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Économie et marchés

En plein Qatargate, un émirat en position de force avec son gaz naturel

realpolitik La zone industrielle de Ras Laffan, le principal site du Qatar pour la production de gaz naturel liquéfié. Le Qatar a semblé menacer les pays européens de représailles, dimanche, après l’adoption par les eurodéputés de mesures liées au scandale de corruption au sein du Parlement. Mais face aux besoins en gaz naturel des États-membres, les tensions envers l’émirat ne devraient pas durer. Le Qatar a déploré, dimanche 18 décembre, "l’effet négatif" des mesures prises par le Parlement européen à son encontre après la révélation du "Qatargate". Les eurodéputés ont en effet voté à la quasi-unanimité, jeudi, un texte dans lequel ils demandent "instamment la suspension des titres d'accès des représentants d'intérêts qatariens" au Parlement européen, le temps de l'enquête. L'instance a aussi décidé de suspendre tout travail législatif concernant l’émirat. La mesure fait suite à l'éclatement d'un scandale de corruption impliquant une vice-présidente du Parlement européen, Eva Kaili, et son compagnon. Ils auraient accepté des pots-de-vin en échange de la défense des intérêts du Qatar. "La décision d'imposer au Qatar une restriction aussi discriminatoire, limitant le dialogue et la coopération avant la fin de la procédure judiciaire, aura un effet négatif sur la coopération régionale et mondiale en matière de sécurité, ainsi que sur les discussions en cours sur la rareté et la sécurité énergétiques mondiales", a réagi le Qatar dans un communiqué. Une menace à peine voilée, alors que les pays de l’Union européenne dépendent plus que jamais du petit État du golfe pour leurs approvisionnements en gaz, après l'arrêt presque total des exportations russes, sur fond de guerre en Ukraine.  Le Qatar, grand producteur de GNL Pour remplacer les 167 milliards de mètres cubes annuels de gaz russe, l’Europe mise en effet sur les importations de gaz naturel liquéfié (GNL). Le Qatar est l’un des principaux producteurs de ce gaz naturel rendu liquide après avoir été refroidi à -160 degrés, et transporté par bateau. Les importations européennes de GNL ont ainsi augmenté de 58 % depuis le début de la guerre, selon l’Independent Commodité Intelligence Service. Et l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Slovaquie et la France, les plus gros consommateurs de gaz de l’UE selon Eurostat, sont en train de développer leurs infrastructures afin d’en recevoir davantage.  Or, le Qatar est, avec les États-Unis, le seul pays au monde à être en capacité d’augmenter sa production pour répondre à la demande croissante au niveau mondial, contrairement à l’Afrique du Nord, un des fournisseurs traditionnels de l’Union européenne. "La part du Qatar dans les importations européennes de gaz augmente très rapidement, observe Sami Ramdani, enseignant-chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Il est l’un des seuls acteurs que l’Union européenne peut utiliser pour pallier les approvisionnements russes, et va devenir encore plus incontournable dans les années à venir."  Le Qatar et l’Allemagne, un contrat à long terme Fin novembre, le Qatar a ainsi conclu avec l’Allemagne un contrat sur 15 ans, pour envoyer deux millions de tonnes de GNL par an outre-Rhin, soit 2,7 milliards de mètres cubes, dès 2026. Une goutte d’eau, qui couvre à peine 3 % de la consommation annuelle de l’Allemagne, mais fait date : c’est la première fois qu’un contrat de long terme est conclu par un pays européen avec le Qatar. L’émirat a, par ailleurs, annoncé souhaiter augmenter sa production de plus de 60 % pour atteindre 110 millions de tonnes d’ici à 2027. Dans une telle situation de dépendance, les tensions liées au Qatargate devraient donc faire long feu. "Le rapport de force existe si on le fait exister, remarque Emma Soubrier, directrice de l’Initiative PRISME et chercheure associée à l’Institut de la Paix et du Développement à Nice ainsi qu’à la World Peace Foundation. Mais personne n’a intérêt à le faire. Dans cette affaire, le Qatar a dit en gros à l’Union européenne "vous bluffez". L’Union a mis la pression sur le Qatar en amalgamant plusieurs dossiers n’ayant que peu à voir avec le scandale de corruption. La réaction du Qatar est donc de renvoyer la balle dans le camp européen, en soulignant au passage qu’il n’a pas les moyens de ses ambitions. C’est une façon de dire ‘ne mélangeons pas tout, puisque vous avez bien trop besoin de nous sur certains dossiers pour vous permettre de tout mélanger’."  