"Ce n'était encore qu'une enfant" : avant le procès de ses agresseurs, la colère des proches de Shaïna violée, poignardée et brûlée vive
Franceinfo a retracé la descente aux enfers de Shaïna, 15 ans, poignardée et brûlée vive dans une cité de Creil, dans l'Oise, en 2019, parce qu'elle était enceinte. Son petit ami, soupçonné de l'avoir tué, sera jugé par la cour d'assises des mineurs de l'Oise sans doute dans plusieurs mois.
C'est aux sources d'un terrible drame que le tribunal correctionnel de Senlis s'apprête à remonter lundi 31 janvier et mardi 1er février. Celui de Shaïna, 15 ans, poignardée et brûlée vive dans une cité de Creil, dans l'Oise, le 25 octobre 2019. Mobile du petit ami de 17 ans, assassin présumé : Shaïna était enceinte, et cette grossesse aurait jeté, sur lui, l’infamie. L’enquête révélera après sa mort que, deux ans avant la nuit du drame, Shaïna avait été la victime d’un viol en réunion par d'autres garçons du quartier, qui vont donc être jugés dans quelques jours.
Le drame était passé quasi inaperçu à l'époque. Une marche blanche dans la ville et à peine quelques articles dans la presse locale. Rien à voir avec le retentissement donné il y a 20 ans à la mort dans des conditions tristement proches de la jeune Sohane, brûlée vivante dans un local poubelle à Vitry-sur-Seine. Cette mort tragique avait provoqué la naissance de l'association "Ni putes, ni soumises".
Shaïna, 15 ans, a reçu trois coups de couteau dans le ventre, avant d'être aspergée d'essence et brûlée vive. (PHOTO REMISE PAR LA FAMILLE)
Tout débute quand Shaïna a 13 ans : elle rejoint dans un bâtiment désaffecté, une ancienne clinique, son petit ami qui la fait chanter avec des photos dénudées qu'il détient. Elle expliquera y avoir subi des violences sexuelles de sa part, mais aussi d'autres garçons. Ils auraient été en fait quatre ou cinq amis, réunis pour ce moment de grande humiliation, où ils exigent qu'elle se dévêtisse pour finir, racontera-t-elle, par lui introduire un bâton de baume à lèvres dans le vagin.
La scène est filmée, et des images diffusées sur Snapchat le jour même, construisent à la jeune fille en un éclair une réputation de "prostituée" qui circule alors dans le quartier. 18 mois plus tard, l'ex-petit ami, laissé libre par le juge pendant l'instruction, recroise Shaïna dans les environs et la passe à tabac avec ses amis. Sa faute ? Avoir eu l'audace de porter plainte.
Enfin, en octobre 2019, Shaïna, enceinte de quelques jours, est retrouvée morte dans un cabanon abandonné, près de jardins ouvriers. Elle a reçu trois coups de couteau dans le ventre, a été aspergée avec une bouteille d'essence puis brûlée vive. Un briquet sera retrouvé dans les décombres.Son nouveau petit ami est inquiété, mis en examen puis incarcéré. Elle croyait se consoler dans ses bras. Il l'aurait en réalité choisie précisément pour sa réputation de fille de petite vertu, car il souhaitait avoir des relations sexuelles avec elle. L'annonce de cette grossesse aurait alors été une infamie pour lui et pour sa famille : il aurait donc préféré supprimer tout simplement Shaïna qui, elle, avait émis le souhait de garder cet enfant.
Deux ans de violences sur le plateau du Rouher
Ces violences se déroulent sur deux ans, dans le périmètre restreint du plateau du Rouher, une petite cité aux barres d'immeubles vétustes et aux pavillons modestes, située au-dessus du centre-ville de Creil. C'est dans l’un de ces pavillons que Yassin, 24 ans, le grand frère de Shaïna, accueille franceinfo. Il essaye en vain de comprendre l'enfer vécu par sa sœur, dont il était très proche au sein d'une famille soudée, et pourquoi, aujourd’hui encore, certains peuvent trouver des excuses à son assassin présumé.
"Shaïna a toujours voulu vivre sa vie librement, ça n'a pas plu dans les environs, explique-t-il. On lui a collé la réputation d'une fille facile, notamment via les réseaux sociaux." Il n'arrive pas à expliquer la mentalité de ses agresseurs : "Je ne pourrais pas vous dire comment ces personnes-là pensent, si c'est au nom d'une religion ou d'une certaine éducation. Mais c'est digne d'un film du Moyen-Âge. Pourquoi tant d'acharnement sur Shaïna qui n'a jamais fait de mal ?"
