Cryptomonnaies en berne : des investisseurs au bord de la crise de nerfs
chute libre
La faillite de FTX, encore considérée début novembre comme l'une des plateformes les plus fiables, rappelle aux investisseurs l'incertitude qui règne dans le secteur.
2022 se termine en année noire pour la cryptomonnaie, dont le marché global a perdu, depuis un an, plus des deux tiers de sa valeur. Une situation difficile pour les investisseurs qui tentent de garder la tête froide en pariant sur des jours meilleurs.
Dans le monde des cryptomonnaies, l’euphorie des grands jours a tourné court. Après une année 2021 exceptionnelle, le marché de la monnaie virtuelle a connu une chute vertigineuse en 2022, perdant les deux tiers de sa valeur. Déjà confronté à une importante crise de confiance, le secteur fait désormais face aux retombées du scandale FTX. Cette plateforme d’échange, acteur majeur du secteur, a été contrainte de déposer le bilan le 11 novembre, à la suite de révélations de transactions frauduleuses, affectant plusieurs centaines de milliers de créanciers à travers le monde.
Le 10 novembre 2021, le bitcoin battait un record historique frôlant les 69 000 dollars. Un an plus tard, le leader des cryptomonnaies vient de passer sous la barre des 16 000 dollars au terme d’une année noire. Le marché global, estimé à 3 000 milliards de dollars, vaut aujourd’hui moins de 900 milliards, selon les experts.
"Cette période de forte progression, appelé 'bull run', suivie d’une importante baisse, le 'bear market', est un classique de la finance que nous avons déjà connu à plusieurs reprises dans le marché crypto" souligne Cédric Tampestini, investisseur et youtubeur français. "Mais il est vrai que l’ampleur de la baisse en 2022 a surpris les investisseurs du secteur : personne ne pensait que le Bitcoin pouvait redescendre en dessous des 20 000 dollars".
Il y a un an et demi, Romain, jeune étudiant de 20 ans adepte du trading, a décidé de se "mettre à fond" dans la crypto, attiré par les forts rendements du secteur. Bien qu’il explique avoir limité la casse en revendant ses actifs au début de la période baissière, il admet volontiers que le contexte morose pèse lourd sur son moral.
"Je travaille dur pour me faire une place dans ce milieu et en vivre. J’investis, je me forme et j’écris également pour des publications spécialisées. C’est beaucoup de travail. Le problème c’est que le 'bear' a un impact sur tout l’écosystème : il est plus dur de faire de l’argent et l’intérêt général pour la crypto diminue. Ce n’est pas un crash soudain mais une période lente et douloureuse durant laquelle il est difficile de tenir la barre. Dans un tel contexte, les personnes un peu fébriles craquent, revendent au plus bas et perdent beaucoup d’argent".
Alors que les adeptes de la crypto les plus convaincus continuent d’investir, estimant que le rebond est pour bientôt, d’autres affichent désormais ouvertement leur désarroi sur les réseaux sociaux. Dans le même temps, de récentes études alertent sur les potentiels dangers psychologiques liés à cette activité, facteur de stress intense, pouvant conduire à des dépressions.
Risque addictif
Ces derniers mois, plusieurs équipes de chercheurs se sont intéressées aux impacts psychologiques liés à l’utilisation des monnaies virtuelles. L’étude de l’Université de Queensland, en Australie, conclut à "de fortes similitudes" entre les comportements de certains traders de crypto et les joueurs compulsifs, qui développent une forme d’addiction pouvant conduire à la ruine et à de sévères dépressions.
"La cryptomonnaie n’est bien sûr pas le seul domaine dans lequel les utilisateurs s’exposent à ce type de risques psychologiques, mais c’est un terreau particulièrement fertile" analyse Nathalie Janson, professeur d’économie, spécialiste du secteur. "Certaines monnaies virtuelles comme le bitcoin sont en offre limitée sur le marché. La volatilité est donc particulièrement forte car il n’est pas possible d’ajuster la production en fonction de la demande. En même temps, la crypto génère de nouveaux modèles économiques dont la solidité est difficilement vérifiable, comme on a pu le constater encore récemment avec la soudaine faillite de FTX".
La gestion des émotions
Au cours des derniers mois, la crise de la crypto a exposé les faiblesses du secteur, entraînant une série de faillites. L’investisseur français Cédric Tampestini reconnaît avoir eu un gros coup de chaud lors de l’affaire FTX. "J’y avais investi 100 000 euros croyant que c’était un acteur solide. Heureusement, j’ai réussi à retirer mes billes quelques heures avant le blocage des retraits".
Pour résister au stress, l'entrepreneur explique avoir recours depuis plusieurs années à l’accompagnement d’un coach, qui l’aide à comprendre sa propre psychologie et à gérer ses émotions.
En France, plusieurs cabinets se sont spécialisés dans ce domaine comme Emelior, basé à Aix en Provence. "Nous ne faisons pas du conseil financier mais bien un travail sur le comportement pour éviter les pratiques à risque" explique Cécile Cubadda. La fondatrice de l’entreprise, elle-même investisseuse dans la crypto, cite en exemple le syndrome "FOMO", (acronyme de "Fear of missing out" en anglais), qui caractérise l’anxiété de rater la bonne occasion, le "Revenge trading", qui pousse à investir toujours plus pour conjurer le sentiment de défaite, ou bien encore le "panic sale", lorsque le stress intense empêche d’agir.
"Si on perd l’aspect rationnel dans l’activité crypto, autant aller jouer au casino. C’est pourquoi le contrôle des émotions est absolument primordial dans notre domaine", souligne-t-elle.
Bien qu’il n’ait jamais consulté de coach, Romain, le jeune investisseur, partage lui aussi cette approche. "Comme les cours sont bas, j’ai récemment recommencé à investir. Mais je me suis fixé un plan d’investissement en amont pour éviter les décisions impulsives et je n’investis que de l’argent que je peux me permettre de perdre", précise-t-il. Alors que les cours continuent de baisser, Romain évite de suivre l’évolution du marché de trop prêt pour se préserver. Il mise sur des gains à plus long terme, bien conscient malgré tout que les statistiques jouent contre lui. Car sur ce genre de marchés, "pour que quelques-uns gagnent, il faut que beaucoup perdent".