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Législatives : le casse-tête du vote par Internet pour les Français de l’étranger

Cybersécurité Le vote en ligne pour les électeurs français de l'étranger a connu plusieurs bugs depuis son ouverture le 27 mai. D'après le Quai d'Orsay, le scrutin par Internet fonctionne de nouveau. Mais critiques et incompréhensions s'accumulent. Ces difficultés, ainsi que les risques de sécurité, font qu'une mise en œuvre à plus grande échelle est encore loin d'être envisageable. Législatives 2022 © Studio graphique FMM Permettre aux Français de voter à distance. C’était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron il y a cinq ans visant à "moderniser l’image de la politique". Pour la deuxième fois en France, quelque 1,6 million d’électeurs français de l’étranger inscrits sur les listes électorales consulaires ont la possibilité de voter en ligne pour les législatives. Pour le premier tour, la procédure de vote en ligne a ouvert vendredi 27 mai et s’achève le 1er juin (à 12 h, heure de Paris). Mais des ratés techniques sont d’ores et déjà venus entacher ce test grandeur nature. Sur les réseaux sociaux, de nombreux électeurs racontent qu’ils ne sont pas parvenus à finaliser leur démarche et font part de leur colère. Ils ne reçoivent pas le code de validation envoyé à leur adresse électronique et censé leur permettre de voter. "Ça fait quatre fois que j'essaie de voter en ligne pour les législatives de 2022 depuis le Canada", déplorait dans un tweet, dès l’ouverture du vote, Juliette Giannesini, une Française installée à Ottawa. D’autres ont décidé de laisser tomber. "Rien ne fonctionne, l'assistance du ministère ne m'est d'aucune aide et, visiblement, je suis loin d'être le seul", a relaté mardi Paul Gogo, journaliste basé à Moscou. Un bug lié aux adresses Yahoo! et AOL Conscient du problème, le Quai d’Orsay indique que "dès l’apparition de ces difficultés, les équipes du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et leurs prestataires ont travaillé sans relâche pour les corriger". Le problème concernait l’envoi des courriels de confirmation aux électeurs utilisant une adresse de messagerie Yahoo! ou AOL, a précisé le Quai d’Orsay. Une solution technique a semble-t-il été mise en œuvre ce mardi et le ministère affirme que le vote à distance fonctionne de nouveau. "Seul le problème lié aux adresses Yahoo! et AOL a été réglé ce matin… mais il y a encore beaucoup de gens qui n’arrivent pas à voter par Internet. C’est difficilement admissible. Surtout qu’ils étaient censés avoir fait des tests sérieux au préalable", regrettait pourtant en fin de matinée le candidat de la majorité présidentielle dans la 7e circonscription des Français de l’étranger depuis Cracovie en Pologne. Deux tests d’envergure ont en effet été organisés ces derniers mois, selon Franceinfo. Le vote numérique à distance était très attendu par ces Français de l’étranger, à l’instar de ceux vivant aux États-Unis et en Australie notamment, qui pour certains doivent faire jusqu'à cinq heures de route, voire prendre l’avion, pour glisser leur bulletin dans l’urne d'une ambassade ou d'un consulat. "Nos électeurs le réclamaient depuis longtemps, y compris pour la présidentielle", confie un membre de l’équipe d’un député des Français de l’étranger, "surpris" que les tests n’aient pas permis de détecter ce bug et jugeant le dispositif "expérimental". Un raté qui risque de laisser des traces. "La confiance est un élément essentiel dans l’organisation d’une élection. Pour que ce type de dispositif soit généralisé, il faudrait qu’il y ait zéro défaut et aucune faille de sécurité qui pourrait entacher la sincérité globale du scrutin", rappelle Thierry Vedel, chercheur au Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po. Seule l'Estonie vote en ligne pour tous ses scrutins Le vote en ligne avait déjà été testé pour les élections législatives de 2012. Mais pas lors du scrutin suivant en 2017, en raison de craintes d’éventuelles cyberattaques après les ingérences russes dans la présidentielle américaine. "Les difficultés de connexion rencontrées sont un moindre défaut par rapport aux doutes qu'on peut avoir sur la sécurisation absolue du dispositif", souligne Thierry Vedel, qui estime que le climat actuel n’est pas propice à l’installation d’un système de vote par voie numérique à l’étranger. "Dans le cas des Français de l'étranger, les pouvoirs publics font un arbitrage entre les avantages qu'apporte le vote par Internet en termes d'accès au scrutin et les risques, qu'on espère limités, en termes d'intégrité du processus." Les États-Unis, qui avaient envisagé un temps de généraliser la possibilité de recourir au vote en ligne, ont freiné le processus après avoir pris la mesure des risques de piratage. En 2020, seuls les militaires, les expatriés ou les habitants de petites circonscriptions isolées ont pu voter par Internet pour élire leur président. Jusqu’ici, l’Estonie est le seul pays européen à avoir opté pour le vote en ligne pour l’ensemble de ses élections, et ce, grâce à l’adoption massive de la carte d’identité électronique à puce et biométrique. Une menace pour le secret du vote En France, "on ne l’applique pas pour la présidentielle car s’il y a un problème, on devrait théoriquement annuler l’ensemble du scrutin", explique Thierry Vedel. Dans le cas des élections législatives pour les Français de l’étranger, les risques sont plus "limités". "En cas d’anomalie détectée, il y a la possibilité d’annuler le résultat de l’élection dans une circonscription et d’organiser un nouveau vote. Cela arrive d’ailleurs couramment en cas de fraude ou d’infraction au code électoral." En outre, pour ce chercheur, le scrutin en ligne questionne le secret du vote. "Si vous votez par Internet, rien ne garantit que vous n’effectuiez pas l’opération devant une tierce personne qui regarde l'écran et sait pour qui vous votez. Il y a de quoi être inquiet car cela peut ouvrir la voie à des pressions ou de la corruption." Pour le moment, les griefs se concentrent surtout sur l'impossibilité de voter quatre jours durant pour les électeurs disposant d'une adresse Yahoo! ou AOL. Plusieurs candidats dans les circonscriptions de l'étranger confiaient même à Franceinfo "envisager de saisir la justice" pour demander un délai supplémentaire, voire un nouveau scrutin si le vote en ligne n'était pas "rapidement rendu totalement fonctionnel".

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