L'université de Strasbourg veut restituer des "restes humains" coloniaux pillés en Afrique
Crimes coloniaux
Ramenés d'Afrique après des crimes coloniaux ou dans le cadre d'expériences racistes, lorsque l'Alsace était intégrée à l'Allemagne à la fin du dix-neuvième siècle, une trentaine de restes humains appartenant aux collections de l'université de Strasbourg, dont des crânes, vont être étudiés par un comité scientifique. Le but étant de s'assurer qu'ils proviennent bien de Tanzanie et de Namibie avant d'engager une restitution.
Des crânes, des tibias, des fémurs et d'autres morceaux de squelettes, parfois "retrouvés en sacs" … En France, l'université de Strasbourg s'est engagée à identifier les "restes humains africains" de sa collection, dans la perspective de restituer plus d'une trentaine d'entre eux à la Tanzanie et à la Namibie. Un devoir "politique", a déclaré lundi 26 juin lors d'une conférence de presse, Mathieu Schneider, le vice-président de cette faculté française.
"L'université de Strasbourg estime que, politiquement, il est de son devoir d'engager ce processus de restitution", "en toute transparence et avec l'information scientifique [nécessaire]", a-t-il insisté. "Nous cherchons une forme d'exemplarité. À voir ensuite si nous sommes suivis par d'autres universités".
Pour ce, la faculté a érigé un conseil scientifique, composé d'une dizaine de spécialistes de différentes disciplines (histoire, sociologie, droit, ethnologie, anatomie...), dont le rôle sera notamment de fournir des éléments "tangibles et scientifiquement informés" ainsi que de déterminer "les conditions matérielles, réglementaires et diplomatiques dans lesquelles la restitution" pourra avoir lieu.
La première étape consistera à effectuer "un récolement" afin de "nous assurer que les pièces qui ont été identifiées [jusqu'à présent proviennent bien de Namibie et de Tanzanie]", a détaillé Mathieu Schneider, selon lequel il est pour l'heure "difficile" de prévoir quand il sera achevé.
Le défi posé par la multiplication des demandes de restitution
La question des restes humains coloniaux, détenus dans les collections publiques françaises après avoir été collectés par des soldats, des médecins, des missionnaires, ou des explorateurs durant la période coloniale, pose de sérieux défis aux conservateurs de musées et aux comités scientifiques, à mesure que les demandes de restitutions se multiplient.
En décembre, le New York times révélait dans une enquête que le Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) à Paris détenait 18 000 crânes et ossements, mais que l'institution culturelle "rechign[ait] à dire à qui ils appartiennent".
La réalité est plus complexe si l'on en croit la directrice des collections naturalistes de ce musée. "J'ai bien conscience que, par manque de temps et de moyens, nous sommes en retard par rapport à d'autres pays", explique Christine Lefèvre dans La Croix.
D'après l'hebdomadaire, le Muséum dispose déjà d'une liste de 900 restes humains "nommément identifiés" dans ses collections, dont 700 proviennent d'une soixantaine de pays étrangers, au rang desquels figurent le Mali, le Tchad ou encore le Sénégal. Une liste tenue secrète, car l'institution estime que certaines indentifications sont encore peu fiables et mériteraient d'être affinées. "Si nous devions affronter un surcroît de demandes, nous ne serions pas en mesure de répondre", reconnaît Christine Lefèvre.
Que faisaient ces restes humains en France ?
Dans le cas de l'université de Strasbourg, les requêtes de restitutions ont été formulées par la province de Moshi, en Tanzanie, qui souhaite récupérer des restes de membres des tribus Wachagga et par la fondation "Ovambanderu Genocide Foundation" en Namibie qui voudrait rapatrier de possibles restes humains du génocide perpétré par les troupes impériales allemandes contre les Ovaherero (ou Hereros) et les Ovambanderu en 1904, d'après les explications de Mathieu Schneider.
L'institution possède en effet plusieurs dizaines de restes humains ramenés d'Afrique lors de la période impériale allemande (1871-1918), lorsque l'Alsace était intégrée au Reich wilhelmien, et associés à l'histoire douloureuse des crimes coloniaux. Les Allemands comptaient alors plusieurs colonies africaines, notamment au Cameroun, au Togo, en Tanzanie ou en Namibie, où ils furent responsables du massacre d'au moins 60 000 Hereros entre 1904 et 1908, ce qui est considéré par de nombreux historiens comme le premier génocide du XXe siècle.
Les restes provenant de la tribu Wachagga de Tanzanie, auraient eux été collectés entre 1895 et 1898 par un médecin militaire allemand pour des recherches racistes. "Cela pouvait se faire, dans le contexte colonial, avec des visées de prouver l'infériorité d'un certain nombre de populations sur la planète. Donc la période coloniale va prélever des éléments des corps pour tenter de prouver cette théorie", a expliqué à France Bleu Alsace Odile Goerg, professeur émérite d'histoire de l'Afrique à l'Université de Paris-Cité et membre du conseil scientifique mis en place par l'université de Strasbourg pour amorcer cette restitution. L'université a même retrouvé des documents, en allemand, tentant d'établir une théorie raciale autour de ces restes humains venus de Tanzanie.
"Nous ne sommes pas coupables, mais nous devons êtres responsables et donc transparents. Transparents sur ce qu'il y a dans nos collections", a estimé Mathieu Schneider auprès de France Bleu Alsace. "Car cette histoire coloniale est une histoire douloureuse, nous ne devons pas effacer l'histoire de l'université, la gommer. Non, au lieu de la gommer nous continuons de l'écrire, parce que je crois que dans les anfractuosités de l'histoire, se lisent à l'avance les erreurs que nous ne devrons pas commettre dans les prochaines décennies."
Les parlementaires français font évoluer la loi pour faciliter les restitutions
Avant de restituer, l'université devra attendre le feu vert législatif du gouvernement, car dans la loi française actuelle, le patrimoine universitaire, dont font partie ces restes, est "inaliénable et imprescriptible" et ne peut être cédé, à moins d'une loi ad hoc.
Toutefois, un texte adopté le 13 juin par le Sénat devrait à l'avenir faciliter la "restitution de restes humains appartenant aux collections publiques", sous certaines conditions : il faudra par exemple que les requêtes soient formulées par des États, a expliqué M. Schneider.
Or, ce n'est pas le cas pour les deux demandes, adressées par une province et une fondation, et qui devront donc être de nouveau formulées, cette fois par les gouvernements tanzanien et namibien.
D'autres demandes de restitution pourraient suivre. L'université de Strasbourg s'est dit ouverte aux pays qui souhaiteraient lancer des procédures de restitution de restes humains qui sont en sa possession. D'autres restes humains africains figurent en effet dans ses collections, en provenance notamment d'anciennes colonies françaises du Cameroun et du Togo.
Aujourd'hui en France, seuls trois États réclament à la France ce type de restitutions, à l'instar de Madagascar, pour plus de 500 restes, dont 360 cranes, conservés au Museum d'histoire naturelle de Paris.
Avec AFP