Mort de Nahel : accusée de violences et de racisme, la police de nouveau sous le feu des critiques
État de droit
La police française est la cible de nombreuses critiques depuis la mort du jeune Nahel, tué mardi par un policier après un refus d’obtempérer. La séquence fait ressurgir des problèmes déjà connus et que n’a pas réussi à résoudre Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir il y a six ans.
Un policier met son fusil en joue lors d'une manifestation à Strasbourg, dans l'est de la France, le vendredi 30 juin 2023.
Le coup est rude et a été porté par l’ONU : les Nations unies ont demandé à la France, vendredi 30 juin, de se pencher "sérieusement" sur les problèmes de racisme et de discrimination raciale au sein de ses forces de l'ordre, trois jours après la mort de Nahel, tué par un policier.
"C'est le moment pour le pays de s'attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre", a déclaré Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme, lors du point de presse régulier de l'ONU à Genève.
Les Nations unies se sont également dites préoccupées par les violences qui ont éclaté après la mort de l’adolescent de 17 ans. "Nous comprenons qu'il y a eu beaucoup de pillages et de violences, par certains éléments qui utilisent les manifestations à ces fins, et qu'il y a eu un grand nombre de policiers qui ont également été blessés", a dit la porte-parole, tout en soulignant que c’est justement pour cette raison qu’il est "crucial que la police respecte à tout moment les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité, de non-discrimination, de précaution et de responsabilité".
Ce n'est pas la première fois que la France est pointée du doigt, puisqu’en décembre 2022, le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale avait également exprimé "sa profonde préoccupation face au recours fréquent aux contrôles d'identité, aux interpellations discriminatoires, à l'application d'amendes forfaitaires imposées par la police ou les forces de l’ordre" et qui visent, selon le Comité, "de manière disproportionnée", en particulier les personnes d'origine africaine, d'ascendance africaine ou arabe, les Roms, les gens du voyage et les non-ressortissants.
Une appréciation que confirme le sociologue de la police, Sébastian Roché. "On ne peut éliminer l’aspect ethnique dans cette affaire. Surtout quand on sait qu’il y a une surreprésentation des minorités ethniques dans les personnes tuées lors de refus d’obtempérer", a-t-il affirmé dans un entretien publié le 29 juin dans La Voix du Nord.
Cette accusation est "totalement infondée", selon le gouvernement, qui a peu apprécié les critiques émises par l’ONU et a rapidement réagi. "Toute accusation de racisme ou de discrimination systémiques par les forces de l'ordre en France est totalement infondée", a affirmé le ministère français des Affaires étrangère dans un communiqué. "Le dernier examen périodique universel auquel notre pays s'est soumis nous a permis d'en faire la démonstration", a souligné le Quai d'Orsay, ajoutant que "la France et ses forces de l'ordre luttent avec détermination contre le racisme et toutes les formes de discriminations. Aucun doute n'est permis dans cet engagement".
Les études d'opinion semblent cependant démentir la position officielle française. Au premier tour de l’élection présidentielle 2022, 64 % des policiers et militaires ont voté à l’extrême droite – 39 % pour Marine Le Pen et à 25 % pour Éric Zemmour, selon l’institut de sondage Cluster 17.
"Un appel à la guerre civile"
Comme si une seule polémique ne suffisait pas, les syndicats de police Alliance et Unsa Police ont publié le même jour un communiqué appelant au "combat" contre les "nuisibles" et les "hordes sauvages", qui prennent part aux émeutes nocturnes depuis la mort du jeune Nahel.
"Rétablir l’ordre républicain et mettre les interpellés hors d’état de nuire doivent être les seuls signaux politiques à donner. (…) Se soumettre, capituler et leur faire plaisir en déposant les armes ne sont pas les solutions au regard de la gravité de la situation. Tous les moyens doivent être mis en place pour réinstaurer au plus vite l’État de droit", poursuit le communiqué. Avant de prévenir en conclusion : "Demain, nous serons en résistance et le gouvernement devra en prendre conscience."
"Les 'syndicats' qui appellent à la guerre civile doivent apprendre à se taire. On a vu les comportements meurtriers sur lesquels débouchent ce genre de propos", a tweeté Jean-Luc Mélenchon. L'ancien candidat à la présidentielle de La France insoumise a appelé le "pouvoir politique" à "reprendre en main la police", et conclu : "Ceux qui veulent le calme ne jettent pas de l'huile sur le feu".
