Les valeurs défendues par les start-ups font-elles encore rêver les jeunes talents ?
L'événement France Digitale Day 2021, qui se tenait le 22 septembre au musée des Arts forains à Paris, a permis de débattre sur les valeurs de l'écosystème de la tech. Un enjeu très fort, alors que les jeunes talents sont en quête de sens dans leur carrière professionnelle.
Il y a encore quelques années, les start-ups représentaient un idéal. C'était la réussite à la californienne, avec l'argent, la "coolitude" et le sentiment de changer la face du monde grâce au numérique. Depuis, l'épidémie de Covid est passée par là et le bruit de fond de la crise écologique a encore grimpé de plusieurs décibels dans nos vies. Chez les jeunes diplômés de l'enseignement supérieur, un mouvement de fond s'est engagé. Ils sont de plus en plus nombreux à rechercher un métier qui a d'abord une utilité pour la société. Ils ne se privent pas de critiquer les entreprises adeptes du "greenwashing" (une forme de marketing qui donne une image trompeuse de responsabilité écologique) et les "bullshit jobs" (une expression américaine qui désigne des tâches inutiles, superficielles et vides de sens effectuées dans le monde du travail).
En ce mois de septembre, une question, qui pouvait encore sembler incongrue il y a peu est ressortie des débats qui eu pu se tenir à l'événement tech France Digitale Day 2021 : les start-ups font-elles encore rêver les jeunes ?
"Dans le contexte du Covid, les gens se recentrent sur leur vie"
Organisé par France Digitale, qui rassemble 1 800 entrepreneurs et investisseurs dans le secteur des nouvelles technologies, l'événement s'interrogeait mercredi 22 septembre sur "les valeurs" de l'écosystème numérique. Pour approfondir cette thématique qui est dans l'air du temps, Maya Noël, la directrice générale de France Digitale, explique à franceinfo pourquoi elle avait décidé de mettre en grosses lettres le mot anglophone "Values" sur les affiches de l'événement.
"Ce sont les valeurs qui différencient l'Europe des États-Unis. En Europe, on a beaucoup de valeurs, comme l'attachement à la protection des données. On sent aussi que c'est une réelle préoccupation dans le contexte du Covid où les gens se recentrent sur leur vie", juge Maya Noël. Quand on lui demande s'il lui vient en tête l'exemple concret d'une start-up qui émet de bonnes ondes, elle cite Alan, une petite assurance santé : "Ils ont une politique RH très forte. Ils ont mis en place, dès leur lancement, le travail à distance, le droit à la déconnexion...".
Frédéric Mazzella, le PDG de Blablacar, a également son idée sur ce qui motive les jeunes talents à s'engager dans une start-up en 2021. "Il y a d'abord ce que fait la boîte, bien sûr. Chez Blablacar, on peut attirer des talents tout simplement sur notre mission : rassembler les gens dans les voitures pour réduire les émissions de carbone. Les gens qui travaillent dans ce type de société ont souvent une conscience plus large. C'est en revanche beaucoup plus dur pour une entreprise qui n'a pas le même type de mission", développe Frédéric Mazzela. Le patron de la principale plateforme communautaire consacrée au covoiturage porte une simple chemise bleue, qui appuie son prochain propos. "Les gens qui nous rejoignent ne rêvent pas de luxe".
Des salariés d'une start-up parisienne le 5 juin 2020. Photo d'illustration. (AURELIEN MORISSARD / MAXPPP)
"Une génération entière est motivée par la valeur expressive du travail"
C'est l'un des reproches qu'adresse la jeune génération aux acteurs du numérique. Leur mayonnaise est parfois trop chargée en marketing, au détriment du "sens" de la mission. C'est ce qu'a constaté la doctorante Marion Flécher au cours de son travail de terrain mené dans le cadre de sa thèse. "Il y a tout un tas d'études qui nous montrent qu'une génération entière est motivée plutôt par la valeur expressive du travail, que par l'aspect matériel (le salaire, les tickets-restaurant...). S'ils se dirigent vers les start-ups, c'est d'abord parce qu'ils ont fait des stages dans des grandes entreprises et que ça ne leur a pas plu. Il y a une envie chez ses jeunes de trouver un environnement avec une ambiance, de l'autonomie dans le travail, plutôt que des avantages matériels".
Selon cette jeune chercheuse en sociologie à l'université Paris-Dauphine, les jeunes diplômés ne sont cependant pas naïfs sur l'éthique de façade qu'affichent certaines entreprises du monde de la tech. "Pour les valeurs, il y a souvent un marketing un peu hypocrite. Mais, les salariés ne sont pas dupes. Il y quand même beaucoup de critiques sur la tyrannie du bonheur que distillent certains managers". Marion Flécher rejoint le constat du PDG de Blablacar sur ce qui fait briller avant tout les yeux des talents de demain. "La start-up que j'ai étudiée, c'était un projet plutôt vertueux sur le plan de l'écologique. Il y avait une corrélation avec les valeurs de ceux qui voulaient aller dans la boîte. Cela compte pour les salariés qui ne veulent pas que du business".
Dans les entretiens d'embauche qu'il mène, Frédéric Mazzela remarque que les gens "sont à la recherche d'un alignement entre leur aspiration personnelle et ce que fait l'entreprise". Il souligne que dans le monde d'aujourd'hui, "le plus dur ce sont les gens qui ont une certaine conscience politique, mais qui ont un travail à l'opposé de ça sur le plan des valeurs". Bien sûr, on parle là de jeunes surdiplômés qui ont souvent un large éventail de choix pour dégoter leur premier boulot. C'est dans cet open space de l'emploi que "les valeurs" devancent désormais le confort matériel chez de nombreux diplômés de l'enseignement supérieur.