Condamnations pour homosexualité : le Sénat ouvre la voie à une réhabilitation
Le Sénat a adopté mercredi une proposition de loi visant à reconnaître la "responsabilité" de l'État français dans les condamnations de personnes pour homosexualité entre 1945 et 1982 sur le fondement d'anciennes lois discriminatoires.
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Une loi mémorielle en gestation pour réhabiliter les personnes condamnées pour homosexualité en France : soutenu par le gouvernement, le Sénat a ouvert la voie, mercredi 22 novembre, à la reconnaissance de milliers de victimes d'anciennes lois discriminatoires, refusant néanmoins de leur accorder une réparation financière.
"Comment a-t-on pu attendre aussi longtemps ?" Le président du groupe socialiste à la chambre haute, Patrick Kanner, a défendu une proposition de loi de son collègue Hussein Bourgi, visant à "porter réparation aux personnes condamnées pour homosexualité" jusqu'en 1982.
Elle proposait que la France reconnaisse sa politique de discrimination à l'encontre des personnes homosexuelles dans ces années-là.
Deux articles du code pénal instaurés sous le régime de Vichy sont visés, l'un établissant un âge spécifique de consentement pour les relations homosexuelles et l'autre aggravant la répression de l'outrage public à la pudeur commis par deux personnes de même sexe.
"Vous substituez à une loi de haine ; une loi d'unité, de reconnaissance et de mémoire", a lancé le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, "favorable au principe de cette proposition de loi". "Elle viendra reconnaître la mise en œuvre pendant 40 ans d'une politique de discrimination et de répression pénale qui n'aurait jamais dû exister", une politique "qui fait honte à notre République".
Cosigné par tous les groupes de gauche à la Haute Assemblée, le texte a été adopté à l'unanimité, mais dans une version bien plus restreinte qu'à l'origine : la "reconnaissance" par l'État de sa "responsabilité" perdure, mais le volet "indemnisation" a été supprimé. Le socialiste Hussein Bourgi souhaitait accorder à ces personnes réhabilitées une allocation de 10 000 euros, assortis de 150 euros par jour de privation de liberté.
Désaccord sur la réparation
Le rapporteur Les Républicains Francis Szpiner, porte-voix de la majorité sénatoriale de droite et du centre, a justifié ce choix par des "difficultés juridiques", notamment relatives à la prescription.
"Ce n'est pas la loi qui a été responsable de ce préjudice" mais "la société française, homophobe dans toute sa composante à l'époque", a-t-il également expliqué dans l'hémicycle. "Cela n'est pas la faute de la République. La loi mémorielle suffit".
Le garde des Sceaux est allé dans le sens du rapporteur : la "mise en pratique" de cette mesure d'indemnisation "apparaît extrêmement complexe" en raison de la difficulté d'apporter la preuve d'une condamnation ancienne et de la mise à exécution de la peine, a-t-il détaillé.
"Reconnaître sans réparer ce n'est pas satisfaisant, c'est incohérent", a regretté Hussein Bourgi. "La majorité sénatoriale n'a franchi que la moitié du chemin", a-t-il ajouté, affirmant qu'une réparation ne pèserait pas lourd dans les finances de l'État, la plupart des personnes concernées étant décédées.
Prochaine étape à l'Assemblée ?
Même s'il est difficile de chiffrer les victimes de ces anciennes lois, le ministre de la Justice a estimé, sur la base de travaux de recherche, que "plus de 10 000 personnes" étaient concernées entre 1945 et 1982, avec une peine de prison ferme pour 90 % d'entre eux.
D'autres pays européens se sont déjà penchés sur le sujet. L'Allemagne a décidé en 2017 de réhabiliter et d'indemniser quelque 50 000 hommes condamnés pour homosexualité sur la base d'un texte nazi resté en vigueur longtemps après la Seconde Guerre mondiale. L'Autriche est en train de mettre en place un dispositif similaire, qui devrait entrer en vigueur en février 2024.
Le Sénat a par ailleurs limité la période concernée par cette reconnaissance de responsabilité de la République à 1945-1982 et non à partir de 1942. "Je vois mal comment la République pourrait endosser la responsabilité des crimes de Vichy", s'est expliqué Francis Szpiner, la gauche lui reprochant de vouloir "effacer" cette période.
Ce texte étudié lors d'une "niche" parlementaire réservée au groupe socialiste devra être inscrit à l'ordre du jour par l'Assemblée nationale pour être adopté définitivement. Le groupe socialiste a exhorté le gouvernement à s'en saisir lui-même.
Avec AFP