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Économie et marchés

Intelligence artificielle : les Européens peuvent-ils rivaliser avec les États-Unis ?

Souveraineté numérique Le développement de nouveaux outils d’intelligence artificielle (IA) par les Européens représenterait un gain de souveraineté crucial pour le Vieux Continent. Et constituerait aussi une bonne nouvelle pour l’encadrement de ces technologies au niveau international. Mais comment rivaliser avec le monopole des géants de la tech californienne ? Décryptage.  En juin 2023, les eurodéputés ont adopté à une large majorité un projet de régulation de l’IA. Impossible n’est pas français ? Un Chat GPT bleu blanc rouge pourrait voir le jour, assurait Emmanuel Macron, le 14 juin, au micro de la chaîne américaine CNBC. Et 500 millions d’euros seront dédiés à l'intelligence artificielle (IA) en France, annonçait le président depuis Viva Tech, le salon de l’innovation technologique de Paris. Son ambition se conçoit, ne serait-ce qu’eu égard aux potentialités financières que représentent ces technologies. Selon McKinsey, l'IA générative pourrait apporter une valeur économique mondiale annuelle de 2 600 à 4 400 milliards de dollars (environ 2 350 à 3 990 milliards d'euros).  Toujours selon le cabinet de conseil, les 12 milliards de dollars investis dans l’IA de janvier à mai 2023 ont essentiellement pris la direction des États-Unis. Dans ce paysage technologique dominé par les géants américains, un robot conversationnel tricolore représenterait pour la France un immense gain de souveraineté numérique. Les Gafam "jouent en Ligue 1” Et les espoirs d’Emmanuel Macron pourraient bientôt se concrétiser, à en croire Pierre-Carl Langlais, chercheur en sciences de l'information et de la communication au CELSA : "Au moins deux start-up françaises sont en train de créer des modèles du type Chat GP3 ou les ont déjà. Des projets similaires sont en cours en Allemagne. Ces robots conversationnels seront mis sur le marché d’ici l’année prochaine, au plus tard".  Un fantasme, estiment cependant d'autres spécialistes du milieu. Dans une tribune publiée le 13 août dans Le Monde, l’un d’eux ne voyait dans le développement d’un Chat GPT français comme européen qu’un "vœu pieux". "La Californie joue en Ligue 1, et nous autres Européens sommes en troisième division", résume Fabrice Epelboin, entrepreneur et spécialiste des questions numériques à Sciences Po. Impossible de rivaliser, mais aussi inutile d’essayer, selon lui : car quand bien même une entreprise européenne parvendrait à s’imposer, elle serait tout bonnement rachetée par les géants de la tech, estime ce spécialiste des questions numériques à Sciences Po. "Avec leurs réserves supérieures au PIB de la plupart des pays de la planète, les GAFAM peuvent mettre plusieurs de milliards de dollars sur la table quand bon leur semble".  Google, qui a dépensé 300 millions de dollars pour acquérir la start-up d’IA Anthropic, n’a pas hésité à débourser un milliard de dollars dans Runway AI. Soit l’équivalent de l’enveloppe présentée par la France en 2018 pour le développement de l'intelligence artificielle. Faire de l’IA un bien commun  Face aux murs de dollars, les Européens "devraient refuser d’affronter les Américains sur leur propre terrain, et proposer un autre jeu", estime Fabrice Epelboin. Pour les experts contactés par France 24, la meilleure alternative est celle du logiciel libre. Également désigné par 'open source', il se différencie du modèle conventionnel en favorisant la coopération et le partage.  Contrairement aux technologies gardées secrètes par les entreprises, il expose le code source au public, permettant son adaptation et sa redistribution par le plus grand nombre. Les Européens échapperaient ainsi aux ogres californiens, pour une raison simple : on ne peut acheter ce qui n’appartient à personne. "Le logiciel libre est un bien commun au même titre que l’air", vulgarise Fabrice Epelboin.  Cette dynamique collaborative est fondée sur un modèle économique largement éprouvé. Elle a même engendré des logiciels parmi les plus populaires, comme Mozilla, VLC ou le système d’exploitation Linux. En comparaison, "Open IA", mère de Chat GPT, "n’a d’ouvert que le nom", remarque Yannick Meneceur, maître de conférence associé en droit numérique à l’université de Strasbourg.  Car les codes de Chat GPT – tout ce que nous explique le robot, donc – sont contrôlés par une poignée d’individus de la Silicon Valley.  "En France, nous avons tendance à estimer que ce n’est pas très grave", regrette Fabrice Epelboin. "Pourtant, cela signifie que le gouvernement américain, d’une façon ou d’une autre, aura un impact sur l’orientation des IA que les Européens utilisent de plus en plus", poursuit le professeur à Sciences Po. Washington a déjà utilisé les entreprises numériques américaines comme des relais, surveillant des individus en dehors des États-Unis : selon des informations révélées par Edward Snowden en 2013, via un programme baptisé PRISM, l’Agence nationale de sécurité américaine NSA a collaboré avec des entreprises comme Google et Facebook pour obtenir des données d’utilisateurs basés à l'étranger et suspectés de menacer la sécurité nationale. Ces activités de surveillance ont suscité des inquiétudes relatives au respect de la vie privée et à la souveraineté numérique des autres nations. Si les années Trump ont particulièrement éprouvé les relations euro-américaines, le retour d’une administration démocrate en 2021 a restauré chez les Européens une certaine confiance à l'égard des États-Unis, Joe Biden affichant une volonté de coopérer avec l'Europe sur les sujets internationaux, comme la promotion des droits de l'Homme. Une posture assez naïve, commente Fabrice Epelboin : "Quel que soit le locataire de la Maison Blanche, les États-Unis constituent une puissance étrangère". Y compris sous Barak Obama : en 2013, selon WikiLeaks et la télévision publique danoise, plusieurs dirigeants européens, dont Angela Merkel, se trouvaient sous écoute des services secrets américains. Far West vs normes européennes Les dirigeants européens avaient vivement réagi, exigeant des garanties de la part des États-Unis. Mais ces derniers préfèrent une régulation minimale pour favoriser la compétitivité, quand le Vieux Continent priorise la sécurité et le contrôle de l’IA. Atteintes à la vie privée, contrôle de la machine sur l’Homme et autres préoccupations éthiques : face aux inquiétudes que suscite l’irruption de cette technologie, Bruxelles joue au garde-fou dans le Far West californien. La Commission européenne se distanciait des juridictions américaines dès 2021 avec l’ébauche d’un premier cadre réglementaire. Cette année, mi-juin, les eurodéputés adoptaient à une large majorité un projet de régulation de l’IA, le premier du secteur au monde. "L’Europe est en avance sur la régulation de l’IA, mais n’est pas encore pionnière dans sa création", regrette Dejan Glavas, ancien expert financier auprès de la Commission européenne, directeur de l'institut "AI for Sustainability". Mais "une Europe qui parviendrait à développer son propre écosystème d’IA serait une bonne nouvelle pour l’encadrement de ces technologies au niveau international". Les Vingt-Sept pourraient ainsi s’affirmer dans un no man’s land normatif, source de craintes scientifiquement légitimes : l’impact environnemental de l’IA, une technologie énergivore, et source de déchets. 

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