Evergrande, Bourse : rien ne va plus en Chine ?
C'est la crise
La Bourse chinoise a perdu 6 000 milliards de dollars en trois ans d’après des données publiées par Bloomberg. Du jamais-vu pour ce pays qui peine, en outre, à sortir de la crise immobilière et doit faire face à la liquidation de l’empire Evergrande prononcée lundi.
La maison Chine brûle-t-elle ? Pékin a, en tout cas, plus d’un feu à maîtriser sur le front économique. Les autorités s’évertuent à sauver les meubles de l’empereur déchu de l’immobilier Evergrande, tout en cherchant à freiner une dégringolade historique de ses marchés financiers. Le tout sur fond d’indicateurs économiques qui n’en finissent plus de décevoir.
Les projecteurs médiatiques sont essentiellement braqués sur Evergrande. Lundi 29 janvier, la justice hongkongaise a en effet ordonné la liquidation du promoteur, qui symbolise les déboires du secteur immobilier chinois. "Trop, c’est trop", a tranché la juge Linda Chan, précisant qu’Evergrande n’avait pas réussi à présenter un plan de sauvetage raisonnable malgré les multiples délais lui ayant été accordés depuis deux ans.
Evergrande, la fin ou le retour ?
"C’est l’acte final de la saga de l’effondrement, mais il y aura une suite", souligne Alexandre Baradez, analyste financier pour le courtier IG France. Dorénavant s'ouvre le chapitre de la répartition des miettes de cet empire. Quels actifs d’Evergrande peuvent encore être sauvés par le rachat d'un autre groupe ? Comment rembourser les investisseurs étrangers ayant misé pendant des années sur le secteur de l’immobilier chinois, sans pour autant léser les citoyens qui ont investi dans des projets immobiliers inachevés d’Evergrande ?
Il faudra aussi compter avec les rebondissements liés aux spécificités des relations entre Pékin et Hong Kong. La justice du territoire semi-autonome a toute latitude pour saisir les avoirs d’Evergrande à l’étranger, mais "90 % des actifs se trouvent en Chine continentale, et pour y avoir accès, c’est une autre histoire", précise Xin Sun, spécialiste de l'économie chinoise au King's College de Londres. La justice chinoise doit en effet valider la décision d'un tribunal de Hong Kong de fermer Evergrande afin que les liquidateurs puissent se saisir des actifs situés sur le sol de la Chine continentale.
Trois ans d'enfer boursier
La Chine redoute aussi que la liquidation d’Evergrande pèse sur la Bourse et n'inquiète davantage les investisseurs quant à la solidité réelle des grands groupes cotés. Peu après le jugement du tribunal, les trois principales places financières – Shenzen, Shanghai et Hong Kong – ont enregistré des pertes.
Mais la situation s’est redressée et "les autres valeurs immobilières ne semblent pas avoir été beaucoup affectées par cette décision, ce qui signifie que la réalité de la faillite d’Evergrande avait déjà été largement intégrée par les marchés boursiers", estime Xin Sun.
C’est une (très) rare bonne nouvelle pour le régime chinois. Car si le grand public suit surtout les rebondissements du feuilleton Evergrande, les autorités, quant à elles, ont les yeux de plus en plus rivés sur la santé boursière. En effet, "de mon vivant, je n’ai jamais connu un contexte boursier aussi dégradé en Chine", assure Xin Sun, qui compare la situation actuelle aux lendemains de la crise financière mondiale de 2008.
Depuis trois ans, la Bourse chinoise n’en finit plus de piquer du nez. Elle a perdu 6 000 milliards de dollars sur cette période, a calculé Bloomberg. Et la situation ne va pas en s’améliorant. Les actions des "entreprises tech ont perdu 80 % de leur valeur depuis 2021, c’est-à-dire que la Chine a connu l’équivalent de l’éclatement de la bulle Internet aux États-Unis du début des années 2000", souligne Alexandre Baradez.
Cette année n’a pas mieux commencé : le CSI 300 – principal indice boursier chinois – a déjà perdu 5 %, depuis le 1er janvier.
