Déforestation, changement climatique... On vous explique pourquoi la forêt amazonienne part toujours plus en fumée
Tous les ans, la période qui s'étend de juin à septembre est marquée par une recrudescence des incendies dans la plus grande forêt tropicale du monde. Une catastrophe environnementale due à l'activité humaine.
Chaque année, des satellites documentent en direct la destruction de la forêt amazonienne. Copernicus montre, début septembre, un "immense nuage de fumée et des concentrations élevées en dioxyde de carbone" au-dessus du précieux écosystème. Ce panache de fumée s'étire sur quelque 4 000 km de long, selon l'Organisation météorologique mondiale*.
Alors que le pays célébrait, lundi 5 septembre, la journée de l'Amazonie, franceinfo se penche sur cette tendance inquiétante qui touche la plus grande forêt tropicale de la planète, un territoire en passe d'être anéanti par des pressions économiques, politiques et climatiques.
Une logique économique qui encourage la déforestation
Après son pire mois d'août depuis 2010, avec 33 116 foyers d'incendie (contre 28 060 en août 2021), l'Amazonie débute le mois de septembre dans les flammes. Durant les quatre premiers jours du mois, l'Institut brésilien de recherches spatiales (INPE) a déjà identifié 12 133 foyers d'incendie dans la région, soit plus de 70% du nombre total de feux relevés sur l'ensemble du mois de septembre 2021.
Ces feux sont essentiellement d'origine humaine, explique Jean-Pierre Wigneron, chercheur à l'Inrae. "La forêt amazonienne est une forêt humide. Sans l'intervention humaine, il y aurait très probablement très peu d'incendies", assure le spécialiste de la déforestation. Les foyers s'étalent sur toute l'Amazonie – un territoire à cheval sur huit pays – et frappent particulièrement le Brésil, en témoigne cette carte de l'INPE.
Les foyers d'incendies repérés par l'Institut brésilien de recherches spatiales (INPE), le 6 septembre 2022. (INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE SPATIALE / PROGRAMA QUEIMADAS)
Comme souvent, c'est le développement économique qui motive ces destructions. A commencer par le développement agricole – premier moteur de la déforestation – et la foresterie : "Les plus beaux arbres sont coupés car leur bois se vend très cher. Ce qu'il reste alors présente moins d'intérêt économique. L'idée est donc de brûler la surface pour y faire notamment des pâturages et des cultures comme le soja", résume le chercheur.
Ces incendies en majorité criminels permettent le développement de gigantesques exploitations agricoles et pastorales au détriment de la forêt et alimentent une économie qui repose sur la destruction de cet écosystème. "Le secteur agricole est responsable de 84% de la déforestation. Les invasions [des terres], ainsi que les incendies, sont directement corrélés à l'expansion de l'agriculture", selon l'ONG Amazon Watch*. Cette activité dévore progressivement la forêt. On retrouve ainsi la majorité des feux dans une zone appelée "arc de la déforestation" : un territoire qui s'étend de l'océan Atlantique jusqu'à la frontière bolivienne.
En 2022, une autre région agricole, appelée Amacro (à la croisée des Etats de l'Amazonas, de l'Acre et de Rondonia), a "concentré 40% des foyers d'incendies identifiés depuis le début de l'année dans l'Amazonie brésilienne", souligne Romulo Batista, porte-parole de Greenpeace au Brésil, auprès de l'AFP. Autrefois préservée, la région représente "la nouvelle frontière de la déforestation", estime l'ONG, qui dénonce la volonté d'y "stimuler la production agricole".
Amazon Watch relève que "dans les zones protégées, les surfaces agricoles se sont étendues de 220% entre 2001 et 2018, et de 160% dans les territoires indigènes". Car les incendies participent aussi d'une stratégie visant à chasser les populations autochtones, engagées en première ligne dans la protection de cet habitat et au cœur de violents conflits fonciers.
Le résultat de la politique de Jair Bolsonaro
"Depuis l'arrivée de Jair Bolsonaro à la tête du Brésil, le rythme de déforestation a été multiplié par quatre", explique Pierre Cannet, directeur du plaidoyer et des campagnes pour l'ONG WWF France. Selon les associations de protection de l'environnement, le président d'extrême droite a affaibli les organes de surveillance de l'Amazonie et encouragé les activités extractives et agricoles dans des zones protégées. "Dans ce contexte, les criminels opèrent en toute impunité", observe Pierre Cannet
Il cite notamment "le détricotage des mécanismes de contrôle, des budgets et des moyens d'action des organismes chargés de l'application de la loi et de la distribution des amendes, comme l'Institut brésilien de protection de l'environnement".
La protection de la forêt amazonienne est d'ailleurs l'un des enjeux de l'élection présidentielle à venir au Brésil, où Jair Bolsonaro brigue un nouveau mandat. Mais pour Pierre Cannet, "ces incendies nous interrogent aussi sur notre propre consommation et sur la responsabilité de nos dirigeants." En bout de chaîne, les consommateurs européens bénéficient, à travers les produits importés, du fruit de la destruction de la forêt amazonienne.
Les députés européens se prononceront d'ailleurs le 14 septembre sur une loi contre la déforestation. Le texte souligne, entre autres, "l'obligation de rendre compte de ce lien entre la déforestation et les produits que l'on importe", du bois brésilien que l'on retrouve en magasin de bricolage, au soja qui vient nourrir les élevages européens, en passant par le bœuf que l'on retrouve parfois dans nos assiettes.
Un phénomène aggravé par le changement climatique
Le rôle de l'augmentation globale des températures dans ces feux destructeurs est aussi simple que sournois : le réchauffement climatique entraîne plus de sécheresses, qui entraînent plus d'incendies, qui contribuent au réchauffement climatique. "Plus la végétation est sèche, plus les incendies vont s'étendre, y compris de manière non intentionnelle, à des zones qui ne devaient pas être brûlées initialement", explique Jean-Pierre Wigneron. "Ici, la sécheresse vient exacerber ces feux d'origine humaine", résume le chercheur. Et la transformation massive de l'usage de ces terres, passées de forêts à pâturages, contribue à la sécheresse.
Cette "savanisation" est irrémédiable, explique le spécialiste. Enfin, en faisant place à de nouveaux usages, tels que les pâturages, la région émet désormais plus de carbone qu'elle n'en capte.
Selon les bénévoles des brigades locales organisées au sein des communautés autochtones pour lutter contre les flammes, "la sécheresse s'est intensifiée ces dernières années, ce qui s'est répercuté sur l'intensité des incendies qui avancent à travers l'Amazonie", explique Amazon Watch*. Cités par la fondation Casa*, de nombreux bénévoles ont constaté "des changements dans les régimes de précipitation". En décembre 2021, une étude parue dans Reviews of Geophysics* confirmait que "lors de la dernière décennie, le bassin amazonien a connu plusieurs événements climatiques intenses, tels que des sécheresses extrêmes et des inondations, sans équivalence au cours du siècle passé."
"Face à ces incendies, aujourd'hui, tout le monde a compris que ce qu'il se passe là-bas a un impact direct chez nous, que ce soit sur nos vagues de chaleur ou sur notre capacité à nous nourrir", conclut Pierre Cannet, de WWF. Car si nous sommes en partie acteurs des incendies en cours dans "le poumon de la planète", nous en serons aussi inévitablement les victimes.* Les liens suivis d'un astérisque dirigent vers des contenus en anglais.