Contrôles au faciès : ensemble, six ONG saisissent la justice contre l'État
Les associations réclament notamment la modification du code de procédure pénale pour "interdire explicitement la discrimination dans les contrôles d'identité".
Après avoir mis en demeure le gouvernement français d'engager des "réformes structurelles" pour faire cesser les contrôles policiers au faciès, un collectif composé de six ONG a décidé jeudi de saisir le Conseil d'État afin d'obtenir gain de cause.
La démarche est inédite en France : un collectif d'associations saisit la justice, jeudi 22 juillet, à travers une action de groupe pour enjoindre l'État à cesser les "contrôles d'identité discriminatoires" par la police.
Cette procédure, menée par six associations dont Amnesty International et Human Rights Watch, avait été déclenchée en janvier.
Les associations avaient dans un premier temps mis en demeure le gouvernement d'engager des "réformes structurelles" et de "prendre des mesures concrètes" afin de faire cesser ces contrôles.
Les autorités avaient quatre mois pour répondre. Le délai étant arrivé à son terme, les associations passent jeudi à la deuxième étape en déposant leur requête devant le Conseil d'État.
La plus haute juridiction administrative "a ensuite plusieurs façons de procéder", explique Antoine Lyon-Caen, avocat qui porte le dossier avec Mes Slim Ben Achour et Alexandra Denis.
"Il peut demander à l'État ce qu'il compte faire, puis contrôler si les réponses proposées sont satisfaisantes", comme lorsqu'il a été saisi par la commune de Grande-Synthe sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, détaille l'avocat.
"Il peut aussi être plus interventionniste et tracer des lignes en disant : il faut que les choses évoluent sur tel ou tel point", ajoute Me Lyon-Caen.
Dans leur requête, les associations réclament notamment la modification du code de procédure pénale pour "interdire explicitement la discrimination dans les contrôles d'identité" ou encore mettre à disposition "de toute personne contrôlée une preuve de contrôle", sur le modèle du récépissé.
Leur procédure s'inspire d'un précédent américain : en 2013, après une "class action", la justice américaine avait "décidé de transformer la pratique policière des contrôles d'identité dans l'État de New York, ça a conduit à une baisse draconienne des contrôles", explique Me Lyon Caen.
"Sentiment d'exclusion"
Leur requête, qui compte 450 pages, s'appuie aussi sur des témoignages, des études ou des procédures françaises documentant ces discriminations.
La dernière en date remonte à juin avec la condamnation de l'État pour le contrôle d'identité, jugé "discriminatoire" par la cour d'appel de Paris, de trois lycéens de Seine-Saint-Denis par des policiers à Gare du Nord, en 2017.
Déjà en 2016, la Cour de cassation avait pour la première fois définitivement condamné l'État pour des contrôles d'identité dits "au faciès".
"C'est quelque chose qui revient très souvent dans les histoires des jeunes hommes particulièrement", explique Issa Coulibaly, président de Pazapas Belleville, autre association partie prenante de la procédure. Ce type de contrôles a "des impacts forts sur leur sentiment d'exclusion, avec l'impression de ne pas être des Français à part entière parce que traités différemment", détaille-t-il.
En janvier 2017, un rapport du Défenseur des droits avait conclu qu'un "jeune homme perçu comme noir ou arabe (...) a une probabilité 20 fois plus élevée" d'être contrôlé que l'ensemble du reste de la population.
"Aujourd'hui quand on a une couleur de peau qui n'est pas blanche, on est beaucoup plus contrôlé (..) On est identifié comme un facteur de problème et c'est insoutenable", avait reconnu le président Macron lors d'une interview à Brut en décembre 2020.
Les syndicats de policiers avaient vertement réagi à ces déclarations, en rejetant les accusations de racisme et en appelant à cesser complètement les contrôles d'identité.
"C'est un sujet qui a avancé : on en parle plus qu'avant mais en termes de solutions, on est au point zéro", estime Issa Coulibaly. "C'est pour cela que nous avons décidé de passer, de manière collective, par le droit, qui peut peut-être contraindre l'État à mettre en place les mesures que beaucoup proposent depuis des années et qui existent dans d'autres pays", justifie le militant associatif.