Pragmatisme Et ce, d’autant que les négociations pour les accords gaziers sont du ressort des États-membres et non de l’Union européenne en tant que telle. Les mesures des parlementaires européens devraient ainsi n’avoir que peu d’incidence sur les contrats d’approvisionnement en gaz. "Je ne pense pas qu’un rapport de force se construise, analyse ainsi Sami Ramdani. Les deux dossiers resteront bien séparés, le Qatar ne mettra pas le gaz dans la balance et les États-membres ne se feront pas un relai trop bruyant du scandale au Parlement européen. Les questions d’approvisionnement gazier ne sont jamais dépassées par les questions de moralité."  Marque de ce pragmatisme, Robert Habeck, le ministre allemand de l’Économie, a déclaré que le Qatargate devait être dissocié de la question des approvisionnements énergétiques. Une situation ironique, car, comme le rappelle Sami Ramdani, il était le premier à condamner la politique conciliante menée par Angela Merkel vis-à-vis de la Russie pour sécuriser le projet de gazoduc Nord Stream 2.  Des contrats à long terme empoisonnés Mais au-delà du scandale de corruption, d’autres questions davantage liées au gaz risquent de se poser à l’Union européenne. Les États-membres sont en effet, pour le moment, liés au Qatar en majorité par des "contrats spots", des accords de court terme. Mais la situation devrait être amenée à changer : la fourniture en gaz nécessite en effet des investissements lourds, qui sont généralement sécurisés par la conclusion d’accords sur le long terme.  La conclusion de ces contrats risque de poser problème aux pays européens, remarque Sami Ramdani. "Les fournisseurs européens ont peur de s’engager sur du long terme sur du gaz naturel en raison des objectifs climatiques que se sont fixés les États-membres. En visant la neutralité carbone d'ici à 2050, il est difficile de s’engager sur un contrat de production d’une énergie fossile pendant 20 ans. Ils sont bloqués entre la nécessité de sécuriser leurs approvisionnements gaziers et leurs engagements climatiques."  Rapport de force déséquilibré Et le rapport de force n’est pas de leur côté : les Quataris peuvent en effet faire jouer la concurrence entre les différents pays acheteurs de gaz, notamment l’Asie. La Chine vient ainsi de conclure un contrat d’approvisionnement sur 27 ans. Si le marché européen est l’un des plus lucratifs pour les vendeurs de gaz, les prix ayant explosé avec la guerre en Ukraine, le Qatar se trouve donc en position de force et pourrait réussir à pousser les Européens à accepter la signature de contrats de long terme. Au risque de s’aliéner les opinions publiques, et de mettre un sacré coup de canif dans les objectifs climatiques…  TotalEnergies a ainsi signé avec le Qatar un accord de 1,5 milliard de dollars pour développer le plus grand champ de gaz naturel au monde, le North Field South et le North Field East, situés au large de l’Iran. Le PDG du fournisseur français d'énergie, Patrick Pouyanné, et le ministre quatari de l’Énergie et PDG de Qatar Energy, Saad Sherida Al-Kaabi, ont d’ailleurs profité de l’annonce de la signature, en septembre, pour souligner l’importance des contrats de longue durée. Un point de vue partagé par l’Allemagne, qui a, elle, inauguré samedi son premier terminal de gaz liquéfié. >> À lire : "Les majors du pétrole et du gaz continueront à encaisser l'argent pendant que le monde brûle"

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