"On espère arriver à temps" : des volontaires français sur la route de l'Ukraine
Fresque à Paris du street-artiste Seth, représentant une fillette avec un drapeau ukrainien et marchant sur des tanks, le 1er mars 2022.
Alors que la France évacue ses ressortissants d'Ukraine, France 24 s'est entretenu avec des Français qui font la route inverse et se dirigent vers la zone de guerre. Un ancien soldat et un médecin en soins intensifs se préparent à entrer dans le pays, tandis qu'une infirmière et un expert en logistique s'organisent pour envoyer des fournitures médicales.
"Je ne sais vraiment pas ce qui m'attend. Je n'ai jamais connu la guerre à proprement parler", confesse Aurélien (le prénom a été changé). Ancien soldat français, il travaille depuis qu'il a quitté l'armée comme brancardier à l'hôpital. Il pense pouvoir être utile à la résistance ukrainienne et prévoit de quitter cette semaine son domicile du nord de la France pour se rendre en Ukraine, via la Pologne, accompagné d'au moins un autre volontaire français.
"Je souhaite aller en Ukraine pour des raisons évidentes, pour la liberté et pour la paix, développe-t-il. Ce qui est en train de se passer en ce moment, en 2022, cela va à l'encontre du progrès. Kiev doit tenir et ils ont besoin de nous. On espère arriver à temps pour aider la résistance."
Aurélien a appris à se servir d'une arme à feu lorsqu'il était soldat, mais, explique-t-il, "ce sont [s]es années de travail dans un service d'urgence hospitalier qui seront utiles". En tant que brancardier, il a perfectionné ses compétences en matière de premiers secours. À l'hôpital, il est chargé de transporter en toute sécurité les patients et le matériel médical. Mais son entraînement militaire pourra néanmoins se révéler utile, pense-t-il : "Malgré tout, je pense qu'il faut être prêt à toutes les éventualités."
Le trentenaire quittera la France sans équipement militaire. Il n'a pas non plus de contact en Ukraine. Mais il ne s'inquiète pas : "On voudrait, dans un premier temps, aller à la rencontre de la résistance ukrainienne et je pense que la suite suivra", espère-t-il.
La "légion internationale" de l'Ukraine
Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a annoncé le 28 février la création d'une "légion internationale" réunissant les volontaires militaires étrangers. Le gouvernement ukrainien est en train de créer une structure similaire pour rassembler les volontaires médicaux. "Pourquoi pas ?", répond Aurélien, lorsqu'on lui demande s'il compte s'y engager. "J'ai envoyé un mail à l'ambassade d'Ukraine à Paris pour leur faire savoir que j'aimerais être volontaire".
Aurélien risque néanmoins d'être refoulé à la frontière, car il n'a pas de passeport. Il espère que sa carte d'identité française suffira.
Mais Arsène Sabanieev, médecin franco-ukrainien travaillant au Samu de Lille, pensent que les choses risquent d'être un peu plus compliquées. Selon lui, les personnes dans la situation d'Aurélien doivent se présenter physiquement à l'ambassade d'Ukraine à Paris, munies de leur carte d'identité et d'une preuve de leur formation militaire, pour recevoir un laisser-passer spécial.
"Il est impossible de joindre l'ambassade en ce moment, à moins de se rendre sur place physiquement, explique-t-il. Ils sont complètement débordés."
"C'est très risqué"
Le docteur Sabanieev a créé un groupe, sur Facebook, pour rassembler les volontaires médicaux souhaitant se rendre en Ukraine. Intitulé "Volontaires français SOIGNANTS en Ukraine", il se développe rapidement.
"J'ai dit à ceux qui voulaient partir qu'ils n'auraient aucun soutien de la part de l'ambassade de France sur place, ils iront seulement à titre personnel, avertit le médecin. Si l'un d'entre eux est blessé par balle, il sera livré à lui-même. C'est très risqué."
