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Sports

Dakar Sacré-Coeur : "Le Sénégal a un potentiel sportif extraordinaire"

REPORTAGE À l’ombre des géants de Génération Foot et de Diambars FC, le club de Dakar Sacré-Coeur, partenaire africain de l’Olympique lyonnais (OL), fait de plus en plus parler de lui. Reportage au sein du club dakarois qui forme la relève du football tout en grandissant grâce à un modèle économique innovant. "Suivez-nous", peut-on lire dans l’entrée bleue pétante du club de football Dakar Sacré-Coeur. Depuis quelques temps, le club, situé en plein milieu de la capitale sénégalaise, fait son chemin dans le football local, en mettant à profit des infrastructures tout justes rénovées : deux terrains d'entraînement en gazon synthétique à onze – dont un bleu, la couleur fétiche du club –, un plus petit pour des matches à cinq contre cinq et un espace de musculation. De quoi permettre à ce club, qui mise sur la formation, d’offrir le meilleur aux recrues qui poussent sa porte. Le 6 février 2022, le Sénégal était en fête. Après 61 ans d’attente, les Lions de la Teranga soulevaient leur premier trophée à Yaoundé, au Cameroun, en remportant la CAN-2022 face à l’Égypte. Une victoire historique dans laquelle le football local a joué son rôle : si les sélections africaines ont souvent l’habitude de carburer aux binationaux formés en Europe, les Lions peuvent se targuer de compter dans leurs rangs seize joueurs formés sur le continent. Et le Dakar Sacré-Coeur a pris sa part, en contribuant notamment à la formation de Famara Diedhiou et Moustapha Name. Le Sénégal a du talent à exporter. Et les clubs de Ligue 1 française ne s’y sont pas trompés en nouant des liens privilégiés avec trois "Académies" locales : Génération Foot avec le FC Metz, Diambars FC avec l’OM et, donc, le Dakar Sacré-Coeur avec l’OL.  >> À lire : Sadio Mané, de Génération Foot au Sénégal jusqu'au ballon d'or Africain À eux trois, ces équipes – en concurrence constante en première division sénégalaise grâce à leurs jeunes joueurs – ont formé dix champions d’Afrique 2022 et pas les moins emblématiques. Parmi eux, Sadio Mané, Idrissa Gana Gueye ou encore Bamba Dieng.  La presse sénégalaise a beau surnommer le trio “les Académiciens”, le qualificatif ne plaît pourtant pas au président de DSC. "Nous ne sommes pas une académie mais un club", rectifie dans un sourire Matthieu Chupin, président et fondateur du club de Dakar, qui reçoit France 24 dans son bureau donnant sur les terrains. "Un club formateur certes, mais un club avec l’ambition de devenir un grand club africain." Un modèle de financement unique Ce club est le bébé de son président. Cet entrepreneur, qui travaille depuis plus de trois décennies dans le milieu du football sénégalais, pourrait en parler pendant des heures. L’idée originelle remonte à 2003 et à sa rencontre avec les Frères du Sacré-Cœur, une congrégation religieuse qui se consacre à l’éducation des jeunes dans le monde. Les Frères avaient alors à leur disposition 2,5 hectares de terrain en plein Dakar. Matthieu Chupin les a convaincus de son projet. Dakar Sacré-Coeur a vu officiellement le jour en 2005 mais il a fallu encore cinq années de travaux avant que les activités ne commencent réellement. Aujourd'hui, pour se démarquer, le président a en tête un modèle de financement innovant. "On ne veut pas dépendre de l’activité professionnelle et des transferts de joueurs. Notre club repose donc sur trois piliers qui sont complémentaires : le football professionnel, avec une équipe pro chez les filles et les garçons et un centre de formation ; le foot-loisir, avec la location de nos terrains qui attirent 8 000 pratiquants par semaine ; et enfin l’aspect communautaire, car un club ne saurait être que du sport" pour créer du lien dans le quartier, énumère Matthieu Chupin. "le chiffre d’affaires repose à 60 % sur la location de nos terrains au foot loisir", précise-t-il. Le club connaît sa première consécration en 2015 lorsque l’Olympique lyonnais toque à la porte pour un partenariat. "Il ne s’agit pas juste d’embaucher nos joueurs. Il s’agit d’un véritable transfert de compétences entre les deux clubs", explique le président-fondateur. "C’est un partenariat très riche", vante-il. "DSC est ma deuxième famille" Sous ses fenêtres, les jeunes pros s’entraînent dans la salle de sport en plein air et sur des machines fournies par l’OL. Les sourires et les plaisanteries fusent, preuve d’une bonne ambiance dans le groupe professionnel. Moussa Kanté, 17 ans, se fait notamment mettre en boîte. À cause de