Déploiement de la fibre optique : avec le recours à une cascade de sous-traitants, "il ne faut pas s'étonner qu'il y ait des problèmes de qualité"
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La rédaction de franceinfo
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Alors que les salariés qui le peuvent doivent obligatoirement télétravailler trois à quatre jours par semaine, à partir du 3 janvier, le déploiement de la fibre optique en France connaît quelques difficultés, entre mauvaises installations et recours massif à la sous-traitance par les opérateurs.
Depuis plusieurs semaines, les témoignages de clients mécontents fleurissent sur Internet, entre coupures intempestives et mauvaise connexion. À l'heure où la France se remet au télétravail obligatoire trois à quatre jours par semaine, pour les salariés qui le peuvent, et qu'une bonne - voire excellente - connexion Internet, est nécessaire pour travailler de chez soi, le déploiement de la fibre optique connaît justement quelques ratés.
Le problème est à chercher du côté des armoires, où sont branchés tous les câbles de fibre optique, déjà en très mauvais état pour un certain nombre d'entre elles. Elles sont souvent installées en pleine rue.
Trop de coupures, des clients se vengent
Illustration en Seine-et-Marne, où franceinfo a suivi la tournée de Corentin. Ce technicien repère un "point de mutualisation", c'est leur nom officiel. Sa serrure est cassée. "Cela peut être la faute d'un collègue, qui n'avait pas sa clé, et a défoncé la porte pour l'ouvrir et valider à tout prix son intervention", explique-t-il, "ou un gamin qui est venu et a arraché la porte pour voir ce qu'il y avait dedans."
Dans l'armoire, des dizaines de câbles de couleur se croisent et s'entrecroisent. Cela ressemble vaguement à un plat de spaghettis emmêlés, alors que les fils doivent suivre un chemin particulier et théoriquement ne pas passer les uns au-dessus des autres. "Les techniciens veulent assurer le plus d'interventions possibles, pour se faire le plus d'argent", précise Corentin, car ils sont payés à l'intervention.
Cet empressement entraîne ainsi des coupures de connexion Internet. Certains clients, énervés d'être régulièrement déconnectés, une à deux fois par semaine, viennent parfois se venger sur ces points de mutualisation.
Un manque de formation des techniciens
Une installation sur cinq de fibre optique souffre de problèmes. La plupart du temps, ce sont de simples coupures Internet, de quelques heures voire quelques jours. Mais il y a parfois des soucis plus importants.
Comme cette mésaventure arrivée à deux habitants des Hauts-de-Seine, au moment de brancher leur box Internet. "Un des techniciens avait une échelle téléscopique et il n'a pas su l'ouvrir", raconte l'un d'eux. "Alors il a utilisé sa boîte à outils en guise d'échelle. Il est monté dessus. Ca a mis de la colle partout par terre, ça coulait." Puis il a "percé un tuyau de gaz. Il aurait dû avoir un détecteur de métaux, afin de voir s'il y avait un tuyau derrière le mur qu'il allait percer." L'immeuble de 16 étages a dû être évacué.
Cet amateurisme s'explique notamment par un manque de formation, lié au recours massif à la sous-traitance. Les lettres de plaintes s'entassent ainsi sur le bureau de la présidente de l'Arcep, l'autorité de régulation des télécoms. Par exemple, le maire d'une commune d'Île-de-France, racontant à Laure de la Raudière, présidente l'Arcep, que plus de 1 000 habitants se sont signalés en mairie pour des pannes longues et répétitives.
"Aujourd'hui, certains opérateurs ont jusqu'à cinq ou six rangs de sous-traitance. Il ne faut pas s'étonner qu'il y ait des problèmes de qualité", résume Laure de la Raudière. L'Arcep dresse une série de recommandations, telles que la limitation à deux sous-traitants au maximum. Et elle joue le rôle de gendarme face aux opérateurs qui ne respectent pas leurs obligations. L'Arcep a ainsi lancé une enquête à l'encontre d'une filiale de SFR.
La fibre "victime de son succès"
Le déploiement de la fibre en France n'est cependant pas un fiasco. Deux-tiers des foyers français sont éligibles aujourd'hui. Du côté des fournisseurs Internet, on préfère voir le verre à moitié plein. "Aujourd'hui en Europe, aucun autre pays ne déploie aussi vite que nous", affirme Etienne Dugas, fondateur d'Infranum, la fédération des opérateurs. Pour lui, SFR, Orange, Free et Bouygues sont "victimes de leur succès. Avec le Covid, les besoins en bande passante et en raccordement à la fibre ont explosé, avec le télétravail, le streaming vidéo. Il y a un goulot d'étranglement et un manque de ressources pour pouvoir raccorder correctement." Le fondateur d'Infranum assure que ces problèmes seront réglés d'ici un an et demi au plus tard. L'Arcep ne s'avance pas autant et préfère rester prudente.