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Sports

Au Portugal, de jeunes africains qui rêvent de foot ciblés par des trafiquants d'être humains

Devenir les futurs Leonel Messi, Cristiano Ronaldo ou Kylian Mbappé... Des millions de jeunes à travers le monde en rêvent. De nombreux passeurs et trafiquants d’êtres humains en profitent. Le sport roi, qui génère des milliards à travers le monde, compte malheureusement de très nombreux cas d’exploitation de jeunes, surtout mineurs, dans quasiment tous les pays européens dont, entre autres, le Portugal. Riba d’Ave, près de Vila Nova de Famalicao, dans le Nord du Portugal, 12 juin dernier. Après de très longs mois d’investigation, la police nationale et le service Portugais des étrangers et frontières (SEF) dans le cadre de l’opération "El Dourado" portent secours à une quarantaine de jeunes, dont 36 mineurs, retenus contre leur volonté dans les locaux de l’académie de football Bsports, depuis des années. Le monde du sport Portugais est sous le choc. Dans cette affaire, cinq personnes ont pu être identifiées pour l’instant dont l’une des figures proéminentes du football portugais, Mario Costa, président de l’assemblée générale de la ligue. Les trafiquants faisaient venir des dizaines de talents en leur promettant un futur radieux et une carrière professionnelle. Un rêve qui a viré au cauchemar pour des jeunes pris au piège de vendeurs de rêves qui jouent sur les illusions de passionnés de ballon rond. "Ce genre de pratiques est très fréquent dans le milieu du football. De grands réseaux de trafiquants d’êtres humains, souvent proches de dirigeants de clubs, de fédérations ou d’agents, travaillent de manière organisée pour recruter, puis faire venir en Europe des milliers de jeunes, d’Afrique essentiellement, mais aussi d’Amérique du Sud, en leur donnant l’illusion de devenir des footballeurs professionnels ", souligne Pedro Santos, de l’association Esperança. L'organisation travaille avec des jeunes migrants mineurs, dont certains ont été membres de la Bsports Academia. "Le plus inquiétant, c’est que le nombre de cas est en constante progression, et que les passeurs et trafiquants n’ont pas de limites : ils vont tenter de recruter des personnes toujours plus jeunes, et saisissent les documents de ces mineurs, passeports et papiers d’identité, afin de les retenir coûte que coûte", s'alarme-t-il. "Dès lors les jeunes sont isolés et à la merci de leurs trafiquants". "Le nombre de plainte explose, environ 500 depuis 2023" L’inspecteur Paulo P., de la police judiciaire de Porto, qui travaille sur l’affaire depuis de longs mois confirme à InfoMigrants que la pratique est effectivement de plus en plus fréquente. En atteste le nombre de plaintes reçues concernant des cas de mineurs retenus contre leur gré dans des structures de formation de footballeur qui augmente significativement. Les autorités, inquiètes, tentent de lutter contre ce phénomène malgré des moyens encore trop limités. "Depuis 2010, on recevait chaque année moins de 50 plaintes de la part de jeunes qui se plaignaient de leur situation dans des centres d’entrainements d’académies privées de football, et on essayait d’enquêter sur le sujet dès que possible, même si certains jeunes se rétractaient lorsque l’on voulait les interroger", explique-t-il. "Mais depuis deux ans environ, le nombre de plaintes explose, et on a du déjà recevoir environ 400 à 500 plaintes depuis le début de l’année 2023. Certaines nous ont menés à l’académie Bsport, mais je pense que ce n’est que la partie visible de l’iceberg : le phénomène du trafic d’êtres humains dans le football prend une ampleur folle, et il faut protéger ses jeunes qui sont vulnérables, et manipulés par des criminels", analyse-t-il. Abdou, du rêve de foot au calvaire de l’académie Bsport  Désormais pris en charge par les services sociaux Portugais, les jeunes footballeurs de l’Académie Bsport tentent de se reconstruire, et de retrouver une vie normale après le calvaire vécu dans la structure sportive privée. Comme Abdou*, 17 ans, originaire du Guinée-Bissau et recruté