sa petite taille, on affuble le jeune homme aux cheveux orangés du sobriquet "Kirikou". Si le club a un partenariat avec l’OL, c’est pourtant l’autre Olympique français – Marseille – qui fait rêver le jeune homme. Il aimerait y aller "comme Bamba Dieng". Pour y arriver, le jeune homme pense connaître la recette : "Travailler dur, être rigoureux et rester focus sur les entraînements". Son camarade Abdourahmane Mahecor Diouf partage ses convictions. Le milieu défensif de 21 ans ajoute qu’il faut "être fort mentalement" pour percer dans le football. Comme son coéquipier, il rêve de traverser la Méditerranée pour jouer sur le Vieux continent, notamment au FC Barcelone, son club préféré qui a vu passer ses idoles Thiago Motta et Lionel Messi.  "Mon rêve, c’est de jouer en Europe. Mais déjà, je n’avais jamais pensé que je serais un jour professionnel dans mon pays. Donc, ça va", dit-il dans un sourire, espérant qu'après un essai non concluant pour intégrer une équipe en Turquie, une autre chance viendra. Les deux jeunes hommes sont au club depuis plus d’une décennie. Ils sont passés par les rangs de l’école de foot, puis du centre de formation, avant d’intégrer l’équipe première. Ils sont des véritables enfants du Sacré-Coeur. "Ça me fait plaisir de représenter DSC tous les week-ends", explique Moussa. "J’ai beaucoup appris ici. J’ai grandi ici. C’est ma deuxième famille", renchérit Abdourahmane "Les centres de formation comme DSC sont une chance pour le Sénégal. Cela nous apprend beaucoup de choses avant de partir en Europe." Les deux joueurs s’entraînent sous l'œil de David Laubertie, 52 ans, directeur sportif et entraîneur de l’équipe professionnelle depuis 2020. Une double casquette qu’il porte à merveille, capable de diviser ses journées entre travail de terrain et de bureau. "Je suis le garant de la politique sportive du club dans son entièreté", explique-t-il. "Le matin, je suis sur le terrain et l’après-midi c’est davantage administratif avec les contrats des joueurs, les relations avec les familles, l’affinage des méthodes d’entraînements", liste-t-il. Il gère aussi les relations avec l’OL : "On a un point hebdomadaire avec eux et ils surveillent une liste de joueurs à potentiel chez nous. Ils nous rendent également visite deux ou trois fois par an." Souvent vêtu d’un pantacourt et d’un tee-shirt gris floqué du logo du club, de ses initiales et de la mention "staff pro" dans le dos, ce Corrézien d’origine communique beaucoup lors des entraînements. Il n’hésite pas à interrompre un jeu d’opposition pour recadrer ses "gamins" : "Vous ne changez pas assez de rythme. Vous ne jouez qu’en transition. À ce rythme, je suis obligé de sortir les milieux au bout d’un quart d’heure. Prenez votre temps pour construire votre attaque et pouvoir percuter en bloc", enjoint-il. Les visages sont attentifs pour écouter les remontrances du Français. Aider le joueur en dehors du terrain Le Dakar Sacré-Coeur a, par ailleurs, pour vocation d'aider les jeunes potentiels à s’exprimer. Alors qu'habituellement, les joueurs intègrent les groupes professionnels vers 20 ans, il n’est pas rare de voir des jeunes de 16 ou 17 ans dans la cour des grands du Dakar Sacré-Coeur, à l’instar de Moussa Kanté. Dans ces conditions, difficile parfois d’être compétitif dans le championnat, les jeunes joueurs manquant parfois encore d’expérience et d’athlétisme. Depuis sa montée en première division en 2016, le club alterne entre le haut du ventre mou et le flirt avec les limites de la relégation. "On tente de compenser en pratiquant un bon football, être propre techniquement. On fait en sorte que nos joueurs sachent maîtriser le jeu et différents systèmes. Les jeunes qui partent doivent avoir ces connaissances dans leurs bagages", note David Laubertie. Ce que deviennent les joueurs après leur passage à DSC est en permanence au cœur des réflexions menées par le duo à la tête du club. "Quitter le Dakar Sacré-Coeur pour l’Europe ne doit pas être une fin en soi pour nos joueurs. Cela doit être un premier pas dans le monde professionnel", avertit David Laubertie. "Une fois là-bas, il y a forcément un temps d’adaptation au nouvel environnement. C’est un travail quotidien pour les avertir des dangers et des changements que cela engendre. On essaie de les sensibiliser au maximum". Le club tente de travailler avec des agents de confiance et monte avec l’OL un réseau de suivi de ces anciens joueurs animé par Sidney Govou. Matthieu Chupin surveille aussi d’un œil attentif les expériences menées dans plusieurs clubs européens pour aider les jeunes