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Économie et marchés

Cryptomonnaies : les "stablecoins", nouveau défi à la stabilité financière mondiale ?

La Banque centrale des États-Unis, l'administration Biden et, mercredi, le Conseil de stabilité financière ont tous tiré la sonnette d’alarme concernant les "stablecoins". Ces cryptomonnaies d'un genre particulier sont considérées comme étant un potentiel danger majeur pour la stabilité financière mondiale. Explications. C'est le nouvel ennemi des autorités mondiales de la régulation financière : les "stablecoins". Après le bitcoin, la libra – le projet mort-né de monnaie numérique de Facebook –, le Conseil de stabilité financière s'en prend spécifiquement à cette classe particulière de cryptomonnaies dans son rapport sur les dangers des "crypto-actifs", publié mercredi 16 février. Ces stablecoins, dont la "croissance a été très forte en 2021 malgré les nombreuses préoccupations qui leur sont associées", pourraient devenir l'un des principaux défis à la stabilité financière mondiale, estime cet organisme créé par le G20 en 2009.  Un peu de stabilité dans un monde volatile ? Ce nouveau statut de grand méchant de la finance peut étonner pour un type de monnaie dématérialisée qui, à l'origine, a été créé pour "mettre un frein à la volatilité du bitcoin et amener justement un peu de stabilité à cet univers", rappelle Nathalie Janson, économiste et spécialiste des cryptomonnaies à l'école de management Neoma Business School, contactée par France 24. Les stablecoins sont, en effet, des cryptomonnaies dont les cours ne varient (presque) pas, car elles sont indexées sur une devise de référence comme le dollar. Par exemple, un tether – la plus célèbre et la plus utilisée des stablecoins – vaudra toujours un dollar.  Une promesse de stabilité qui a fait des stablecoins, et surtout du tether, "le pont entre les monnaies fiduciaires (dollars, euro, yuan, etc.) et les cryptomonnaies", explique Vincent Boy, analyste financier et experts en cryptomonnaies pour le cabinet de conseil IG, contacté par France 24.  En clair, dans le petit monde des bitcoins et autres ethereums (une autre cryptomonnaie), pour éviter le yo-yo constant du cours, les investisseurs les échangent d'abord en tether (ou USD coins, ou encore en binance USD, pour citer les principaux stablecoins) leur permettant ainsi de savoir précisément la valeur en dollars de leur portefeuille. Certaines plateformes imposent même de passer par une stablecoin pour changer les cryptomonnaies en dollars ou autres devises traditionnelles. Mais pour garantir cette parité, les créateurs de ces monnaies "stables" doivent toujours conserver en réserve un montant de dollars équivalent au nombre de jetons de la stablecoin en circulation. C'est ainsi que les fondateurs du tether – créé en 2014 – ont assuré fin décembre 2021 avoir 78,2 milliards de dollars en banque pour couvrir les 78 milliards de jetons en circulation Risque "systémique" à l'horizon ? Ce qui fait que "le tether a aujourd'hui une capitalisation similaire à une banque", souligne Vincent Boy. Surtout, c'est le signe d'une croissance fulgurante puisque "début 2020 la valeur totale de toutes les stablecoins s'élevait à 5,6 milliards de dollars", rappelle le Conseil de stabilité financière. Cette inflation du tether donne des sueurs froides aux autorités financières mondiales, y compris la Banque centrale américaine qui avait déjà tiré la sonnette d'alarme en août 2021. "Les questions qui se posent, c'est comment être sûr qu'ils ont bien les réserves nécessaires et que se passera-t-il si le tether venait à faire faillite", résume Vincent Boy.  