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Face à la contestation par la police de l’État de droit, un exécutif qui choisit de faire profil bas

séparation des pouvoirs Alors que le directeur général de la police a ouvertement contesté une décision de justice, le président de la République n’a pas souhaité, lundi, lui rappeler les principes de l’État de droit lors de son interview télévisée. L’illustration d’un pouvoir politique maintes fois contesté qui a choisi le parti de l’ordre et qui hésite désormais à entrer en conflit avec sa police. "Je ne vais pas commenter les propos du directeur général." Interrogé lors de son entretien télévisé, lundi 24 juillet, sur les propos du directeur général de la police nationale (DGPN) Frédéric Veaux, Emmanuel Macron a préféré botter en touche et offrir une réponse qu’il souhaitait équilibrée. "Je comprends l’émotion qu’il y a aussi chez nos policiers qui ont eu le sentiment d’être confrontés à la violence la plus extrême et donc il faut entendre cette émotion, tout en faisant respecter l’État de droit pour tous", a poursuivi le chef de l’État, avant de conclure : "Nul en République n’est au-dessus de la loi." Réagissant à l’incarcération d'un agent de la BAC de Marseille dans un entretien au Parisien publié dimanche soir, Frédéric Veaux a jugé qu'"avant un éventuel procès, un policier n'a pas sa place en prison, même s'il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail". "Le savoir en prison m'empêche de dormir", a-t-il ajouté. Un avis qui a suscité la polémique et a rapidement été dénoncé par la gauche et le monde judiciaire, qui attendaient un recadrage de l’Élysée. C’est au contraire un Emmanuel Macron décidé à se poser comme le président de "l’ordre, l’ordre, l’ordre" et visiblement peu enclin à critiquer le patron de la police qui est apparu au journal télévisé de 13 h de TF1 et France 2. "Le président donne l’impression de ne pas connaître vraiment, ou au mieux de ne pas prendre la mesure de cette transgression sans précédent sous la Ve République. (…) Lorsqu’il dit ne pas vouloir commenter les propos du directeur général de la police nationale, cela interroge. (…) Cette phrase traduit sa faiblesse et sa fragilité politique. C’est comme s’il disait 'je ne suis pas le chef'", analyse Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la police dans un entretien avec Mediapart. Une contestation de l’État de droit qui gagne la hiérarchie Les attaques d’éléments de la police contre l’État de droit ne sont pas nouvelles. La manifestation du 19 mai 2021 organisée par plusieurs syndicats devant l’Assemblée nationale et lors de laquelle avait été scandé "le problème de la police, c’est la justice !" est encore dans toutes les mémoires. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et de nombreux responsables politiques, y compris de gauche, y avaient participé. "Si cette mobilisation s’avère efficace et très forte, les digues céderont, les digues, c’est-à-dire, les contraintes de la Constitution", avait alors déclaré François Bersani, responsable du syndicat Unité-SGP Police des Yvelines. Mais avec les déclarations de Frédéric Veaux, auxquelles le préfet de police de Paris Laurent Nuñez a apporté son soutien en affirmant sur Twitter "partage(r) les propos du DGPN", ce sont désormais les plus hauts responsables de la police qui contestent l’indépendance de la justice, sans que le pouvoir politique, qui a dû maintes fois recourir aux forces de l’ordre ces six dernières années (Gilets jaunes, réformes des retraites de 2019 et de 2023, affrontements à Sainte-Soline, émeutes urbaines), ne trouve quoi que ce soit à redire. Le ministre de l’Intérieur a même validé avant publication l’interview du patron de la police, selon les informations du Parisien. Le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a toutefois affirmé que "la justice doit poursuivre son travail dans la sérénité et en toute indépendance". "C'est une condition indispensable au respect de l'État de droit, qui est le fondement de notre démocratie", a-t-il tweeté lundi 24 juillet. Quant à la Première ministre Élisabeth Borne, elle est sortie de son silence, mardi 25 juillet, en insistant sur "la nécessité que la justice puisse faire son travail sereinement". "Tout le monde dit la même chose. À la fois soyons attentifs à la difficulté de la mission des policiers – et je pense qu'il est important de leur rendre hommage pour le travail, l'engagement exceptionnel qu'ils ont montrés à l'occasion des violences urbaines – et par ailleurs il y a la justice qui doit pouvoir faire son travail, c'est ce qu'elle fait", a-t-elle expliqué lors d’un déplacement au Havre, au côté de l’ancien Premier ministre et maire de la ville Édouard Philippe. Quand François Mitterrand dénonçait "des événements séditieux" "Avec les déclarations de Frédéric Veaux et de Laurent Nuñez, nous avons franchi un cran, juge Sebastian Roché dans Mediapart. Et personne ne réagit, alors qu’en 1983, François Mitterrand avait démis les titulaires de ces deux mêmes postes, ceux-ci ayant échoué à faire respecter l’autorité de l’État. J’y vois la marque d’une démocratie policière, dans laquelle on confie à la police – ou on lui laisse s’arroger – des moyens et des prérogatives exceptionnels." Le chercheur fait ici référence à une manifestation de policiers en colère, le 3 juin 1983, après la mort de deux de leurs collègues tués à Paris par des cambrioleurs membres du groupe d’extrême gauche Action directe. Ces 2 500 policiers étaient allés crier "Badinter démission" sous les fenêtres du ministère de la Justice, le garde des Sceaux Robert Badinter étant coupable selon eux de laxisme. Interrogé cinq jours plus tard sur Antenne 2, le président de la République, François Mitterrand, se montre alors très ferme : "La République doit être honorée et servie par tous les citoyens, et plus encore par ceux qui ont pour mission et pour métier de la défendre. Si certains policiers, une minorité agissante, ont manqué à leur devoir, le devoir des responsables de la République, c’est de frapper et de faire respecter l’autorité de l’État. Dès l’annonce des événements séditieux de vendredi dernier, j’ai demandé au Premier ministre Pierre Mauroy de prendre les sanctions nécessaires." L’archive vidéo a été abondamment partagée sur les réseaux sociaux depuis deux jours, notamment par le leader de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon. La réaction de François Mitterrand contraste avec celle, quarante ans plus tard, d’Emmanuel Macron : le directeur général de la police nationale avait ainsi été limogé, le préfet de police de Paris avait démissionné, et les leaders syndicaux durement sanctionnés. "Nous sommes dans une période où le pouvoir politique a affaibli sa position par rapport à l’institution policière, tant il a dû y recourir pour faire face aux contestations sociales", analyse dans Libération l’historien Emmanuel Blanchard, chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip). "C’est une tendance cyclique : moins le pouvoir bénéficie d’une légitimité populaire, plus il s’adosse aux forces de l’ordre, dont il a besoin pour réprimer les mouvements sociaux, poursuit-il. Donc il leur donne des gages. Cela conduit à des formes d’autonomisation, qui peuvent mener à des contestations comme celle que l’on voit actuellement."

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