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Fin de vie en France : débat houleux en perspective à l'Assemblée nationale

Les députés français doivent débattre, jeudi, d’une proposition de loi sur la fin de vie dans les cas de maladies graves et incurables, déposée par le député Olivier Falorni. Alors qu'une majorité transpartisane se dessine malgré les réticences du gouvernement, le texte pourrait être victime de l'obstruction d'une poignée de députés. C'est une nouvelle qui a fait du bruit au sein de la classe politique. Âgée de 71 ans, l'ancienne secrétaire d'État de Lionel Jospin aux personnes âgées, Paulette Guinchard-Kunstler, a fait le choix de mourir, le 4 mars, en Suisse, en ayant recours au suicide médicalement assisté. Une décision qui illustre une évolution personnelle – elle s'était opposée en 2005 à la légalisation de l'euthanasie en France – et qui serait à l'image, selon plusieurs parlementaires, de l'évolution de la société française dans son ensemble. "C'est l'exemple parfait des failles et des insuffisances de la législation actuelle", explique Olivier Falorni, député du Parti radical de gauche (PRG), contacté par France 24. "Paulette Guinchard-Kunstler était atteinte d'une maladie neurodégénérative incurable et, confrontée à des souffrances psychiques et physiques, s'est retrouvée sans réponse de la part du corps médical", précise-t-il. L'élu de Charente-Maritime a déposé une proposition de loi sur la fin de vie qui sera examinée, jeudi 8 avril, à l'Assemblée nationale. Il n'est pas le seul à vouloir avancer sur cette question puisque pas moins de quatre autres propositions ont été faites depuis le début du quinquennat, émanant aussi bien de La France insoumise (Caroline Fiat en 2017) que de La République en marche (Jean-Louis Touraine en 2017), du Parti socialiste (Marie-Pierre de la Gontrie en 2020) ou du parti Les Républicains (Marine Brenier en 2020). "Cela montre que la loi actuelle ne suffit pas, juge Olivier Falorni. La France reste dans une logique hypocrite du 'laisser mourir' : on arrête les soins puis on fait une sédation profonde et continue ; si ça ne dure pas longtemps, tant mieux, et si ça dure, tant pis. Ce n'est pas une solution humaine pour traiter avec respect la fin de vie des citoyens." La loi Claeys-Leonetti, votée en 2016, permet de proposer à certains patients atteints de maladies graves et incurables un traitement sédatif, c'est-à-dire des médicaments qui endorment et apaisent le patient jusqu'à sa mort, sans le réveiller. Elle a également rendu contraignantes, mais non opposables, les directives anticipées, par lesquelles toute personne majeure peut stipuler son refus d'un acharnement thérapeutique. En l'absence de consignes, la volonté de la personne qui ne peut plus s'exprimer peut être relayée par une personne de confiance, expressément désignée par écrit et dont le témoignage "prévaut sur tout autre témoignage". Problème : la législation actuelle n'est pas toujours appliquée – l'hôpital français manquant cruellement de moyens pour les soins palliatifs – et, surtout, ne répond pas à la variété des situations. Ainsi, entre 2 000 et 4 000 euthanasies clandestines sont réalisées chaque année en France, selon l'Institut national d'études démographiques (Ined). Et plusieurs dizaines de personnes par an font le même choix que celui de Paulette Guinchard-Kunstler en se rendant à l'étranger pour mourir. "Apprendre aux médecins à écouter les malades" Il est donc urgent d'agir, selon Olivier Falorni, qui bénéficie d'un soutien transpartisan, dont celui du "marcheur" Jean-Louis Touraine. Médecin de formation, président du groupe d'études sur la fin de vie à l'Assemblée nationale, le député LREM du Rhône avait déposé une proposition de loi similaire dès 2017, entraînant dans son sillage 167 députés de la majorité présidentielle. Il travaille désormais main dans la main avec Olivier Falorni, notamment pour ajouter des amendements sur la hiérarchisation des avis de la famille ou sur la formation. "Il y a une unanimité pour dire qu'on meurt mal en France et la situation s'est encore amplifiée avec l'épidémie de Covid-19, souligne Jean-Louis Touraine, contacté par France 24. Aujourd'hui, un malade en fin de vie n'a pas le droit d'exprimer sa demande et est soumis à la décision médicale. Quand j'étais étudiant en médecine, on nous disait que la mort était un échec. Il faut maintenant apprendre aux médecins et aux infirmières à écouter les malades et à cesser de leur expliquer pourquoi ils ne sont pas libres de décider." Le sujet serait devenu "consensuel", à en croire Jean-Louis Touraine et Olivier Falorni. Tous deux s'appuient sur un sondage Ipsos de mars 2019 affirmant que 96 % des Français [1 004 personnes ont été interrogées pour ce