Attaque de cargo : les rebelles houthis menacent-ils le commerce maritime mondial ?
MER ROUGE
La prise de contrôle, dimanche, du cargo Galaxy Leader est considérée par les Houthis comme le signe d’une escalade de leurs attaques contre Israël. Mais cet assaut dans l’une des zones les plus importantes du commerce maritime peut aussi avoir des conséquences pour l’économie mondiale, estiment plusieurs experts interrogés par France 24.
La capture par les Houthis du Yémen du cargo Galaxy Leader en mer Rouge représente un dangereux précédent pour le commerce maritime mondial.
C’est un nouveau front dans la guerre entre Israël et le Hamas qui s’est ouvert dimanche 19 novembre avec la saisie du navire “Galaxy Leader” par les Houthis. En s’emparant par la force du cargo, le groupe de rebelles pro-iraniens opérant au Yémen a affirmé viser les intérêts de l’État hébreu, et a donné à ce conflit une dimension maritime qu’il n’avait pas encore jusqu’à présent.
Mais pas seulement maritime pour la région. Israël a, sans surprise, appelé les Houthis à relâcher au plus vite ce navire et son équipage. Mais les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon s'en sont fait aussi l'écho. Toutes ces puissances sont concernées, à différents niveaux, par le sort de ce cargo qui transportait des voitures depuis la Turquie vers l’Inde.
Très stratégique détroit de Bab-el-Mandeb
Cet incident, qui s’est produit près du très stratégique détroit de Bab-el-Mandeb, au sud de la mer Rouge, peut potentiellement “avoir des répercussions mondiales”, souligne Jan Stockbruegger, spécialiste de la sécurité maritime à l’université de Copenhague. “Près de 57 supertankers partent tous les jours des pays du Golfe et passent à travers ce détroit pour rejoindre l’Asie. C’est donc l’un des principaux goulets d’étranglement du commerce maritime d’énergie”, souligne Antonio Gonçalves Alexandre, spécialiste portugais des relations internationales qui travaille depuis 2018 sur la sécurité maritime en mer Rouge.
Certes, l’attaque contre le Galaxy Leader entre dans le cadre très précis de la guerre entre Israël et le Hamas. Pas d’impact, a priori, sur le commerce mondial. Mais le choix du modus operandi, du navire et du lieu d’abordage raconte une autre histoire.
L’attaque d’un navire dans ces eaux “n’est pas quelque chose de fondamentalement neuf en soi”, reconnaît Danilo delle Fave, spécialiste pour l'International Team for the Study of Security (ITSS) Verona des questions de sécurité internationale, qui a travaillé sur les méthodes des guerres asymétriques des groupes soutenus par l’Iran. Les Houthis “ont déjà saisi des navires [jamais israéliens] aux larges des côtes yéménites par le passé, et l’Iran a été accusé d’utiliser des drones pour attaquer des bateaux israéliens”, énumère Danilo delle Fave.
Mais les Houthis ont décidé de passer la vitesse supérieure cette fois-ci. La spectaculaire vidéo de l’abordage du Galaxy Leader, depuis un hélicoptère, postée sur les réseaux sociaux lundi 20 novembre par les combattants yéménites “signale une intensification des attaques contre les intérêts israéliens”, assure Danilo delle Fave.
Il ne s’agit plus seulement d’envoyer des missiles vers Eilat (ville du sud d’Israël),que les défenses anti-aériennes israéliennes interceptent sans trop de difficultés jusqu’à présent. “Cette fois-ci, les Houthis démontrent qu’ils sont prêts à aller au combat physiquement”, ajoute l’expert de l’ITSS Verona.
Le type d’opération - qui mêle des éléments d’abordage maritime à d’autres propres à des attaques depuis les airs - n’a pas été choisi au hasard. “C’est la première fois que les Houthis démontrent qu’ils sont capables d’une action aussi complexe”, souligne Jan Stockbruegger. “C’est leur manière de dire qu’ils ne sont pas de simples pirates, mais ont des capacités proches d’une armée”, ajoute Danilo delle Fave.