"Maintenant, c'est bon, on peut dire qu'il y a un problème structurel dans la police ? Ce texte est un appel à la guerre civile", a critiqué Marine Tondelier, la secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts, sur Twitter.
"Ce qui est le plus important, c'est le début du communiqué, où l'on dit qu'on doit être sur le terrain vu la situation et ne pas déposer les armes", explique à l'AFP Thierry Clair, de l'Unsa Police. "Quand on dit qu'on entrera en résistance, c'est pour dire qu'on se battra ensuite pour une meilleure protection juridique des policiers", a-t-il ajouté, démentant toute volonté de sédition.
Le secrétaire général de l'Unsa, Laurent Escure, et le président de la CFE-CGC, François Hommeril, ont toutefois pris leurs distances avec le communiqué d'Alliance (affilié à la CFE) et Unsa-Police.
Le jour de la mort de Nahel, déjà, c’est le tweet d’un autre syndicat proche de l’extrême droite, France Police, qui avait fait des vagues. "Bravo aux collègues qui ont ouvert le feu sur un jeune criminel de 17 ans. En neutralisant son véhicule, ils ont protégé leur vie et celle des autres usagers de la route. Les seuls responsables de la mort de ce voyou sont ses parents, incapables d'éduquer leur fils", était-il écrit – le tweet a depuis été supprimé et le compte Twitter suspendu.
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui avait demandé dans la foulée qu'un signalement soit effectué sur la plateforme Pharos – pour signaler des contenus et comportements en ligne illicites –, a annoncé saisir le procureur de la République de Paris au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, et a demandé à ses services "d'étudier les modalités d'une dissolution de ce groupuscule".
Échec du Beauvau de la sécurité
Au-delà de la séquence actuelle de l’affaire Nahel, les critiques visant la police ne sont pas nouvelles. Cette dernière avait déjà été épinglée lors des manifestations contre la réforme des retraites. Les États membres du Conseil des droits de l'homme avaient ainsi exprimé, le 1er mai, leurs inquiétudes à l'égard des violences policières et de la discrimination raciale en France. Plusieurs pays, dont le Japon, le Luxembourg, la Suède, la Norvège, le Danemark ou les États-Unis, s'étaient inquiétés du maintien de l’ordre à la française.
Et en remontant encore dans le temps, d’autres affaires ont marqué les esprits : le tabassage du producteur de musique Michel Zecler et la mort du livreur Cédric Chouviat en 2020, les mutilations de Gilets jaunes en 2018 et 2019, la mort d’Adama Traoré en 2016, ou encore la mort de Zyed et Bouna en 2005.
Emmanuel Macron avait pourtant organisé, en 2021, un "Beauvau de la sécurité" qui avait justement pour objectif de réformer la police en améliorant "les conditions d’exercice" des policiers et en consolidant "le lien de confiance entre les Français et les forces de l’ordre".
Mais la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI), issue du Beauvau de la sécurité et promulguée en janvier 2023, n’a pas répondu aux attentes. "La consultation (lors du Beauvau de la sécurité) s’est résumée avant tout à une consultation en interne, de la hiérarchie policière et des syndicats, mais très peu d’apports externes. Et la promesse de réforme de l’IGPN, d’une instance externe, s’est limitée à la nomination d’une magistrate à la tête de l’IGPN", a souligné Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Cesdip à l'université de Versailles Saint-Quentin et spécialiste de la police, le 28 juin, dans l’émission C dans l’air sur France 5.
Enfin, la mise sur pied d’une police du sécurité du quotidien promise par Emmanuel Macron en 2017 – qui devait recréer la police de proximité supprimée en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur – n’a jamais réellement abouti.
"On a cassé la police de proximité qu’on avait dans les quartiers, où on connaissait les prénoms et où on intervenait. Il y a 20 ans, on a fait une police davantage musclée, pour faire des interpellations et faire du chiffre à des desseins électoraux", a regretté Jean-Christophe Couvy, secrétaire national du syndicat SGP Police FO, samedi 1er juillet, sur RTL.
"Il y a une police qui dit 'quand on a des problèmes, il nous faut plus d'armes, plus de pouvoirs, plus d'autorisation de tir'. Ou bien on a une police qui dit 'il nous faut gagner la confiance'. Aujourd'hui, il faut choisir entre ces deux modèles et voir si on peut rééquilibrer. Parce qu'il faudra toujours de la contrainte, il faudra toujours des interpellations policières. Mais c'est une question d’équilibre", a estimé Sébastian Roché, vendredi, sur France Bleu.