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Covid-19 : le syndrome de glissement, ou quand les personnes âgées isolées se laissent mourir

Une femme âgée marche dans un couloir de l'Ehpad "La résidence des Glenans", à Haute-Goulaine, près de Nantes, le 30 mars 2021. La pandémie de Covid-19 a isolé les personnes âgées, provoquant chez certaines un syndrome de glissement, une pathologie qui les pousse à se laisser mourir par désespoir. Pour préserver la santé mentale des plus âgés, le chef des sénateurs Les Républicains au Sénat, Bruno Retailleau, va présenter cette semaine une proposition de loi visant à garantir le droit de visite dans les établissements de santé.  "La crise sanitaire a mis en lumière un grave défaut d’humanité. Des malades en fin de vie, des personnes âgées, des concitoyens fragiles ont été privés de tout contact" pendant la pandémie de Covid-19, selon Bruno Retailleau. Le président du groupe Les Républicains (LR) au Sénat a annoncé par conséquent, lundi 19 avril, qu'il déposerait une proposition de loi dans la semaine "pour garantir un droit de visite" dans les établissements de santé publics et privés. Alors qu'au plus fort de la pandémie certains patients ont été interdits de visite, Bruno Retailleau compte réaffirmer ce droit. Il propose qu'à l'hôpital, le médecin chef se prononce sur les droits de visite tandis qu'en Ehpad et dans les établissements accueillant des personnes handicapées, "s’il y a un refus de visite, c’est la justice qui sera alors amenée à trancher", a-t-il précisé lundi à Public Sénat. Le sénateur de Vendée pointe l'un des risques associés à l'isolement, le syndrome de glissement, une pathologie mise en lumière par la crise sanitaire. "Nous avons tous eu aussi connaissance de résidents d’Ehpad, enfermés qui se sont laissés aller dans un syndrome de glissement vers la mort, car ils n’avaient plus la possibilité de voir leurs familles", explique-t-il. Ce syndrome a été décrit pour la première fois par le gériatre français Jean Carrié, en 1956. Les recherches ont ensuite été complétées par les docteurs Graux et Delomier. Le premier a démontré qu'il était marqué par une évolution rapide et brutale tandis que le second l'a défini comme une "décompensation aiguë (infectieuse, traumatique, vasculaire, chirurgicale, choc physique)". Il s'agit d'une "maladie qui suit la maladie initiale quand celle-ci paraît guérie ou en voie de guérison", selon le docteur Delomier. "(Elle) conduit facilement à la mort à travers les troubles biologiques et neuropsychiques sévères si un traitement approprié n’est pas mis en route suffisamment tôt, et souvent malgré ce traitement".  Une décision motivée par le chagrin et le désespoir La psychologue clinicienne Marie de Hennezel identifie, de son côté, deux types de glissement : "l'anorexie finale" et le syndrome de glissement pathologique. Le premier survient "quand les personnes arrivent au bout de leur vie, quand elles sentent que le moment est venu de mourir et qu'elles veulent qu'on les laisse glisser doucement et paisiblement vers la mort", explique-t-elle à France 24. Dans le second cas, "les personnes cessent par exemple de s'alimenter parce qu'elles sont déprimées", poursuit-elle. Et la spécialiste d'ajouter : "Elles n'ont plus envie de vivre et se laissent donc mourir. Elles prennent la décision de s'arrêter de s'alimenter par chagrin et désespoir."  Ce syndrome pathologique était, selon elle, plus répandu pendant le premier confinement notamment parce qu'à cette époque, les visites ont été interdites dans de nombreux Ehpad. "Ces personnes qui ont été coupées du jour au lendemain de ce qui leur donnait du goût à vivre, notamment le lien avec autrui. On les a séquestrées pour protéger leur corps biologique au mépris de tous les autres aspects de la vie", détaille l'auteure du livre "L'Adieu interdit" (éd. Plon), dans lequel elle évoque les effets délétères de l'interdiction des visites.  Or, les interactions sociales sont vitales pour les plus âgés. "Nous sommes des êtres de contact depuis notre naissance. Plus on devient fragile et vulnérable, plus on a besoin de contact humain", affirme Marie de Hennezel, ajoutant que ces personnes "manient souvent le téléphone avec difficulté, sont souvent malentendants, ne voient pas bien et sont peu à l'aise avec les moyens technologiques".  >> À lire aussi : Seuls et fragiles face au coronavirus (3/3) : Ne pas "laisser glisser" les personnes âgées Ce syndrome de glissement, Nicolas Bresse, responsable de la Marpa du Val d'Arnon (Maison d'accueil et de résidence pour l'autonomie) dans le Cher, l'a constaté chez plusieurs résidents de son établissement. "Il s'opère assez rapidement, en l'espace de quelques semaines ou mois", remarque-t-il auprès de France 24. Il note ainsi "une régression dans l'autonomie physique et cognitive, associée à un syndrome dépressif et à une perte d'envie de vivre". Les malades peuvent par exemple perdre leurs repères spatio-temporels, augmenter leur risque de chute ou encore perdre l'appétit. "Or, à cet âge-là, tout est sur un fil. Si on mange un peu moins qu'habituellement, une fatigue peut s'installer et l'état de la personne peut s'enrayer très vite", précise-t-il.  Recréer du lien social pour éviter l'isolement Pour briser cette logique, Nicolas Bresse compte sur le lien social et sur la rupture du repli sur soi. "C'est la peste ou le choléra : si on les empêche de voir leurs proches, certes, ils n'attraperont pas le Covid-19 mais ils mourront de glissement ou de dépression", résume le directeur. Dans la Marpa du Val d'Arnon, les visites sont autorisées à condition d'avoir rempli un questionnaire et de porter le masque. La direction souhaite également préserver "la vie sociale au maximum", selon Nicolas Bresse, en maintenant des activités physiques et de bien-être. Le lien est aussi privilégié avec les familles puisque cette structure n'accueille que 24 résidents, qui ont chacun leur appartement composé d'une entrée extérieure.  Malgré tous ces efforts, l'issue est parfois inévitable. "Nos équipes ont réussi à rattraper certaines personnes, mais pour d'autres nous n'y sommes pas parvenus", déplore Nicolas Bresse.  >> À lire aussi : Le coronavirus dans les Ehpad (2/3) : un directeur raconte sa "gestion de crise" Laurent Frémont, secrétaire général du collectif Tenir ta main, explique à France 24 avoir reçu "plus de 8000 témoignages de personnes ayant eu un proche parti dans la solitude en raison des restrictions et privations de visites". "On a énormément de gens qui nous ont dit que leurs proches étaient en bonne santé, et qu'à partir du moment où ils se sont retrouvés dans une situation de solitude, ils étaient dans l'incompréhension, faisaient part d'un sentiment d'abandon, de délaissement, qui les a poussés à 'glisser' vers la mort", précise-t-il. Face à la progression de la campagne de vaccination chez les plus âgés, le Conseil d'État a pris la décision, le 3 mars dernier, de suspendre l'interdiction de sortie des résidents en Ehpad. Mais les visites sont encore très limitées dans de nombreuses structures. "Il y a une grande hétérogénéité. Tout dépend du directeur de l'établissement et des médecins qui y officient", affirme Fabienne Tourres, gériatre travaillant à l'hôpital Paul-Brousse (Val-de-Marne) et dans un Ehpad à Antony (Hauts-de-Seine), contactée par France 24.  "Le droit de visite est reconnu dans la loi mais le pouvoir de police à l'intérieur des établissements de santé est laissé à la libre appréciation des directeurs", relève pour sa part Laurent Frémont. "Certains d'entre eux ont abusé de leurs prérogatives en instaurant des restrictions trop strictes voire des interdictions de visites".  Des interdictions de visite jugées "arbitraires et illégales" Pour le collectif Tenir ta main, qui milite pour le droit de visite et qui soutient la proposition de loi de Bruno Retailleau, la justice doit mettre un terme à ces écarts de gestion. "Vu la situation sanitaire, il est légitime qu'il y ait des restrictions mais il faut mettre fin à ce flou juridique qui permet aux établissements de fermer leurs portes aux proches de résidents et patients de façon arbitraire et illégale", réclame Laurent Frémont. Le cofondateur du collectif s'appuie sur son vécu pour dénoncer cette situation. "Mon père a été hospitalisé en octobre dernier et a été maintenu dans une solitude totale y compris dans les deux dernières semaines qui ont précédé sa mort, le 9 novembre", rapporte-il.  S'il assure n'avoir reçu pour l'heure "aucune réponse de la part d'Olivier Véran", Laurent Frémont ne compte pas arrêter de se battre pour systématiser le droit de visite dans les établissements de santé. "La commission des affaires sociales du Sénat va nous auditionner début mai", se félicite-t-il. "Même si le combat est loin d'être gagné, nous sommes satisfaits d'en être arrivés là".

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