L'importance grandissante des stablecoins est l'un des signes principaux de la "démocratisation des investissements dans les cryptomonnaies", souligne Vincent Boy. Plus il y a de personnes qui veulent échanger des dollars contre des bitcoins, monero et autres, plus le volume des transactions augmente et plus il faut de stablecoins en circulation. Il n'y a donc plus seulement des initiés qui détiennent ces tether ou autres, "mais aussi des fonds de placement traditionnels, des sociétés, ou encore des banques", énumère Nathalie Janson. C'est ce que le Conseil de stabilité financière appelle "l'interconnexion grandissante entre des acteurs de l'économie réelle et le monde des crypto-actifs". La faillite d'une de ces stablecoins ferait donc perdre de l'argent à des boursicoteurs de première importance, ce qui pourrait, par contagion, avoir des effets sur les marchés financiers traditionnels, craignent le Conseil de stabilité financière et, aussi, la Fed américaine. Pour l'heure, c'est un risque à relativiser. "Le poids financier des stablecoins est certes important, mais les Banques centrales ont encore largement de quoi couvrir des pertes en cas de problème sans trop heurter leur bilan", assure Vincent Boy. Cependant, si le tether et autres stablecoins continuent à croître au même rythme que ces dernières années, ces outils financiers encore largement inconnus du grand public pourraient "atteindre une taille systémique (c'est-à-dire qu'ils deviendraient 'too big too fail'", reconnaît l'analyste de IG.  Transparence et boule de cristal Mais tant que les réserves en dollars sont bien garnies, le risque de faillite n'existe pas. C'est l'autre aspect de ces monnaies dématérialisées "stables" qui inquiètent les autorités financières : "La composition et la structure de ces réserves varient beaucoup, et certains acteurs ne semblent adhérer à aucun standard [de transparence] en la matière", avertit le Conseil de stabilité financière. En somme, cette autorité déplore qu'il faut, peu ou prou, prendre pour argent comptant les assurances des créateurs de ces stablecoins sur leurs réserves car les audits, quand ils sont faits, ne le sont pas forcément par des organismes de premier plan ou selon les standards internationaux. Tether était encore soupçonné il y a trois ans de n'être rien d'autre qu'une vaste arnaque. Ce n'est pas forcément rassurant pour une cryptomonnaie aujourd'hui centrale à tout un écosystème. En réalité, ces stablecoins ont fait de réels efforts de transparence. "Ce qu'on sait maintenant, c'est qu'ils n'ont pas uniquement des réserves en dollars, mais aussi en placements à court terme, ce qui leur permet de se rémunérer", explique Nathalie Janson. Selon elle, c'est le cœur du problème. "Les autorités sont obsédées par une nouvelle crise de liquidités comme en 2008", assure-t-elle. À l'époque des subprimes, lorsque les marchés s'étaient rendu compte que les produits financiers proposés par Lehman Brother et autres reposaient en partie sur des actifs sans valeur, plus personne n'en a voulu, plongeant ces banques dans les pires soucis financiers.  Et si le même scénario se répétait avec les stablecoins qui ne sont pas transparentes à 100 % sur leurs réserves ? "Certaines détiennent peut-être de la dette d'Evergrande [le géant chinois de l'immobilier au bord de la faillite, NDLR], par exemple, comme cela a été évoqué pour le tether. Auquel cas, les réserves risquent de valoir bien moins, ce qui pourrait empêcher de rembourser tout le monde si besoin", résume Vincent Boy. D'où les appels du Conseil de la stabilité financière et de la Fed à réguler ces stablecoins afin de leur imposer des obligations similaires à des banques. Le président américain Joe Biden a, d'ailleurs, aussi appelé à mieux contrôler ce far-west financier. Pour Nathalie Janson, ce serait pousser le bouchon un peu loin. "Pourquoi vouloir les traiter comme des banques ? Il suffirait de leur imposer des obligations de transparence plus strictes, car c'est le principal problème", affirme-t-elle. Elle soupçonne ces autorités de vouloir mettre plus de bâtons que nécessaires dans les roues d'un outil qui pourrait faire de la concurrence à tous les projets de cryptomonnaies nationales actuellement développés dans plusieurs pays.

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