AFFAIRES OUBLIÉES. L'affaire Jeanne Weber, parcours d'une étrangleuse d'enfants que personne n'a essayé d'arrêter
Au début des années 1900, Jeanne Weber, surnommée l'Ogresse de la Goutte-d'Or, a assassiné gratuitement plus d'une dizaine de bébés et d'enfants. Retour sur le parcours criminel de cette tueuse en série redoutable.
C'est l'une des tueuses en série françaises les plus féroces du XXe siècle. À la fin des années 1800 et au début des années 1900, Jeanne Weber a tué de sang froid au moins dix bébés et enfants, dont deux des siens. Bien qu'elle laissait derrière elle de nombreuses traces de ses crimes, celle que la presse a surnommé l'Ogresse de la Goutte-d'Or a agi dans la plus grande impunité durant plusieurs années. Mais comment a-t-elle échappé ainsi à la police ? Quel a été le parcours criminel de cette redoutable étrangleuse ?
En 1893, Jeanne Moulinet a 34 ans lorsqu'elle épouse Jean Weber, un camionneur breton à la réputation de pochard. Le couple fonde une famille, mais ce bonheur ne tarde pas à fâner. En peu de temps, trois fillettes perdent la vie dans la famille Weber. Le 2 mars 1905, alors que Jeanne assure la garde des deux enfants de sa belle-sœur, Georgette, 18 mois, tombe soudainement malade et meurt. D'étranges stigmates sont observés sur le cou du bambin, mais le médecin conclue à une pleurésie. Peu après, la sœur de Georgette, Suzanne, 2 ans, décède à son tour, puis leur cousine Germaine, 7 mois. Cette dernière est victime d'une crise de suffocation après deux jours passés chez sa tante, Jeanne. Chose étrange, Jeanne est la dernière personne à avoir passé du temps avec les enfants avant qu'ils ne décèdent dans de mystérieuses circonstances.
Peu après, le fils de Jeanne Weber, âgé de 7 ans, est à son tour victime d'une mort subite. Chaque fois, des marques rouges sont observées sur le cou des enfants, mais Jeanne Weber n'est pas inquiétée et continue à s'en prendre aux bambins qu'elle garde. Jusqu'au 5 avril 1905. Ce jour-là, les belles-sœurs de Weber rentrent des courses lorsqu'elles tombent sur une scène d'horreur. Le visage déformé par la folie, Jeanne Weber est en train d'étrangler son neveu Maurice, âgé de 2 ans. La mère de l'enfant porte plainte, et Jeanne Weber est jugée le 29 janvier 1906 pour le meurtre de 8 enfants, dont les siens.
"L'étrangleuse d'enfants"
Dans les médias, Weber est peinte en monstre. Le Voltaire la surnomme "L'étrangleuse de Montmartre". On parle aussi de "L'étrangleuse d'enfants" ou de "L'Ogresse de la Goutte-d'Or". Mais alors que le verdict semble écrit d'avance, la justice prend une décision surréaliste. Le Dr Socquet, médecin légiste du parquet de la Seine, et Léon Thoinot, professeur de médecine légale de la faculté de Paris, estiment que les enfants sont tous morts de mort naturelle. Weber est donc acquittée. Présentée comme une innocente victime d'accusations outrageantes, elle est même réhabilitée.
Dans les mois qui suivent, plus personne n'entend parler de Jeanne Weber. Celle dont parlaient tous les médias se fait toute petite, prête, apparemment, à reconstruire sa vie sans violence. Mais est-ce vraiment le cas ? En 1907, à Châteauroux (Indre), un petit garçon est retrouvé mort dans la ferme de son père, Sylvain Bavouzet. Ce dernier a récemment recueilli une certaine Mme Glaise, et la soupçonne d'être responsable de la mort de son fils. La police manifestant peu d'intérêt pour l'affaire, Sylvain Bavouzet mène sa propre enquête. Il fait alors une découverte épouvantable : le vrai nom de Mme Glaise est Jeanne Weber, cette femme acquittée en Bretagne pour les meurtres d'enfants comme son fils. Désespéré, Bavouzet porte plainte. Mais là encore, pour une raison difficilement compréhensible, Weber n'est pas inquiétée.
Ce n'est qu'en 1908, des années après son premier meurtre, que le parcours criminel de Jeanne Weber s'achève. Employée dans une auberge de Commercy (Meuse), elle est surprise en train d'étrangler le fils du propriétaire, Marcel Poirot, dix ans, avec un mouchoir ensanglanté. "Le petit Marcel a été en effet violemment serré à la gorge avec un mouchoir, confie alors le médecin dépêché sur place au Petit Parisien. Mais auparavant, Jeanne Weber lui avait arraché la langue avec les dents ; le pauvre petit porte à la tête des ecchymoses nombreuses et il lui manque deux incisives."
Cette fois, c'est fini. Néanmoins, Jeanne échappe encore à la prison. Elle est déclarée "folle", autrement dit, pénalement irresponsable, et expédiée en décembre 1908 à l'asile de Maréville, puis à celui de Fains-Véel. Elle mourra d'une crise de néphrite le 5 juillet 1918, sans n'avoir jamais été jugée responsable de ses crimes.