… ces secteurs menacés par l’augmentation des prix de l’énergie
"C’est une bonne démarche de prévoir de commencer la présentation du plan par des engagements de l’État, des collectivités et des entreprises avant de demander aux particuliers de faire des efforts. C’est important pour que le message passe", juge Anne Bringault, coordinatrice des programmes chez Réseau Action Climat, qui a été invitée à intervenir lors de la présentation du plan, jeudi après-midi, sur l’enjeu que représente la sobriété.
"Pour autant, même si les mesures du gouvernement agissent sur les bons leviers, on reste sur de l’incitatif et le bon vouloir des individus, regrette-t-elle. Et surtout, aucun suivi n’est prévu pour savoir s’il y a un impact, contrôler que les mesures fonctionnent."
"Le gouvernement n’a pas encore pris la mesure des transformations à mener"
Fidèle à sa philosophie en matière d’écologie consistant à responsabiliser les citoyens, l’exécutif s’est en effet refusé à toute obligation ou interdiction. Ainsi, dans le secteur des transports qui représente 30 % des émissions de gaz à effet de serre de la France, un abaissement de la limitation de vitesse de 130 km/h à 110 km/h sur les autoroutes et de 110 km/h à 100 km/h sur les voies rapides n’a jamais été mis sur la table. Une telle mesure permettrait pourtant d’économiser 20 % de nos consommations de carburant sur chaque trajet, selon l’association négaWatt.
Dès lors, la question se pose : sans contrainte, les 10 % de réduction de notre consommation énergétique seront-ils atteints ? "Sans aucun système de suivi des engagements et si on en appelle simplement à la bonne volonté des uns et des autres, ça risque de ne pas être suffisant", craint Anne Bringault, dont l’association, Réseau Action Climat, a publié mercredi ses huit conditions "pour un plan de sobriété efficace et juste".
Les oppositions de gauche critiquent elles aussi ce manque d’obligations. Les groupes socialistes et écologistes à l’Assemblée nationale ont tous les deux présenté mercredi leur propre plan de sobriété. Le groupe Insoumis doit en faire autant jeudi après-midi. Leur approche est similaire et est parfaitement résumée par Jérémie Crépel, le secrétaire national adjoint d’Europe Écologie-Les Verts : "Pour le gouvernement, la solution c'est la responsabilité individuelle, pour nous c'est la responsabilité collective."
Les écologistes proposent notamment "d'interdire les écrans numériques dans l'espace public et l'éclairage nocturne des magasins", "réduire la vitesse sur les routes", "limiter légalement le chauffage dans les entreprises et bâtiments publics à 19°C", mais aussi "interdire d'ici 2025 l'usage du gaz dans l'industrie lorsqu'il est aisément remplaçable par des technologies renouvelables". Les socialistes prônent quant à eux un "tarif social pour le minimum d'énergie indispensable à une vie digne", et au-delà, "une tarification progressive pénalisant les gaspillages".
Mais au-delà du débat entre incitation et obligation, c’est bien la notion même de sobriété qui interroge. "La sobriété, c'est la chasse au gaspillage, c'est l'attention au chauffage, à l'éclairage, ce n'est pas demander aux entreprises de baisser leur production ou leur activité", affirmait en septembre la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.
Or, le gouvernement s’est engagé à réduire la consommation d’énergie de la France de 40 % d'ici à 2050 afin d'atteindre la neutralité carbone. Y parviendra-t-il sans baisse de la production ? Impossible, répond Anne Bringault. "Cela montre que le gouvernement n’a pas encore pris la mesure des transformations à mener, estime-t-elle. En fait, il va falloir qu’on consomme moins globalement : moins de viande, moins de textile, moins d’objets de consommation néfastes pour le climat. La sobriété, c’est produire moins."