news-details
Actualités

Coco Chanel, résistante ? "Les gros doutes" d'un historien sur des documents présentés à Londres

Seconde Guerre mondiale Gabrielle "Coco" Chanel, dont le passé collaborationniste est connu, pourrait également avoir été membre de la Résistance française pendant l'Occupation, selon des documents révélés en septembre à Londres. Mais selon un historien qui a analysé ces nouvelles preuves, l'icône française de la mode pourrait avoir cherché à redorer son blason après la guerre. Agent secret du régime nazi, Coco Chanel a-t-elle aussi eu un passé de résistante ? Des documents inédits révélés au grand public à la mi-septembre, lors de l'inauguration d'une exposition londonienne retraçant la vie et l'héritage de la couturière française, suggèrent que "Coco" a pu jouer un rôle dans la Résistance pendant une partie de l'Occupation. Outre une cinquantaine de costumes en tweed emblématiques de Chanel et une salle entière consacrée au parfum Chanel n°5, une partie de la rétrospective "Gabrielle Chanel : Manifeste de la mode", dévoile un certificat d'appartenance à la Résistance entre le 1er janvier 1943 et le 17 avril 1944, dans lequel la styliste est présentée comme un "agent occasionnel". Un autre document prouverait son affiliation au réseau de résistance clandestine "Éric" et mentionne son nom de code : "Coco". "Le gouvernement français nous a apporté des preuves, notamment un document datant de 1957, qui confirme sa participation active à la résistance", a assuré au Guardian Oriole Cullen, la commissaire de l'exposition qui n'a pas précisé comment les conservateurs britanniques avaient mis la main sur ces archives. De quoi intriguer nombre d'historiens de la période, qui ont établi de longue date les liens étroits de Chanel avec le régime nazi. Pendant la guerre, la couturière a vécu au Ritz après être tombée amoureuse du baron Hans Gunther von Dincklage, un agent du renseignement allemand. En juillet 1941, les nazis l'enregistrent comme "source fiable" et lui donnent le nom de code "Westminster" en raison de ses liens étroits avec le gouvernement britannique, et en particulier avec Winston Churchill. En 1943, elle se voit confier une opération pour le moins saugrenue : baptisée Modelhut – "chapeau de couture" –, il s'agit ni plus ni moins de faciliter une paix séparée entre la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Un dossier bien mince "Coco Chanel dans un réseau ? Comment un truc pareil m'aurait échappé ?", s'interroge Guillaume Pollack, spécialiste de la Résistance française et auteur de "L’armée du silence. L'histoire des réseaux de résistance en France" (Tallandier). L'historien se met alors en quête des fameux documents rendus publics outre-Manche. Après deux semaines de recherches, il retrouve leur trace au sein des archives militaires françaises à Vincennes, près de Paris. "Il y a quelque chose qui frappe tout de suite, c'est que dans le dossier, il n'y a rien. À part les deux documents officiels, il n'y a rien. C'est extrêmement sec. J’ai rarement vu un dossier aussi sec", fait remarquer Guillaume Pollack. De tels dossiers, précise-t-il, sont censés regorger d'informations détaillant le rôle et les actions du résistant. Et s'accompagnent en général de témoignages venant étayer ces informations. Constitués par le gouvernement français après la guerre, ces dossiers doivent se conformer à une législation spéciale qui stipule comment et dans quelles circonstances une personne peut être officiellement reconnue comme un ancien membre de la Résistance française, ajoute l'historien. "Si une chose est claire, c'est que pour être appelé résistant, il faut avoir été actif en tant que tel et reconnu comme tel. Dans cette affaire, il n'y a rien de tout cela, pas la moindre trace", explique-t-il, notant qu'un simple certificat portant le nom de Chanel ne constitue pas une preuve convaincante. Aucune raison de garder le secret Le second document, qui mentionne le rôle de Chanel dans le réseau Éric, laisse également Guillaume Pollack perplexe : "Cela m'a semblé vraiment étrange." Éric était un réseau français de résistance qui, pour l'essentiel, opérait dans les Balkans. Bien que son chef, René Simonin, ait été rapatrié à Paris en 1943 et que le réseau ait continué à travailler à partir de la capitale française pendant un an, l'historien assure n'y a aucune mention de Chanel dans les autres documents relatifs au réseau, à l'exception du certificat d'affiliation trouvé dans les archives militaires et présenté lors de l'exposition. Par ailleurs, le nom du réseau, "Éric", apparaît inscrit sur une partie qui a clairement été effacée. Enfin, un autre élément étrange a attiré l'attention de l'historien : la date de délivrance du document, l’année 1957, inhabituellement tardive par rapport aux autres membres de la Résistance. La même année où Chanel reçoit l'Oscar de la mode, précise Guillaume Pollack, faisant référence au prestigieux prix de la mode Neiman Marcus, créé en 1938. À l'époque, il s'agissait de l'un des seuls prix internationaux décernés à des créateurs de mode. Si Coco faisait réellement partie de la Résistance, pourquoi avoir gardé le secret aussi longtemps ? D'autant que dès 1944, un parfum de trahison flotte autour de la créatrice. Si Coco parvient à échapper à l'épuration à la Libération, elle s'exilera ensuite pendant dix ans en Suisse, ne revenant à Paris que de manière occasionnelle. "Au vu du contexte entourant Coco Chanel, cela n'a aucun sens", juge Guillaume Pollack, estimant la couturière pourrait avoir fait produire ces documents afin d'être réhabilitée auprès de certains cercles. "Dans les années 1950, vous avez tout un tas d'amicales et d'associations de résistant. Cela aurait interpellé. Cela aurait suscité un certain nombre d'interrogations de la part des anciens résistants" si Chanel avait prétendu avoir fait partie du mouvement, explique Guillaume Pollack, soulignant qu'elle aurait très probablement dû justifier son rôle en fournissant des détails sur ce qu'elle a fait, où, quand et avec qui. "J'ai des doutes, les plus gros doutes sur ce dossier", conclut l'historien. "Ce certificat ne prouve rien." Traduit de l'anglais par Grégoire Sauvage. L'article original est à retrouver ici.

You can share this post!