Grève de l’audiovisuel public : "La crainte évidente, c’est de disparaître"
REPORTAGE
Les salariés de l'audiovisuel public ont manifesté à Paris, le 28 juin 2022, pour protester contre le projet de suppression de la redevance audiovisuelle.
Les salariés des antennes de radio et chaînes de télévision du service public français ont manifesté mardi contre la suppression de la redevance audiovisuelle. Voulue par le gouvernement, elle est perçue par les grévistes comme une "menace" pour leur indépendance. Reportage.
"Il y a une crainte évidente qu’à terme, on disparaisse", lâche une manifestante. Les salariés de l’audiovisuel public étaient en grève, mardi 28 juin, pour protester contre le projet de suppression de la redevance audiovisuelle voulu par Emmanuel Macron. Environ 1 000 manifestants, selon les organisateurs, ont marché à Paris en début d’après-midi de la gare Montparnasse jusqu’aux abords de l’Assemblée nationale, où les députés fraichement élus faisaient leur rentrée.
La suppression de la redevance a été proposée par Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle, en réponse à la problématique du pouvoir d'achat des Français. Mais pour les syndicats et les grévistes, elle menace le financement et l'indépendance de l'audiovisuel public.
"Sous prétexte de redonner du pouvoir d’achat aux Français, on met à mal l’existence de l’audiovisuel public alors que la redevance ne représente que 38 centimes par jour pour ceux qui la paient", souligne Serge Cimino, journaliste à France 3 et délégué syndical de la SNJ France Télévisions. "Nous avons tout à fait conscience des difficultés que rencontrent les Français, mais il faut bien comprendre que la redevance n’est pas un impôt, c’est une contribution qui permet de financer du spectacle vivant, de la création cinématographique et des programmes de qualité à la télévision ou à la radio", poursuit-il.
D'un montant de 138 euros en métropole et 88 euros en Outre-mer, la redevance ne concerne que les foyers qui détiennent un téléviseur : les autres ne la payent pas, même s'ils regardent des programmes sur ordinateur, tablette ou smartphone. Sa suppression entraînera un manque à gagner de plus de 3 milliards d'euros, que l'État promet de compenser auprès des diffuseurs publics.
L’intersyndicale à l’origine de l’appel à la grève propose de s’inspirer des pays nordiques, qui ont élargi le nombre des personnes devant s’acquitter de la redevance. "Faire payer l’ensemble des contribuables, qu’ils aient un téléviseur ou non, puisque de toute façon tout le monde regarde ou écoute nos programmes d’une façon ou d’une autre, permettrait même de baisser le montant de la contribution", précise Serge Cimino.
La menace de la politique des caisses vides
Présent dès le début de la manifestation pour soutenir le mouvement de grève, le sénateur socialiste de Paris David Assouline, spécialiste reconnu des médias, dénonce la politique des caisses vides que souhaiterait, selon lui, mettre en place le gouvernement.
"À terme, on sait très bien comment ça va se finir si on casse cette digue de la redevance : à partir du moment où il n’y a plus de financement dédié pour l’audiovisuel public et qu’il faut puiser dans le budget général de l’État, on finira par nous expliquer que tout cela coûte trop cher et qu’il faut couper dans les dépenses ou fermer une chaîne, voire, comme on l’entend déjà parfois, privatiser", explique-t-il après avoir défendu au micro le service public.
>> À lire : Comment l’audiovisuel public est-il financé dans les autres pays européens ?
Sur le parcours, les passants regardent les manifestants d’un air curieux, tentant de comprendre leurs motivations en lisant les pancarte, sur lesquelles on pouvait lire : "Sauvons l’audiovisuel public !", "Macron rends la redevance", "Non à la casse de l’audiovisuel public".
Rue de Rennes, Yasmine et Mehdi, vendeurs d’une boutique de téléphonie, regardent la scène et soutiennent les manifestants. "C’est bien de vouloir redonner du pouvoir d’achat aux Français, mais franchement, il y a plus urgent que la redevance, juge Yasmine. Vous avez vu le prix de l’essence et de l’alimentation ? C’est là-dessus qu’il faut baisser les prix pour vraiment nous aider."
Un peu plus loin, dans le très chic VIIe arrondissement, c’est avec un regard mêlant amusement et étonnement que les badauds en terrasse ou en plein shopping découvrent qu’une lutte sociale a choisi de traverser leur quartier.
La spécificité France Médias Monde
Au-delà de la seule question de la redevance, les grévistes s'inquiètent pour l'avenir de l'audiovisuel public depuis qu'un rapport sénatorial des Républicains, publié le 8 juin, a relancé l'idée d'une grande fusion entre France Télévisions, Radio France, France Médias Monde (France 24, RFI, MCD) et l'INA.
"C'est un sujet dans l'air depuis plusieurs années. Ce débat aura lieu", a affirmé la nouvelle ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, dans un entretien avec Le Parisien. Une fois fixées "les priorités de fond (...), nous discuterons de l'organisation. Et verrons si cela doit se faire par une fusion ou par des modalités plus souples permettant de développer les synergies", a-t-elle ajouté.
"Ce discours ne tient pas compte de nos spécificités. Chez RFI, nous émettons en 13 langues, et France 24, en 4 langues. France Médias Monde parle au monde entier et il faut que l’on puisse exister indépendamment de France Télévisions, dont les dirigeants ne savent pas qui on est et comment on travaille", estime Sabine Mellet, journaliste à RFI et déléguée SNJ-CGT.
À 14 h, le cortège est accueilli sous le soleil, derrière le Palais Bourbon, par des députés de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) venus soutenir les grévistes. Danielle Simonnet, Olivier Faure, Julien Bayou, Sandrine Rousseau, Mathilde Panot, François Ruffin, Adrien Quatennens ou encore Clémentine Autain sont présents.
Pendant ce temps, les antennes des radios et chaînes de télévision de l'audiovisuel public étaient largement perturbées tout au long de la journée. La musique tournait à plein sur France info, France Inter ou encore France Culture, les trois quarts des journalistes de Radio France censés travailler mardi étant en grève, selon le syndicat SNJ.
Des sources internes à France Télévisions recensaient 45 % de grévistes tous métiers confondus au sein du réseau France 3, du "jamais vu", et 25 % au siège parisien. Conséquence, sur France 2, le JT de 13 h, "solidaire" du mouvement, a été raccourci et des extraits de Télématin ont été rediffusés à la place de la matinale, une première en 30 ans. Des bandeaux annonçaient également la perturbation des chaînes Franceinfo et France 24.