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Déçu du Brexit, le comique naturalisé français Ian Moore prend la présidentielle au sérieux

Élysée 2022 L'humoriste Ian Moore, né Britannique et devenu citoyen français en 2018 après le Brexit, votera pour la première fois en France à la présidentielle de 2022. Ian Moore vivait la belle vie à l'européenne, passant de sa maison de campagne française à des concerts en Grande-Bretagne chaque semaine, avant que le Brexit ne change tout. À Londres, lors du référendum de 2016, le comique a décidé d'opter pour la nationalité française "le lendemain, dans le train retour". Six ans après, il s'apprête à voter pour la première fois à la présidentielle française de 2022. Il a déjà le premier tour du 10 avril 2022 en tête. "Je serai bien habillé", promet l'humoriste, vêtu d'un chapeau pork pie et d'une lavallière brune dans sa maison en vallée de la Loire. "J'irai avec un drapeau tricolore. Je veux faire ça correctement", rigole Ian Moore, devenu français il y a quatre ans. Avant que le Royaume-Uni ne décide de quitter l'Union européenne (UE), peu de Britanniques demandaient la nationalité française. Après tout, avec leur passeport, ceux qui étaient établis en France jouissaient des quasi mêmes droits que les Français, à l'exception notable de celui de voter pour la présidentielle. D'après l'Insee, seulement 300 Britanniques ont obtenu la nationalité française chaque année entre 2009 et 2015. Mais l'année 2016 a été un tournant. Dans l'incertitude entourant la période post-référendum, certains Britanniques ont préféré prendre les devants, et les demandes pour obtenir la nationalité française ont bondi. Ian Moore, "incroyablement déçu par ce qui se passait en Grande-Bretagne", était l'un d'eux. "J'ai senti que ce pays n'incarnait plus mes valeurs, contrairement à l'endroit où je vivais", confie celui qui s'est installé avec Natalie, son épouse franco-britannique, en France en 2005. L'humoriste blague sur scène à ce sujet : "Je dis que nous sommes venus en France parce que c'était l'endroit le plus proche de Londres où nous pouvions nous acheter une maison… Ce qui n'est pas si faux !" La procédure pour obtenir la nationalité française a duré jusqu'en 2018 pour Ian Moore. Cette année-là, lui et 3 267 compatriotes d'outre-Manche sont devenus citoyens français. La lumière au bout d'un tunnel de paperasse et de patience. L'année suivante, 4 088 autres sujets de Sa Majesté devenaient Français, soit treize fois plus qu'avant le référendum de 2016. Mais 2018 était bien la meilleure année pour devenir français : "On a gagné la Coupe du monde de football. Vous voyez, il y a plein d'avantages !" L'extrême droite, très peu pour lui Installé dans le Berry, presque au centre de l'Hexagone, entre les communes de Chabris et Selles-sur-Cher (Région Centre-Val de Loire), Ian Moore gère trois chambres d'hôtes, en plus de sa carrière d'humoriste. "Monsieur So British", comme ses voisins l'ont surnommé, a longtemps rigolé des politiques britanniques. Désormais, le spectacle politique au nord de la Manche l'attriste : "On ne peut plus faire dans la satire. Chaque fois qu'on pense qu'ils ne peuvent pas couler davantage ou faire plus absurde, quelque chose se produit." Ce qui ne veut pas dire qu'il considère mieux la politique française, surtout à quelques semaines de la première élection présidentielle, lors de laquelle il pourra glisser un bulletin dans l'urne. "Je n'ai pas encore décidé si Éric Zemmour était un candidat sérieux ou une blague, mais il a dit qu'il se sentait proche de Boris Johnson", confie l'humoriste, incrédule. "Je ne comprends pas comment, pour quiconque a un minimum sain d'esprit, cela peut être un vote gagnant. Boris Johnson ne me semble pas très respecté en France, donc je ne saisis pas la stratégie de Zemmour. C'est presque comme s'il voulait se saboter, ou passer pour une caricature de candidat d'extrême droite et diviser le vote Marine Le Pen. Ça me paraît étrange." Obtenir le droit de vote pour la présidentielle française prive Ian Moore de son statut confortable de simple observateur. Ce n'est pas la même histoire quand il faut choisir un camp. "C'est comme être un fan de foot dans son fauteuil, puis d'un coup, quelqu'un vous lance une écharpe, et vous réagissez en disant : 'Mais ! Ce n'est pas celle-là que je veux !'