sondage] sont favorables au droit à choisir leur fin de vie. Pour autant, le soutien de l'exécutif fait actuellement défaut, et le gouvernement pourrait faire pression sur les députés LREM pour voter contre le texte. "Je ne crois pas que le moment choisi pour modifier le régime juridique de la fin de vie soit le moment opportun", a déclaré, le 11 mars, le ministre de la Santé, Olivier Véran, lors de l'examen de la proposition de loi de la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie. Selon lui, "le principal enjeu n'est pas tant de faire évoluer [la loi Claeys-Leonetti] que de la faire connaître". "La loi actuelle pose en droit un cadre qui permet de résoudre l'immense majorité des situations difficiles que peuvent vivre les patients, leur famille et parfois les communautés soignantes", a ajouté Olivier Véran, annonçant le lancement en avril d'un nouveau plan de développement des soins palliatifs et d'accompagnement de la fin de vie. Le sujet est d'autant plus délicat qu'Emmanuel Macron n'avait pas pris l'engagement, lors de sa campagne en 2017, de légiférer sur l'euthanasie. Or, après quatre années à l'Élysée durant lesquelles il s'est déporté politiquement sur la droite, le président de la République préfère sans doute avancer prudemment sur un tel sujet de société. 3 000 amendements déposés Par ailleurs, les oppositions existent. "Donner la mort, c'est une transgression majeure qui mérite un grand débat public. On ne peut pas se contenter d'un débat à l'Assemblée sur une demi-journée ou d'un sondage trop réducteur", tance l'auteur de la législation actuelle, l'ancien député LR Jean Leonetti, contacté par France 24. "Car quand vous rentrez dans la complexité du sujet, les réponses deviennent moins tranchées. La fin de vie, c'est un conflit de valeurs : le médecin est écartelé entre le désir de respecter la liberté du malade et le désir de le protéger. Il faut trouver le bon équilibre." L'actuel maire d'Antibes souligne également qu'il risque d'être très difficile de maintenir un cadre strict concernant les personnes susceptibles de demander une assistance médicalisée active à mourir. "Si j'ai eu un accident, que je me retrouve dans un fauteuil roulant pour le reste de ma vie et que je juge mes souffrances physiques ou psychiques insupportables, j'aurai le droit de demander la mort ? Qui jugera de la souffrance personnelle de telle ou telle personne ?", interroge l'élu, par ailleurs médecin cardiologue. >> À lire aussi : "Légiférer sur la fin de vie en France : que fait le reste de l'Europe ?" Des craintes relayées au sein de l'Assemblée, où une poignée de députés opposés à l'euthanasie a choisi de jouer la carte de l'obstruction parlementaire. Depuis que le texte a été adopté, le 31 mars, en commission des Affaires sociales, pas moins de 3 000 amendements ont ainsi été déposés, dont 2 300 à l'initiative de quatre députés LR. Or, la proposition de loi sur la fin de vie est présentée en première lecture lors d'une journée dite de "niche parlementaire", c'est-à-dire réservée à un groupe d'opposition – en l'occurrence le groupe Libertés et Territoires auquel appartient Olivier Falorni. Par conséquent, le temps d'examen est limité à jeudi et n'ira pas au-delà de minuit, ce qui risque d'empêcher le vote final. Entouré d'une douzaine de députés représentant tous les groupes du Palais Bourbon, Olivier Falorni a plaidé mardi pour "cette ultime liberté qui est encore refusée aux Français". Malgré la guérilla parlementaire qui s'annonce, "ce texte sera défendu" jeudi dans l'Hémicycle, a-t-il promis, fort de l'appui de 270 députés, soit presque la majorité, qui ont récemment signé une tribune dans le Journal du Dimanche. Quant aux critiques, le député de Charente-Maritime les balaye du revers de la main. "Les critères sont extrêmement précis et clairs : il faut être atteint d'une affection grave et incurable à un stade avancée de la maladie et générant des souffrances physiques et psychiques. Il ne s'agit pas de répondre à une dépression par l'aide active à mourir." "Et pour ce qui est du débat public, s'il y a bien un sujet de société qui a été maintes fois débattu, où tout le monde a été consulté, à l'exception de l'Assemblée nationale, c'est celui-là, regrette Olivier Falorni. Cet argument n'est plus tenable. J'ai des tonnes de rapports sur mon bureau. Il y a même une forme de lassitude chez les experts à exprimer leur position en audition. Le débat est arrivé à maturité. Le temps n'est plus à la procrastination mais à l'action." En Europe, la Suisse, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et, tout récemment, l'Espagne ont déjà adopté des lois autorisant l'administration d'un médicament provoquant la mort.

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