"Shaïna a osé parler et ça, ils n'ont pas aimé"
La famille de Shaïna est d'origine mauricienne et de confession musulmane. C'est aussi la religion des familles des différents agresseurs présumés. "Nous pratiquons un Islam moderne. Nous sommes des musulmans ouverts aux autres et à la culture française. Pour nous, jamais l'Islam n'a empêché des personnes de vivre comme elles le souhaitent si c'est dans le respect des autres et la tolérance", précise Shakill, le papa. Alors est-il dans ce drame une question de religion, de sexualité vécue comme un tabou honteux ou une question de culture populaire conservatrice ? Difficile de répondre. La maman de Shaïna, Parveen, 42 ans, dénonce cette loi du silence imposée aux femmes dans son quartier comme dans d'autres.
"Ce n'est pas parce qu'elle s'habillait, se maquillait un tout petit peu, se faisait belle pour elle-même, qu'on pouvait l'en empêcher", rajoute-t-elle. Mais le drame de Shaïna n'est pas un cas isolé : "Plusieurs filles du quartier sont venues me voir pour me dire qu'elles aussi avaient été agressées, mais qu'elles avaient peur de porter plainte, elles ont reçu des menaces. Elles se taisent pour ne pas finir comme Shaïna. Vous imaginez ? Je ne comprends pas, on est en France, pas en Afghanistan. Pourquoi ça arrive ici ?"
"On attend beaucoup de la justice"
Deux ans et demi après la mort de Shaïna, ses parents sont comme figés. Ils habitent toujours la même petite maison, à deux pas du cimetière où repose Shaïna. À l'étage, la chambre de l'adolescente est intacte, avec ses poupées de petite fille, ses autocollants de princesse Disney et ses peluches. Une maison située à quelques centaines de mètres des immeubles où vivent les familles de son premier agresseur et de l'assassin présumé. À l'approche du premier procès à huis clos, celui du viol en réunion de l'adolescente, ses parents Shakill et Parveen souhaitent que l'on parle de leur fille. Qu'elle soit morte dans ces conditions et dans l'indifférence la plus totale les sidère.
Rongé par le chagrin et la colère, le papa, Shakill, peine à s'exprimer longuement. Lui qui fait "confiance à la justice" attend tout de même une condamnation "assez sévère" pour les agresseurs de sa fille. Quand il parle, c'est souvent son épouse, Parveen, qui prend le relais pour finir ses phrases et porter la parole de toute la famille.
"Sa mort est à compter parmi les féminicides"
Pas un commentaire de l'avocat du principal agresseur présumé de Shaïna, Archibald Ceyleron, qui rappelle seulement que son client conteste les faits qui lui sont reprochés. Lui et ses amis seront à la barre du tribunal correctionnel de Senlis les 31 janvier et 2 février 2022. Pas d'interview non plus d' Adel Farès, l'avocat de l'assassin présumé. On sait seulement que son client lui aussi nie. Il ne sera jugé que dans plusieurs mois, sans doute devant la cour d'assises des mineurs de l'Oise. L'avocate de la famille de Shaïna, maître Negar Haeri, a récupéré les deux dossiers.
Pour elle, les deux affaires sont liées et doivent interroger notre société. "Un drame comme celui-ci est l'une des conséquences les plus poussées du patriarcat qui instaure une inégalité entre les deux sexes, puis une toute puissance de l'homme. C'est l'idée qu'un garçon n'est pas l'égale d'une femme et a la possibilité de la considérer comme un objet avec toutes les conséquences que ça entraîne, c'est à dire la réduire par des insultes ou la réduire par des coups ou la réduire par le feu. Et cela peut se jouer à tout âge." Shaïna était dans une relation pré-établie avec ce garçon, sa mort est donc à compter parmi les féminicides conjugaux.
Le calvaire de Shaïna a commencé lorsqu'elle avait 13 ans : violée en réunion par son petit-ami de l'époque et ses amis, puis passée à tabac pour avoir porté plainte. (PHOTO REMISE PAR LA FAMILLE)
Avec Alisha, jetée dans la Seine à l'âge de 14 ans, à Argenteuil en mars 2021, Shaïna est parmi les plus jeunes victimes de féminicides en France ces dernières années, selon le recensement des associations de lutte contre les violences conjugales.
Aujourd'hui encore, dans la cité du Rouher à Creil, quasi personne n'accepte de parler à notre micro de ce qui est arrivé à Shaïna. Et il y a toujours - même si ça paraît insensé - les "pro-Shaïna" et ceux qui, au contraire, se rangent derrière celui qui est accusé de l'avoir tuée. Ce dernier, incarcéré depuis les faits, aurait expliqué à un codétenu, qui s'est lui-même confié aux magistrats, qu'il "préfère de toute façon prendre perpétuité que d'être le père d'un bâtard".