Mille-feuilles de nationalités
Si le message est, tout d’abord, destiné à Israël, nul doute qu’il a aussi été reçu cinq sur cinq par tous les pays qui ont des navires traversant le canal de Suez et la mer Rouge, son prolongement. “La plupart des compagnies qui exploitent des cargos dans cette région du globe ont prévu de se défendre contre d’éventuelles attaques de pirates qui utilisent des petites embarcations rapides, mais ils ne pensaient pas devoir se protéger aussi contre des menaces venues du ciel”, note Jan Stockbruegger.
Surtout que l’attaque contre le Galaxy Leader démontre aussi que les Houthis ont une acceptation assez large de ce qui constitue un navire israélien. Tel Aviv a, en effet, affirmé qu’il n’y avait rien d’israélien dans ce cargo… ce qui n’est pas non plus entièrement exact.
En réalité, le Galaxy Leader bat pavillon des Bahamas, mais appartient à Ray Car Carriers, une entreprise britannique qui détient une flotte de transporteurs de voitures. Cette livraison à destination de l’Inde était, quant à elle, gérée par le géant japonais du secteur maritime Nippon Yusen (qui appartient au conglomérat Mitsubishi). C’est lui qui a engagé l’équipage très international du Galaxy Leader, composé de Bulgares, d’Ukrainiens, de Roumains ou encore de Philippins. Mais pas d’Israéliens dans le lot.
En fait le seul lien avec l’État hébreu est la maison mère de Ray Car Carriers, c’est-à-dire Ray Shipping qui appartient à Abraham Ungar, un ressortissant israélien. Ce mille-feuilles de nationalités qui coexistent au sein d’un même transporteur “est typique de la complexité du fret maritime”, souligne Jan Stockbruegger.
Pour lui, l’attaque par les Houthis contre le Galaxy Leader “va inquiéter les transporteurs du monde entier qui vont éplucher tous les documents de leurs cargos pour s’assurer qu’il n’y a pas de liens potentiels avec Israël”. Entre l’équipage, la cargaison, l’assureur ou encore le véritable propriétaire du navire, les possibilités sont nombreuses de s’attirer l’ire des rebelles houthis, visiblement prompts à sauter sur le moindre lien avec Israël.
Le commerce mondial en danger ?
À ce titre, “la saisie du Galaxy Leader peut avoir des conséquences importantes sur tout le commerce mondial parce qu’il augmente de facto le risque pour quiconque veut faire passer un navire par le canal de Suez. Un risque qui peut faire grimper les prix pour tous”, explique Basil Germond, spécialiste des questions de sécurité maritime à l’université de Lancaster.
Les assureurs ne vont, en effet, pas rester les bras croisés face à la nouvelle menace que représentent les Houthis pour le commerce maritime. “Ils peuvent prendre en compte cette menace en établissant les primes d’assurance qu’ils vont fixer pour les opérateurs de cargos amenés à traverser ce détroit”, précise Basil Germond. Une hausse des primes “qui va ensuite être répercutée sur les prix aux consommateurs partout dans le monde”, résume Jan Stockbruegger.
Reste à savoir à quel point le détournement d’un seul navire peut rendre les assureurs et autres acteurs du commerce maritime nerveux. Pour Jan Stockbruegger, l’attaque des Houthis fait planer “un élément d’incertitude sur les risques encourus par des navires qui traversent cette région. C’est ce dont les assureurs ont horreur”.
Plus optimiste, Danilo delle Fave estime que les opérateurs de cargos et les assureurs vont adopter une attitude attentiste dans l’espoir d’en savoir plus sur les intentions des Houthis. Certes, leurs déclarations sont plutôt va-t-en-guerre. Ils ont assuré qu’il s’agissait “du début de leur guerre maritime contre Israël”.
Mais il ne faut pas oublier que l’Iran, principal soutien des Houthis, a aussi son mot à dire dans l’histoire. “Téhéran n’a pas forcément intérêt à ce que le commerce maritime dans le canal de Suez soit trop perturbé car une partie du pétrole et du gaz qui y passe est à destination de la Chine, qui est l’alliée de l’Iran”, conclut Danilo delle Fave. Encore faut-il que l'Iran puisse contrôler ce nouveau théâtre d'opération militaire et que l'attaque des Houthis n'entraîne pas une dangereuse réaction en chaîne.