Africains à s’adapter à l’Europe, notamment celle de Salzbourg qui a mis en place des familles d’accueil. L'OL travaille également sur le sujet, menant des études sociologiques pour tenter d’identifier une typologie des profils familiaux plus à même de percer dans le football professionnel. Le Sénégal, "un potentiel extraordinaire" "Il y a un réservoir exceptionnel au Sénégal. Il faut essayer de structurer tout ça", explique David Laubertie. "L’important, c’est de préserver la spontanéité et la créativité des joueurs locaux tout en capitalisant sur leurs qualités athlétiques et mentales." Cependant, le président du club regrette la faiblesse des politiques publiques pour porter le Sénégal au sommet du sport africain. "On est tous très heureux des performances de l’équipe nationale mais pour être performants sur le long terme, il faudrait investir dans le football local", note le dirigeant. Que ce soit par la voix du président Macky Sall ou de son ministre des Sports, Matar Bâ, le gouvernement sénégalais a évoqué à de multiples reprises ces dernières années la volonté de faire de Dakar un "hub sportif". Mbaye Jacques Diop, conseiller en communication du ministère des Sports, le répétait encore lors de l’inauguration du nouveau stade du Sénégal à Diamniadio. "[Cette] nouvelle construction s'inscrit dans une dynamique de faire de Dakar 'un hub sportif' afin d'éviter que des matches soient délocalisés jusqu'en Asie", avait-il indiqué. >> À lire : pelouse hybride et énergie solaire… L'ultramoderne stade du Sénégal Abdoulaye-Wade "Il y a un potentiel extraordinaire au Sénégal donc l’objectif [d’en faire un hub sportif] est tout à fait légitime", note Matthieu Chupon. "Mais au-delà des beaux discours, l’État doit se rendre compte qu’il a besoin du secteur privé pour parvenir à ses fins. Il faut un investissement massif dans la formation, les infrastructures et les compétitions. Cela devrait être une priorité nationale." Le club dakarois est un exemple criant. Si ses terrains d'entraînement ont pu être rénovés grâce aux fonds du club, il ne dispose plus de stade homologué à proximité pour jouer ses matches à domicile : l’enceinte Demba-Diop, à quelques centaines de mètres de son siège, reste inutilisable depuis 2017 après l’effondrement d’une tribune qui a coûté la vie à plusieurs supporters et a blessé une centaine d’autres. "Il n’y a pas non plus de droits TV issus de la diffusion du championnat", rappelle Matthieu Chupin. Des projets de développement À défaut d’avoir l’aide des pouvoirs publics, Dakar Sacré-Cœur avance et multiplie les projets. En 2017, elle a ainsi lancé le pendant féminin de son équipe professionnelle. "Cela tombait sous le sens quand on est associé avec le meilleur club du monde en la matière", affirme David Laubertie. Les résultats sont déjà là. Une accession à la première division dès 2018 puis un titre de championne du Sénégal en 2021 qui lui ouvre les portes du tour préliminaire de la première Ligue des champions féminine de l'histoire du continent. À lire : INTEGRER LIEN Football féminin : "Les mentalités changent au Sénégal" Matthieu Chupin, qui n’imagine pas le football sans développement social, voit grand. Après avoir rénové ses terrains, il lorgne actuellement sur des terrains supplémentaires du collège Sacré-Coeur.  "Ces terrains serviront aux cours d’EPS du collège mais nous permettraient également d’aller vers une extension de notre établissement en proposant du sport-loisir dans davantage de disciplines les soirs, les week-ends et les vacances scolaires”, détaille le président-fondateur.  Fidèle à son credo, Matthieu Chupin veut aussi développer la formation. "D’une part, on a énormément de demandes de parents pour des classes de sport-études. Donc on voudrait étendre nos propositions”, explique-t-il. "D’autre part, on aimerait créer une académie de la filière du sport. Car autour du football, il y a plein de métiers qui nécessitent des formations et il n’y a nulle part où elles sont proposées au Sénégal, que ce soit dans la sécurité ou dans l’entretien…Ici, les personnes qui s’en occupent sont les anciens ouvriers du chantier. Ils ont appris sur le tas." Enfin, le président veut à terme dissocier Dakar Sacré-Coeur en deux sites. Le second, qui prendra place dans la grande banlieue dakaroise, sera dédié au sport professionnel, en s'étendant à d'autres sports que le football, notamment le basket – l'autre discipline reine du pays. Matthieu Chupin en est persuadé : l’avenir de DSC s’écrit en bleu et en multisport.

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