news-details
Économie et marchés

La guerre en Ukraine, une torpille pour le baron chinois du nickel

MATIÈRES PREMIÈRES Les prix du nickel ont été multipliés par quatre en moins d'une semaine, faisant perdre plusieurs milliards de dollars au roi chinois de l'acier. L'entrepreneur chinois Xiang Guangda a perdu des milliards de dollars en Bourse pour avoir parié sur la baisse des prix du nickel. Malheureusement pour lui, la guerre a propulsé le cours de cette matière première à des niveaux records et ses pertes ont entraîné un événement boursier rarissime. La guerre en Ukraine a fait perdre des sommes records, mardi 8 mars, au baron chinois du nickel. L'entrepreneur Xiang Guangda, surnommé "Big Shot" (le spécialiste des gros coups) dans le milieu de la finance, a payé le prix très fort – au moins 2 milliards de dollars – pour des paris hasardeux sur la baisse du cours du nickel alors que l'invasion de l'Ukraine a entraîné une envolée historique des tarifs de cette matière première. Ce sexagénaire, à la tête de Tsingshan Holding, le numéro 1 mondial de l'acier inoxydable, est l'un des plus importants acheteurs de nickel, qui est l'ingrédient de base du métal produit dans ses usines.  Mauvais calcul pour le milliardaire chinois Xiang Guangda s'est mis à parier dès début 2021 et toujours plus fort sur la chute des prix du nickel. Un choix étonnant : cette matière première est centrale pour la fabrication des batteries utilisées par certains des secteurs les plus porteurs comme celui des voitures électriques. La demande en nickel – portée par les amateurs de Tesla et autres voitures "écolo" – n'est donc pas près de s'effondrer.  C'est pourquoi la plupart des boursicoteurs ont plutôt misé ces derniers mois sur la hausse des prix du nickel. Mais pas Xiang Guangda. "Il estimait probablement que le prix fixé par le marché intégrait déjà tout le potentiel de croissance des secteurs comme la voiture électrique et qu'il n'y avait donc pas de raison pour que le cours du nickel continue à grimper", note Alexandre Baradez, analyste pour IG France, contacté par France 24. Une autre raison, plus technique, tient à ce que l'on appelle la "couverture des risques". Tsingshan Holding pré-commande en effet de grandes quantités de nickel pour fabriquer son acier. Si le cours de cette matière première venait à baisser, le groupe aurait payé le nickel bien plus cher que ce qu'il coûte au moment où on le lui livre. En pariant, en parallèle, sur la baisse, Xiang Guangda pensait être plus malin que le marché et "couvrir" cette éventualité d'une chute des prix. La décision russe d'envahir l'Ukraine ne l'a pas fait changer d'avis ou de stratégie. Pourtant, la Russie est un pays qui compte sur la carte du nickel. "Les sanctions occidentales ont touché de plein fouet le numéro 1 mondial du nickel, le russe Norilsk", rappelle le quotidien Le Monde.  Conséquence : le nickel risque de devenir de plus en plus rare sur les marchés. Et qui dit rareté, dit prix qui s'envolent. Concrètement, "les acheteurs veulent de plus en plus mettre la main sur la précieuse matière première, mais ceux qui en ont, anticipant que le cours va grimper, refusent de vendre, poussant les acquéreurs à proposer des prix toujours plus élevés dans l'espoir de convaincre les vendeurs", explique Alexandre Baradez. C'est ainsi que l'envolée des prix du nickel a mis Xiang Guangda dans une situation boursière des plus inconfortables. Le London Metal Exchange (LME) – la principale place où s'échangent ces matières premières – voyant que les paris douteux du milliardaire chinois allaient lui coûter de plus en plus cher ont demandé à ses courtiers de la Tsingshan Holding de mettre davantage de fonds de côté afin de couvrir les éventuelles pertes. "Comme si le prix du pétrole passait de 100 dollars à 400 dollars en une semaine" Rien d'étonnant à cela. C'est la procédure traditionnelle dans ce genre de situation. Mais, l'un des courtiers de Xiang Guangda, la China Construction Bank (deuxième plus importante banque commerciale en Chine) a refusé, lundi 7 mars, de remettre au pot. Et pas qu'un peu puisque le LME lui demandait de verser plusieurs centaines de millions de dollars.  C'est ce refus ou cette incapacité à satisfaire les demandes du LME qui a déclenché l'un des plus folles envolées des prix de l'histoire des marchés des matières premières. Le cours du nickel a été multiplié par quatre en trois jours pour atteindre 100 000 dollars la tonne, mercredi 9 mars. Auparavant, son prix était passé en un an de 15 000 dollars la tonne à 25 000 dollars la tonne début mars 2022. Et c'était déjà considéré comme une hausse importante… "Ce sont des événements boursiers extrêmement rares. C'est un peu comme si le prix du pétrole passait de 100 dollars à 400 dollars en moins d'une semaine", souligne Alexandre Baradez. Face à cette hausse brutale, le LME a décidé d'interrompre toutes transactions sur le nickel jusqu'à nouvel ordre. Le nickel a été la victime d'un mélange d'ingrédients particulièrement explosifs : un choc externe violent (l'invasion de l'Ukraine), un acteur majeur du marché qui s'est pris les pieds dans ses propres paris boursiers, et "l'arrivée de spéculateurs qui ont cherché à profiter de la situation et ont ainsi amplifié le phénomène", résume l'analyste d'IG France.   Le chant du "cygne noir" C'est ce qu'on appelle un événement "black swan" (cygne noir) sur les marchés financiers. Il s'agit d'incidents imprévisibles qui font varier les cours sur un court laps de temps beaucoup plus que d'habitude. "Au vu de l'importance des variations sur le marché du nickel, c'est un 'black swan' parmi les 'black swan'", s'étonne sur Twitter Mark Thomson, spécialiste des marchés des matières premières. D'après la théorie des "black swan", écrite après la crise financière de 2008 pour évaluer la probabilité que de tels événements apparaissent, l'incroyable bond des prix du nickel a autant de chance de survenir "que de gagner 1,2 million d'euros au loto avec le même ticket plus de vingt fois d'affilée", écrit le site boursier Moneycontrol. Si cet événement est unique de par son ampleur, il est aussi dans l'air du temps, estime Alexandre Baradez. "Il est symptomatique du risque russe pour les marchés financiers. C'est avec ce genre d'incident qu'on se rend compte du décalage entre le poids réel de l'économie russe – dont le PIB est à peine plus élevé que l'Espagne – et l'impact que le moindre choc en Russie peut avoir sur le marché des matières premières", souligne l'analyste. Pour lui, Xiang Guangda ne sera sûrement pas la seule victime de la volatilité sur le marché financier. Que ce soit pour le blé, le titane, l'aluminium ou encore le tournesol, la Russie et l'Ukraine sont des "greniers" à matières premières. Entre les destructions d'infrastructures dues à la guerre et les sanctions économiques imposées par la communauté internationale à la Russie, la valse des prix n'est pas finie. Et ce n'est pas pas qu'un problème de riches boursicoteurs. "Si les prix ne redescendent pas fortement, cela va avoir des conséquences sur le coût de revient des entreprises [obligées de payer plus cher les matières premières]. Conclusion : l'impact sera répercuté sur le prix facturé aux consommateurs", résume Alexandre Baradez. Les amateurs de Tesla ne sont pas les seuls concernés, puisque le nickel sert à fabriquer des batteries utilisées dans les fours électriques ou dans certains ordinateurs portables. Sans oublier que les cordes des guitares électriques en contiennent aussi. C'est peut-être le riff final. 

You can share this post!