Face à la dégradation des comptes publics, la majorité évolue sur les "superprofits"
DÉFICIT BUDGÉTAIRE
La présidente de l’Assemblée nationale est venue grossir les rangs des membres de la majorité plaidant pour une taxation des "superprofits". Selon elle, le fait que le déficit public français s'annonce plus important que prévu change la donne. D’autant que 30 milliards d’euros d’économies sur les dépenses de l’État ont déjà été annoncées par le gouvernement.
Emmanuel Macron changera-t-il d’avis sur les "superprofits" ? Alors que l’Insee doit annoncer, mardi 26 mars, le chiffre définitif du déficit public pour 2023 – qui sera, selon le gouvernement, "significativement" au-dessus des 4,9 % du PIB initialement prévus –, la question de la taxation des "superprofits" fait un retour tonitruant dans le débat.
Les superprofits se matérialisent notamment par le versement de dividendes aux actionnaires des grands groupes. Selon le gestionnaire d'actifs Janus Henderson, 63,2 milliards d'euros ont été reversés par 40 des plus grosses entreprises françaises à leurs actionnaires en 2023, un montant record au regard des 59,8 milliards d'euros versés en 2022.
Jusqu’à présent hermétique à cette idée venue de la gauche et déjà reprise par le MoDem à l’automne 2023, le parti Renaissance semble évoluer sur le sujet. La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a lancé un pavé dans la marre, vendredi 22 mars, en estimant dans Le Figaro qu’il fallait s'"interroger sur nos recettes, y compris sur la possibilité de taxer les superprofits dans les grandes entreprises ou les rachats d’action".
Il s'agit d'un revirement de poids au sein de la majorité, puisque même si près d’une vingtaine de députés Renaissance avait voté le 12 octobre l’amendement du MoDem sur les superprofits, finalement écarté grâce au 49-3, ceux-ci avaient paru bien esseulés au sein du parti présidentiel.
"Les positions de chacun évoluent parce que le contexte évolue", explique la députée Renaissance Stella Dupont, qui faisait partie des votants à l’automne. "Le déséquilibre des comptes publics est plus important que prévu. Nous sommes nombreux à considérer qu’un rééquilibrage doit être fait, mais pas seulement en regardant du côté des économies."
Le gouvernement prépare l’opinion depuis plusieurs semaines à une austérité qui ne dirait pas son nom. Déjà 10 milliards d’euros de coupes budgétaires ont été annoncées fin février sur le budget 2024, et 20 milliards d'économies supplémentaires sont prévues pour 2025.
Bruno Le Maire préfère les coupes budgétaires aux hausses d’impôts
De son côté, le patron du MoDem, François Bayrou, juge qu’il est temps de demander aux plus aisés de contribuer davantage à l’effort. "S'il y a des mesures de rééquilibrage, il faut qu'elles aillent vers ceux qui ont le plus de moyens, y compris le plus de moyens en fonction de la crise, sans casser l'image de la France qui permet d'attirer les investisseurs", a-t-il affirmé lundi 25 mars sur RTL.
Durant cette interview, il a laissé entendre qu'il était opposé à une nouvelle réforme de l'assurance chômage visant à diminuer la durée de l'indemnisation, comme l'envisage le gouvernement.
"Je ne crois pas que les principaux responsables du chômage soient les chômeurs, surtout qu'un certain nombre d'entre eux ont perdu au fil du temps les compétences du travail. Il faut donc les reformer", a-t-il jugé.
Interrogé à l’issue du sommet européen à Bruxelles, vendredi 22 mars, le président Emmanuel Macron a refusé de répondre à une question portant sur la taxation des superprofits, se bornant à dire que le gouvernement aurait à "compléter" l'effort budgétaire face à la "dégradation des finances publiques".
Depuis 2017, Emmanuel Macron s’oppose aux hausses d’impôts. Une contribution exceptionnelle a certes été demandée au secteur pétrolier et aux producteurs d'électricité en raison de l'envolée des prix de l'énergie consécutive à l'offensive russe en Ukraine – un mécanisme qui doit être prolongé en 2025. Mais la Cour des comptes a pointé mi-mars le faible rendement de cette taxe, en ne la jugeant "pas équitable" pour le consommateur.
Dans une note publiée en septembre 2022, l'ONG Oxfam estimait qu’une taxation ambitieuse sur les superprofits pourrait rapporter entre 10 et 20 milliards d’euros aux finances publiques.
Soucieux d’envoyer les bons signaux en direction de Bruxelles et des agences de notation, mais aussi décidé à en faire l’un de ses marqueurs en vue de la présidentielle de 2027, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire tente quant à lui d’endosser le costume de garant du sérieux budgétaire français, insistant depuis des semaines sur la nécessité de couper dans les dépenses publiques.
Il a toutefois déclaré lundi matin être "ouvert aux discussions". "C'est normal que dans une majorité, il puisse y avoir des débats", a-t-il concédé sur BFM TV. "Après je vous donne ma conviction [...] : pour moi, la vraie solution est plus la baisse des dépenses publiques, puisque c'est là qu'on a le niveau le plus élevé, plutôt que de continuer à augmenter les impôts", a-t-il ajouté.
Le système fiscal français jugé "injuste" par 75 % des Français
"Il y a depuis longtemps deux lignes qui s’affrontent dans la majorité. Nous avons été rejoints par quelques personnalités, le débat va avoir lieu, veut croire Stella Dupont. D’autant que compter uniquement sur les économies pour réduire le déficit semble difficile. Notre sensibilité est attachée à ce qu’on étudie l’ensemble des pistes sans dogmatisme. Par ailleurs, il y a aussi une question de justice fiscale qui se pose. Les Français que je rencontre dans la circonscription m’en parlent très régulièrement."
Selon un sondage Viavoice publié le 24 mars dans Libération, 75 % des Français jugent le système fiscal "injuste", voire "très injuste" pour 33 % des personnes interrogées. Cette même enquête révèle que la taxation temporaire sur les superprofits de certaines entreprises est considérée "prioritaire" par 65 % des Français, tandis qu’un nouvel impôt sur la fortune est plébiscité par 52 % des sondés.
Une étude de l’Institut des politiques publiques (IPP) publiée en juin 2023 avait démontré que cette injustice fiscale est bien réelle. Si les impôts de l'écrasante majorité des contribuables français sont proportionnés à leurs revenus, l’étude constatait "une forte régressivité du taux d'imposition global" une fois franchi le seuil des 0,1 % de Français les plus riches.
Les 37 800 foyers français les plus aisés, qui touchent plus de 627 000 euros annuels, ont un taux d'imposition global de 46 %. Mais ce taux diminue au fur et à mesure que les revenus de ces ultrariches progressent, jusqu'à chuter à 26 % pour les 75 foyers fiscaux les plus fortunés.
Bruno Le Maire s'est dit lundi matin "prêt à mettre en place une imposition minimale au niveau international sur les plus hauts revenus", "pour éviter que certains des plus fortunés en Europe puissent échapper à leur juste part d’impôt". Une idée qu'il avait déjà développée fin février en marge d'un G20 des ministres des Finances au Brésil et dont le processus, compte tenu des difficultés à mettre tout le monde d'accord sur un sujet aussi clivant, n'a guère de chances d'aboutir rapidement. oire d’aboutir tout court.