Grand exode des investisseurs étrangers
Cette descente aux enfers risque d'avoir des conséquences sur les revenus des Chinois. "Il y a bien plus de petits porteurs [essentiellement des particuliers dont la finance n’est pas le métier, NDLR] actifs sur les marchés financiers chinois qu’aux États-Unis et en Europe", assure Xin Sun. La valeur de leur portefeuille s’est ainsi effondrée, et comme l’immobilier est en pleine crise, ils ne peuvent pas non plus miser sur la pierre comme investissement alternatif.
Sans compter les effets indirects sur la santé économique des entreprises. Elles peinent de plus en plus à lever de l’argent sur les marchés, limitant leurs ressources pour pouvoir embaucher ou simplement pour éviter d’avoir à licencier.
Ce sont aussi les causes de ce marasme boursier qui inquiètent le pouvoir, car elles illustrent les fragilités de l’économie chinoise en général. L’une des raisons principales est le grand exode des investisseurs étrangers. Fin 2023, par exemple, ils avaient revendu plus de 80 % des actifs qu’ils avaient acquis auparavant cette même année. "Les investisseurs sont de plus en plus conscients que les problèmes économiques actuels ne sont pas seulement conjoncturels mais reflètent des dysfonctionnements structurels", résume Xin Sun.
Tout a commencé en 2021, alors que le monde vivait encore à l’heure du Covid-19. "Il y a eu un tour de vis réglementaire dans plusieurs secteurs économiques, comme l’éducation en ligne, les jeux vidéo, puis ce sont les PDG de groupe qui ont commencé à 'disparaître'. Le marché a commencé à être inquiet, ce qui a réveillé l’aversion du risque des investisseurs étrangers", explique Alexandre Baradez.
Le séisme Evergrande, survenu cette même année, a nourri cette inquiétude, décuplée ensuite par des facteurs géopolitiques. "Le rapprochement sino-russe, par exemple, est mal vu par une partie des investisseurs étrangers, qui craignent que Pékin s’expose ainsi à des sanctions économiques de la part des États-Unis", note Alexandre Baradez.
"Il faut bien se rendre compte que le dynamisme économique chinois repose en grande partie sur les investissements étrangers", souligne l’analyste d’IG France. Cet exode contrarie d’autant plus Pékin que l’argent étranger continue à affluer en Asie… mais en Inde et au Japon. Autrement dit, ce sont les rivaux économiques de la Chine qui profitent de la situation.
Un choix politique
En outre, Pékin n’a pas su trouver d’alternative car le rebond de la consommation interne, attendue après la fin des restrictions sanitaires liées au Covid-19, se fait attendre. "Une grande partie de la classe moyenne a accumulé d’importantes dettes, notamment des prêts immobiliers, qu’il faut continuer à rembourser alors que son niveau de vie stagne dans le meilleur des cas. Quant aux jeunes, entre 20 et 30 % d’entre eux n’ont pas de travail. Ce n’est pas un contexte qui incite à consommer", analyse Xin Sun.
Face à cette situation, les autorités ont semblé prendre leur temps pour réagir… ce qui a encore davantage refroidi l’ardeur des investisseurs étrangers. "Il n’y a pas eu de grand plan de relance comme en 2008, mais des actions plus discrètes, comme permettre aux banques de prêter davantage ou lever certaines restrictions", note Alexandre Baradez.
Trop peu, trop lentement ? C’est un choix politique, estime Xin Sun. En 2008, tout l’argent injecté dans l’économie a eu l’effet escompté, mais il a aussi bénéficié à ceux qui avaient contribué à créer le problème, comme certaines banques. Cette fois-ci, "le gouvernement ne voulait pas que tout le monde en profite et il a décidé de faire des mesures beaucoup plus ciblées", souligne Xin Sun.
Il semble que les autorités ont pris conscience du désintérêt des investisseurs pour ces subtilités politiques. Le Premier ministre, Li Qiang, a ainsi annoncé, lundi 29 janvier, qu’il fallait des mesures plus fortes pour soutenir la Bourse. Une déclaration qui intervient alors que Bloomberg a affirmé que le pouvoir chinois était sur le point de dévoiler un plan de soutien de 280 milliards de dollars.
La Chine "peut espérer avoir touché le fond et que c’est le début d’une remontée", estime Alexandre Baradez. Mais uniquement, selon lui, s’il n’y a pas un autre Evergrande attendant au tournant.