Né à Kiev, le docteur Sabanieev a déménagé en France avec sa mère lorsqu'il avait dix ans. Il prévoit de se rendre en Ukraine ce week-end et il est déjà en contact avec le ministère de la Défense. En attendant, il remplit de matériel et de fournitures médicales une camionnette que lui a prêtée un ami.
"Je suis un patriote ukrainien depuis que j'ai 15 ans, affirme-t-il. Devenir médecin était ma façon d'aider mon pays. Mais je ne me serais jamais douté que nous nous retrouverions dans cette situation."
Il appréhende. Sa femme française ne veut pas qu'il parte. "Mais elle comprend", explique-t-il. "Je ne suis pas formé à la médecine de guerre… Mais j'ai travaillé dans les services d'urgence et je connais les premiers secours. Je sais aussi me servir d'une arme à feu, mais c'est en tant que médecin que j'y vais. J'aiderai à combattre en sauvant des vies."
"On ne peut pas y aller seul et partir à l'aveuglette"
Valérie, infirmière en soins intensifs ayant une expérience du travail humanitaire à l'étranger, a renoncé à partir en Ukraine lorsqu'elle a réalisé qu'elle devrait y aller sans aucune garantie ni soutien des institutions françaises ou des agences gouvernementales. "[Le ministre français des Affaires étrangères] Jean-Yves Le Drian essaie de faire sortir tous les Français qui se trouvent en Ukraine, résume-t-elle. J'ai parlé aux associations humanitaires avec lesquelles j'ai travaillé par le passé et aucune ne va en Ukraine. Il y a une raison à cela : c'est une zone de guerre et c'est extrêmement dangereux. Des drames vont s'ajouter aux drames ukrainiens qui ont déjà lieu."
Toujours désireuse d'aider, Valérie collecte donc des médicaments à la pharmacie de l'hôpital où elle travaille. Elle envisage également de se mettre en relation avec une association expérimentée dans le transport de matériel médical vers l'Ukraine.
"J'aurais aimé faire partie d'un convoi transportant des médicaments, déplore-t-elle. Je pense que je peux être utile. Mais il faut au moins une structure d'encadrement. On ne peut pas y aller seul et partir à l'aveuglette." "Je suis plus utile ici... Mais au fond de mes tripes, je veux y aller", poursuit-elle.
Benoît a lui aussi renoncé à partir. Marié à une Ukrainienne, il dirigeait une société d'importation de vins français, et notamment de champagne, en Ukraine, lorsque les violences ont éclaté dans la région du Donbass en 2014.
Rentré en France, il a créé une association appelée "French & Ukrainians Supporting Army" ("Les Français et les Ukrainiens soutiennent l'armée").
Benoît a relancé le groupe ces dernières semaines. Depuis, il collecte les dons de particuliers en Europe et aux États-Unis pour acheter en ligne des fournitures médicales et militaires et les envoyer aux soldats en Ukraine.
"Nous avons un camion qui part cette semaine, jeudi ou vendredi, avec du matériel médical, des bandages de compression, du Celox [une poudre utilisée pour arrêter les hémorragies], des garrots…", énumère-t-il. "Le chauffeur est ukrainien. La semaine prochaine, un camion partira avec des protections pour les soldats. Je ne fais pas de trafic d'armes, il n'y aura pas d'armes létales."
Ces derniers jours, un de ses amis, soldat dans l'armée ukrainienne, a été tué lors des bombardements russes à Kharkiv.
"J'ai des amis [soldats] à Marioupol. La ville est encerclée par les Russes. Ils me disent : 'Occupe-toi de mes enfants' s'ils ne reviennent pas", rapporte Benoît. "Je suis plus utile ici, en France. Je ne suis pas un militaire, mes amis [ukrainiens] savent se battre. Moi, je sais faire de la logistique. Mais au fond de mes tripes, je veux y aller."
"Ça me démange, ajoute-t-il. Mais j'ai une femme, je suis père. J'ai des responsabilités."
La version originale de cet article traduit de l'anglais est disponible ici.
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