ENTRETIEN. "C'est une chance de pouvoir témoigner" : au procès des attentats du 13-Novembre, des parties civiles de nouveau attendues à la barre
ENTRETIEN. "C'est une chance de pouvoir témoigner" : au procès des attentats du 13-Novembre, des parties civiles de nouveau attendues à la barre
Elles vont de nouveau s'avancer à la barre, dans la grande salle de la cour d'appel de Paris. Près d'une centaine de parties civiles, sur les quelque 2 300 constituées au procès des attentats du 13-Novembre, sont entendues à partir du mercredi 4 mai. Pendant dix jours, rescapés et proches de victimes des attaques du Stade de France, des terrasses et du Bataclan vont témoigner, après huit mois de débats.
Les cinq semaines d'audition à l'automne n'avaient pas permis d'entendre tous ceux qui le souhaitaient. Depuis, de nombreux enquêteurs et témoins ont déposé, les accusés ont été longuement interrogés et les images et la bande-son du massacre au Bataclan ont été diffusées. Alors comment témoigner quand tout semble avoir déjà été dit ? Qu'attendre de cette nouvelle et dernière séquence de témoignages, avant le début des plaidoiries ? Cédric Maurin, 33 ans, s'est échappé de la salle de concert du 11e arrondissement ce soir-là. Cet enseignant en histoire-géographie, auditionné vendredi, raconte à franceinfo comment il s'est préparé.
Franceinfo : Vous avez lancé un appel sur Twitter à destination des parties civiles qui, comme vous, vont déposer à partir de mercredi, en soulignant qu'"on ne témoigne pas en mai comme on le fait en septembre". Qu'avez-vous recueilli ?
Cédric Maurin : Nous avons créé un groupe de discussion avec une petite dizaine de personnes, dont certaines avaient déjà été entendues. Beaucoup m'ont dit qu'elles n'auraient pas témoigné de la même façon aujourd'hui. Mais il est compliqué de créer un collectif au sein des parties civiles car tout le monde est dans une situation particulière. Certaines sont venues régulièrement au procès, d'autres non.
Avez-vous pu assister régulièrement aux audiences ?
Oui, je suis venu assez souvent, entre une semaine et quinze jours par mois entre septembre et janvier. En février-mars, j'étais épuisé par le procès alors je l'ai suivi un peu plus à distance, sur Twitter et la webradio, depuis chez moi ou au volant, un peu partout.
Qu'est-ce qui vous a particulièrement marqué pendant ces longs mois ?
Ce procès colossal est impossible à résumer. On retient des impressions générales et des éléments très particuliers. J'ai appris par exemple le nom de la personne qui nous tirait dessus depuis la scène du Bataclan, Samy Amimour. Je me souviens aussi d'un jour où je n'ai pas lâché du regard l'un des accusés, Mohammed Amri. Ça l'a mis assez mal à l'aise mais à la fin de l'audience, il m'a fait un salut de la tête, comme pour me dire au revoir.
Je me rappelle aussi du jour où Osama Krayem a retiré son masque. Avec ses longs cheveux et sa barbe, on aurait dit à la fois un loup-garou et un trentenaire qui assiste à des concerts de metal. Il a un regard assez doux alors que son visage est dur. Ces deux anecdotes traduisent toute la complexité et le mélange des genres de ce procès.
Comment avez-vous vécu les cinq semaines de témoignages de parties civiles ?
Quel shoot d'humanité, de force, d'abnégation, de dignité ! Ils ont été impressionnants. Je vais d'ailleurs commencer mon témoignage en évoquant cela. On a eu droit à des récits très forts. Je pense à celui d'Aurélie [qui a perdu son mari au Bataclan], d'Arthur [Dénouveaux, président de l'association Life for Paris], de Christophe Naudin [rescapé du Bataclan]... Ils ont mis la barre à un haut niveau. Ça galvanise.
Craignez-vous un effet de répétition avec cette nouvelle séquence de témoignages ?
C'est difficile de ne pas dire ce qui a déjà été dit. Mais c'est une chance de pouvoir témoigner. On nous a répété que nous, parties civiles, ce n'était pas notre procès. Pendant des mois, on s'est concentrés sur le box.
Comment préparez-vous votre audition ?
J'ai su il y a huit jours la date de mon passage. Je vais finir d'écrire mon témoignage dans la semaine, en le calibrant. Là, j'en suis à 14 pages, je fais plus de 20 minutes. On nous donne du temps, alors je vais le prendre. Quand on dit "déposer", c'est "se débarrasser" de quelque chose. On n'aura pas d'autre occasion de le faire. En tant qu'enseignant, je connais bien la gestion du temps dans un exposé. Mais l'intérêt d'un témoignage se loge dans les détails, les précisions. Je vais mettre le paquet sur le stress post-traumatique.
Le passage du psychiatre Thierry Baubet à la barre m'a fait découvrir le syndrome de Lazare : quand on a approché la mort de près, on revient parmi les vivants mais on reste entre deux mondes. On sent qu'il y a un voile entre eux et nous.
Allez-vous vous adresser aux accusés ? Qu'avez-vous pensé de l'évolution du discours de Salah Abdeslam ?
Oui je vais m'adresser au box, à la bande de Bruxelles. On est globalement face à des médiocres, des gens qui essaient de se dédouaner, qui ne sont pas dans une démarche de vérité. Ils passent à côté de leur procès, en pensant gratter quelques années de prison. Salah Abdeslam, j'en ai un peu rien à cirer. Il est impossible de prendre ce qu'il a dit pour argent comptant.
Redoutez-vous cette confrontation et ce passage à la barre ?
Le fait d'être venu régulièrement et de connaître la disposition des gens dans la salle permet de faire baisser le niveau d'appréhension. Ma vraie pression est d'avoir un texte de bonne tenue et de dire des choses suffisamment originales et intéressantes, d'être le plus précis possible sur ce que j'ai vécu. Ces témoignages vont rester dans l'Histoire, je ne veux pas me rater.