AFFAIRES OUBLIÉES. L'affaire Angèle Laval, l'amoureuse vengeresse devenue premier "Corbeau" de France
Au début des années 1920, l'affaire Angèle Laval, ou affaire du corbeau de Tulle a secoué la France toute entière. Closer revient sur la naissance du premier corbeau de France...
En France, difficile de parler du "corbeau" sans penser à l'affaire Grégory. Pourtant, le persécuteur de Lépanges-sur-Vologne est loin d'être le premier à avoir défrayé la chronique. De 1917 à 1922, les habitants de Tulle, en Corrèze, ont été pris pour cible par un oiseau noir particulièrement acharné. Sur le pavé, dans les paniers des ménagères, sur les bancs des églises et jusque dans les confessionnaux, le corbeau de Tulle a distribué, en cinq ans, environ 200 missives aux quelques 13 000 Tullistes, au point de faire deux victimes.
Tout a commencé en 1917. En poste à la préfecture de Tulle, Jean-Baptiste Moury, la quarantaine, reçoit une lettre anonyme. Depuis quelques mois, l'homme fait la cour à Marie-Antoinette Fioux, une sténodactylo qu'il espère épouser tout en continuant d'entretenir une maîtresse et son enfant dont il est le père. L'expéditeur lui intime de ne pas épouser la jeune sténodactylo, et le conseille de se méfier d'une autre de ses collègues, Angèle Laval. Sans comprendre, Jean-Baptiste Moury confronte cette dernière, qui lui révèle avoir également reçu deux lettres non signées de son côté, lesquelles dressent le portrait d'un Moury "séducteur" , "goujat" et "menteur". Les deux trentenaires décident de brûler les lettres et de les oublier.
"Moi l'œil de tigre, je ne crains rien"
Mais l'œil de tigre, ainsi surnommé en référence à la couleur d'une pierre censée permettre de retourner les mauvaises ondes à l'envoyeur, ressurgit. Bientôt, la mésaventure d'Angèle et Jean-Baptiste devient coutumière et à travers Tulle, rare sont ceux qui n'ont, de près ou de loin, pas entendu parler d'une lettre ou d'une autre. Dans la ville, les rumeurs fusent et tous se méfient les uns des autres tandis que dans ses billets, l'anonyme écrit : "Moi l'œil de tigre, je ne crains rien. Ni dieu, ni le diable, ni les hommes" ou encore "Je suis le Lucifer de Tulle". Une enquête est confiée au juge d'instruction François Richard, qui jouit de sa résonnance nationale pour lancer sa carrière. Il finit néanmoins par se discréditer, après avoir organisé une séance d'hypnose sans résultat.
En 1921, tout s'enchaîne. Les lettres anonymes causent d'abord l'internement d'un huissier, Auguste Gibert, puis la mort d'un secrétaire de mairie, qui se suicide en s'accusant d'être l'œil de tigre. Mais alors que l'enquête menée par François Richard piétine, le curé de Tulle lui donne une nouvelle jeunesse. En visite chez Louise Laval, ce dernier fait la découverte d'une lettre entamée de la main d'Angèle Laval, la fille de Louise. Dans les mois qui suivent, Angèle et plusieurs autres suspects sont soumis à une dictée collective. La jeune employée de préfecture tarde à aligner les mots, ce qui met la puce à l'oreille des enquêteurs. Bientôt, Edmond Locard, inventeur de la graphométrie, comprend : destinataire d'une des premières lettres, Angèle est l'œil de tigre. Elle était en effet amoureuse de Jean-Baptiste Moury, qui l'avait quittée pour Marie-Antoinette Fioux.
L'"Œil de tigre" devient "Le Corbeau"
Peu avant son procès, Angèle Laval tente de se suicider. Elle entraîne sa mère, qui meurt noyée dans l'étang de Rufaud. Angèle, elle, est secourue par des passants. Elle est jugée du 4 au 20 décembre 1922, et condamnée à un mois de prison avec sursis, 100 francs d'amende pour diffamation et injures publiques et 200 francs d'indemnisation par la partie civile. En 1943, cette incroyable affaire inspire Henri-Georges Clouzot dans la réalisation du film Le Corbeau. Depuis, l'appellation s'est démocratisée et est utilisée dans de nombreuses affaires pour parler d'un expéditeur anonyme. Mais le premier corbeau de tous, c'était Angèle Laval. Elle est décédée en 1967.
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