Attentat de Nice : l'audience civile, "une étape déterminante pour les victimes"
Procès hors norme
Une participante parlant à une avocate (à gauche), à l'extérieur de la salle de retransmission du procès, à Nice, le 5 septembre 2022.
L’audience civile du procès de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016 examine jusqu’à jeudi la recevabilité des 2 600 parties civiles constituées. Quelque 224 d'entre elles pourraient être retirées de la liste des victimes indemnisables. Explications.
Qui va pouvoir prétendre au statut de partie civile ? C’est tout l’enjeu de ces trois jours d’audience civile qui se déroulent du 3 au 5 janvier 2023 au palais de justice de Paris. Après des mois de procès devant la cour d'assises spéciale et un verdict rendu le 13 décembre dernier, c'est une nouvelle étape du procès de l’attentat de Nice qui s'ouvre : celle de l’épineuse question des indemnisations. Le 14 juillet 2016, un camion-bélier avait tué 86 personnes et blessé au moins 450 autres sur la promenade des Anglais. Ce soir-là, environ 25 000 personnes étaient rassemblées pour assister aux festivités ; 2 600 réclament la reconnaissance de leur statut de victime.
"Même si c’est une partie qui peut paraître rébarbative dans le procès et qui se joue essentiellement avec les avocats, c’est néanmoins une étape déterminante pour les victimes, avance Célia Viale, coprésidente de l’association Promenade des anges. Ne pas être reconnu comme partie civile peut être un réel coup dur pour une personne qui se sent victime. Et il paraît très compliqué de déterminer les limites du statut de partie civile d’une victime à l’autre."
Au-delà de la reconnaissance symbolique, le statut de partie civile attribué à une victime entraîne des conséquences très concrètes de prise en charge médicale et d’indemnisation. Toute personne dont la demande est jugée irrecevable pendant l’instruction judiciaire voit son dossier retoqué par le fonds de garantie censé indemniser les victimes.
Débat autour de 224 cas irrecevables
Alain Dariste, ancien coprésident de la Promenade des anges, présent dans la salle du Palais des congrès Nice Acropolis où l’audience est retransmise, se dit confiant sur ce travail de reconnaissance mené par la cour. "J’attends que le président fasse bien son travail comme il l’a toujours fait depuis le début du procès et sache reconnaître les gens qui méritent d’être reconnus des opportunistes qui sont venus se greffer sur le tard pour tenter d’obtenir un peu d’argent", assène le grand-père endeuillé qui a perdu Léana, sa petite-fille qui était âgée de deux ans et demi.
Au cours des trois mois de procès, le nombre de parties civiles est passé de 850 à plus de 2 542. Un chiffre important qui reste à relativiser au regard des 25 000 personnes qui déambulaient le soir du 14 juillet sur la promenade des Anglais. Le statut de partie civile des familles endeuillées ou des personnes blessées dans le sillage du camion-bélier ne fait pas débat. "A priori, ceux qui ont été admis à l'instruction, pris en charge par le fonds de garantie ne devraient pas poser de difficulté", assure Me Olivia Chalus-Pénochet, l'une des avocates des personnes composant la partie civile, à France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cela représenterait plus de 2 000 personnes environ, "sous réserve de l'opinion de la cour".
D’autres cas interrogent. À ce jour, le Parquet national antiterroriste (Pnat) envisage de prendre des réquisitions d'irrecevabilité à l’encontre de 224 personnes. Ces cas problématiques concernent essentiellement des personnes qui se trouvaient sur la plage, dans les rues adjacentes, dans les restaurants ou les immeubles qui longeaient l’artère niçoise.
Périmètre et reconnaissance
Dès le premier jour du procès, le président de la cour Laurent Raviot avait assuré qu’il ne suffisait pas d’être présent sur la promenade des Anglais pour être considéré comme partie civile, définissant dans le même temps un périmètre géographique au-delà duquel aucune indemnisation n’est recevable. Ainsi "les personnes intervenues ou arrivées sur les lieux après la neutralisation de l’auteur", celles qui ont été "témoins de scènes très choquantes" et ont réalisé des "actions indispensables pour sauver les gens" "n’ayant pas été directement et immédiatement exposées au risque d’attentat ne peuvent être reçues comme partie civile", avait prévenu le magistrat. Mais au terme de cinq semaines d’audition des victimes, il semble que la cour, sensible aux témoignages de nombreuses victimes, ait décidé d’élargir le périmètre jusqu’à l’hôtel Méridien, comprenant le tout début de la promenade des Anglais.
En revanche, le Pnat refuse la recevabilité des parties civiles qui n’étaient "pas directement visées" par le camion conduit par Mohamed Lahouaiej Bouhlel, notamment les personnes se trouvant sur la plage au moment de l’attentat ou qui ont été des "témoins malheureux" de l’attaque depuis des balcons ou des terrasses.
Me Olivia Chalus-Pénochet, comme nombre de plaignants, remet en cause l’argument géographique émis par la cour. "De ce qu'on a entendu des psychiatres à l'audience, on peut être traumatisé du fait d'avoir entendu des coups de feu ou de voir un mouvement de foule, a plaidé l’avocate. Cela peut créer une sensation d'angoisse de mort imminente. Et donc, être victime, cela relève du domaine du sens et non du lieu. La victime n'a pas besoin de voir l'attentat ou d'être sur la trajectoire du camion pour se sentir en danger." À l’ouverture des débats mardi 3 janvier, l’avocat général Jean-Michel Bourlès a reconnu que "la situation est plus complexe que celle que nous imaginions au départ".
Les primo-intervenants en question
La question de l’irrecevabilité concerne également le cas des primo-intervenants. Les soignants et policiers en civil qui ont porté les tout premiers secours devraient normalement être reçus comme partie civile. En revanche, les équipes en poste dépêchées sur les lieux après l’attentat ne devraient pas l’être. "Ce serait dommage car ils en ont bavé eux aussi", souligne Alain Dariste. La justice considère en effet que le danger de mort ne pesait plus sur les personnes qui ont porté secours après l'attentat. Mais pour Me Chalus-Pénochet, la situation n’en est pourtant pas moins choquante. "La quantité de victimes et l'obligation de faire un tri entre les personnes à sauver a engendré des traumatismes. Ils se sont retrouvés en situation de médecine de guerre. Ils ne sont absolument pas préparés à ça."
Reste la question des avocats. Certains d’entre eux ont abusivement engrangé les clients, estiment certains plaignants. "Pour faire de l’argent, certains n’ont pas hésité à distribuer leur carte sur la promenade des Anglais à la recherche de nouveaux clients qui auraient subi d’éventuels préjudices. Ces démarches ont considérablement fait augmenter le nombre de parties civiles", regrette Célia Viale, qui a perdu sa mère dans l’attentat.
"Il faut dire qu’avec 250 euros perçus par un avocat de la partie civile par jour et par plaignant, cela peut devenir très intéressant sur le plan pécuniaire. Les avocats qui ont jusqu’à 300 plaignants vont gagner plusieurs millions. Des sommes indécentes qui rendent ce procès malsain à certains égards. Quand on sait que certains toucheront peu ou pas d'argent...", pointe Alain Dariste. Que ces demandes soient recevables ou non, il faudra patienter plusieurs mois avant que la cour ne délibère. Un arrêt du 24 janvier pourrait déjà donner un avant-goût de la décision.