." Une chose est sûre pour ce nouveau Français : ce n'est pas son truc de suivre la tendance du coin, où l'extrême droite xénophobe a l'oreille de certains voisins. "Je sais que dans les alentours, on tend au populisme. Ça penche vers Le Pen. Mais étant le seul immigré, je trouve ça un peu insultant pour être tout à fait honnête !", éclate-t-il de rire. "L'économie se porte mieux que certains veulent bien admettre" Ian Moore pense aller "plutôt vers Emmanuel Macron, parce que j'ai vu comment, d'un point de vue rural, les choses ont changé". "Je sais qu'il a dû travailler sur ça, être poussé dans cette direction à cause du mouvement des Gilets jaunes, mais ça a fait une différence", dit-il. Les manifestations des Gilets jaunes ont commencé fin 2018, quand les automobilistes se sont élevés contre l'augmentation des prix de l'essence.  Ian Moore se réjouit des changements positifs intervenus depuis dans les petites villes sur la route de Vierzon, où il prend le train direction Paris. Des villages encore abandonnés il y a quelques années respirent à nouveau la vie. "Ces petits villages – environ une demi-douzaine – étaient en train de mourir. Il n'y avait aucun magasin. Certains n'avaient même pas de boulangerie. Il n'y avait rien ici, économiquement. Mais maintenant, chaque petit village a son épicerie, sa boulangerie. Certains ont des bars, des restaurants. Un bar de blues a ouvert dans l'un d'eux. Ce n'est pas énorme, mais ce sont des signes que les choses s'améliorent en milieu rural. Et c'est, je pense, parce que l'économie se porte mieux que certains veulent bien admettre", estime Ian Moore. "J'ai vu des changements concrets. Pour moi, il faut voter en fonction de ce qu'on constate", ajoute-t-il. Ian Moore estime que le président sortant a plus de cette solennité que les Français apprécient chez leur représentant sur la scène mondiale que ses concurrents d'extrême droite : "La France est très sensible, je crois, à la manière dont elle est perçue dans le monde, à sa puissance et à celui qui l'exerce." La peur du déjà-vu Père de trois enfants, dont deux nés en France – "complétement bilingues et sans accent", "très anglais dans leur attitude", mais intégrés en tant que Français –, Ian Moore a dû rester chez lui ces derniers temps, entre la pandémie de Covid-19 et une envie de plus en plus prégnante de passer plus de temps avec les siens. Désormais, il voyage moins et écrit plus. "Death and Croissants", le premier roman policier de Ian Moore, parle d'un expatrié britannique qui dirige des chambres d'hôte dans le Val de Loire lorsqu'un crime se produit. Il a été publié l'année dernière et sa suite arrivera en juillet. La boucle est bouclée pour celui dont le rêve français est devenu réalité : "Quand je suis venu dans cette région pour la première fois en 1990 avec Natalie, nous avions 19 ans. Et le premier jour, j'ai dit 'tout ce que je veux, c'est prendre ma retraite ici et écrire des romans comiques et peu exigeants. C'est tout ce que je veux faire'." "Et c'est ce que je fais enfin", glisse-t-il, bien avant la retraite. Ian Moore vient tout juste de finir son troisième roman sur les six qu'il s'est promis d'écrire. L'auteur plaisante en disant qu'il se sent plus français maintenant que "Death and Croissants", son premier polar, a été traduit. "Un Crime à donner la chair de poule" est sorti dans les librairies françaises en janvier. "Enfin, la famille française de mon épouse pense que je fais vraiment quelque chose dans ma vie. C'est un bonus", s'amuse Ian Moore. Avant que "Monsieur So British" ne dépoussière son meilleur costume du dimanche pour voter pour le prochain président en avril, une question demeure : que fera-t-il si ses nouveaux compatriotes devaient un jour le trahir de la même façon que son pays natal le fit en 2016 ? Pliera-t-il à nouveau bagages ? "Si les Français votent pour un extrémiste, s'ils quittent l'Europe, ouais. Zemmour, Le Pen, Mélenchon, n'importe lequel de ces candidats. Ça serait comme du déjà-vu", répond Ian Moore. "Ce ne sont que des idéaux populistes, ils disent œuvrer pour les familles travailleuses alors que non : en fait, il ne s'agit que de se remplir les poches. Je serais vraiment déçu si les Français tombaient dans le panneau." "Je ne sais pas où j'irais après", ajoute le comique, frissonnant à cette pensée. "La Nouvelle-Zélande, ça a l'air pas mal…" Adapté de la version originale en anglais par Nicolas Bamba.

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