par un intermédiaire venu le chercher dans la capitale pour l’amener au Portugal, à l’été 2021. Bercé par le rêve de devenir un jour une star de son club préféré, le FC Barcelone, il joue dans son quartier de Bissau, et à ses 14 ans, intègre une académie locale dirigée par un entraîneur portugais. "Après quelques mois, il m'a dit que je j'avais rien à faire ici, que je devais aller en Europe pour progresser et que j’ai un énorme talent ", se rappelle-t-il. "Il m'a alors parlé alors d’une académie au Portugal, dont il est en très bons termes avec la direction, et a rencontré mes parents pour que je puisse voyager et ainsi tenter de réaliser mon rêve", se souvient le jeune garçon. Abdou et ses parents sont convaincus par le discours du technicien européen, qui arrive à décrocher un visa de quelques mois pour le jeune talent. Abdou commence à entrevoir un meilleur avenir pour lui et à sa famille. "J’étais tellement enthousiaste, prêt à tout donner pour travailler dur et rendre ma famille fière. Tout le monde s’est cotisé pour que l’on paye le billet d’avion, mais aussi une somme que l’entraineur nous avait demandé de payer pour couvrir des frais administratifs pour le visa. Mes parents ont fait un emprunt, et je me suis retrouvé dans le Nord du Portugal en juillet 2021, à mes 15 ans ", se souvient-il. "Frais supplémentaires" Direction Riba d’Ave, et la Bsport Académie. Là-bas, il fait la rencontre d’une cinquantaine de jeunes, venus du Sénégal, de Guinée, d’Angola, du Burkina Faso, mais aussi de Colombie, et du Brésil. Les premières semaines se déroulent plutôt bien, mais dès le mois de septembre, des premiers signes inquiétants apparaissent. "Un jour, l’un des dirigeants est venu me voir pour m’informer qu’il fallait payer des frais supplémentaires pour que je reste, on ne m’en avait pas parlé avant de venir ici", précise-t-il. "J'ai cru qu’il y avait une erreur, mais non, il me demandait de contacter ma famille pour régler environ 1000 euros de frais annexes, j’étais très inquiet car c’est beaucoup d’argent et je sais que mes parents étaient déjà endettés !" raconte Abdou. Les parents paient. Le jeune continue à s’entrainer dur, et malgré certains jours où la nourriture manque, il ne se plaint pas. Il échange avec certains de ses coéquipiers, dont certains subissent des pressions de la part de quelques entraineurs. Ils racontent qu'ils sont insultés, que les entraîneurs critiquent leur manque d’énergie, ils ont perdu toute confiance. Pire, les passeports et autres pièces d’identité des jeunes ont été confisquées par la direction, ce qui empêche les pensionnaires de se déplacer ou de voir leur famille si l’occasion se présente. "Une académie qui ressemblait à une prison" "Durant des mois, ils m’ont empêché de parler à ma famille. Un cousin voulait me payer un billet pour rentrer quelques semaines à Bissau pour voir ma famille, mais la direction ne me donnait aucun accès à mon passeport. Je me suis rendu compte que j’étais pris au piège, que je devais partir de cette académie qui ressemblait plus à une prison qu’à autre chose", précise-t-il. Abdou a perdu du poids, il déprime, et essaie de trouver une porte de sortie pour fuir, avec quelques-uns de ses compagnons de galère. Jusqu’à ce jour de mi-juin, où la police portugaise a enfin permis aux 47 jeunes d’être libérés du joug de trafiquants. "C’était la lumière au bout du tunnel ! J’ai passé quasiment deux ans dans cette galère, et je n’en voyais pas le bout. Maintenant, je dois me reconstruire et retrouver l’espoir afin de tenter de vivre une vie normale, et peut-être devenir footballeur si l'occasion se présente à moi", sourit-il. "Mais je veux aussi que mon témoignage serve à quelque chose, et que la parole se libère pour que ce genre d’histoire soit médiatisée afin de lutter contre ces pratiques criminelles", ajoute-t-il. "Des vies sont détruites, des rêves sont brisés, on exploite des jeunes et leur famille. C’est inhumain, et il faut tout faire pour empêcher cela".  *Le prénom a été modifié pour raison de sécurité

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