Affaire Squarcini : LVMH évite des poursuites en échange d'une amende de 10 millions d'euros
Le tribunal judiciaire de Paris a validé vendredi un accord conclu avec le groupe de luxe LVMH. La multinationale a accepté de payer 10 millions d'euros pour éviter des poursuites dans l'enquête sur un système d'espionnage dans lequel serait impliqué l'ancien patron du renseignement intérieur, Bernard Squarcini.
La justice a validé, vendredi 17 décembre, un accord permettant au groupe de luxe LVMH d'éviter des poursuites dans l'enquête sur un système d'espionnage dans lequel serait impliqué l'ancien patron du renseignement intérieur Bernard Squarcini, en échange d'une amende de 10 millions d'euros.
Lors d'une audience publique, le tribunal judiciaire de Paris a homologué vendredi une convention judiciaire d'intérêt public (Cjip) conclue deux jours plus tôt entre la multinationale du milliardaire Bernard Arnault et le parquet de Paris.
En annonçant sa décision, la vice-présidente Caroline Viguier a expliqué avoir notamment tenu compte de l'"ancienneté des faits" et du "degré de coopération" du groupe de luxe "et des moyens mis en oeuvre pour éviter la réitération des faits".
Cet accord, rendu possible par la loi depuis 2016, intervient alors qu'une enquête s'intéresse depuis 2011 aux liens de l'ancien patron du renseignement intérieur Bernard Squarcini, surnommé "le Squale", avec le privé et en particulier avec LVMH.
Cette information judiciaire à tiroirs, qui révèle les liens troubles entre figures de la police, du renseignement et des intérêts privés, a été élargie en octobre 2019 après une plainte avec constitution de partie civile de François Ruffin et du journal Fakir.
Opposition de François Ruffin à cet accord
François Ruffin dénonçait la "surveillance" dont il a fait l'objet "pendant près de trois ans" par Bernard Squarcini à la demande de LVMH, lors du tournage de "Merci Patron", film satirique sur le leader mondial du luxe récompensé en 2017 du César du meilleur documentaire. Le journaliste inquiétait le groupe car il projetait de perturber des assemblées générales de la multinationale.
Lors de l'audience de validation de la Cjip, le député de la Somme a appelé la juge à "refuser" cet accord, soulignant que l'amende ne représentait que "0,02 %" du chiffre d'affaires annuel de LVMH (44,6 milliards d'euros en 2020 avec des marques comme Louis Vuitton, Dior, Givenchy, Guerlain, Hennessy ou encore Sephora).
Il a dit ne rien réclamer pour lui, mais demandait une "reconnaissance de culpabilité" de LVMH, ce qui n'est pas prévu dans une Cjip. "Ces faits-là sont révolus, ce sont des faits qui appartiennent au passé, à une autre époque, à une autre gouvernance", a appuyé Me Jacqueline Laffont, représentant vendredi LVMH avec Me Hervé Temime.
Elle a souligné qu'avec cette Cjip, l'amende désormais due par LVMH au Trésor public sous délai de trois mois est "cinq fois supérieure" à celle maximale encourue en cas d'éventuel procès correctionnel.
LVMH admet des "dysfonctionnements"
"Il n'y a pas de système institutionnalisé au sein du groupe LVMH et le groupe assume, y compris les dysfonctionnements qui ont pu avoir lieu", a assuré à la barre Jérôme Sibille, directeur administratif et juridique du groupe de luxe, qui a immédiatement renoncé à son droit de rétractation sur cette décision, la rendant définitive.
"La justice peut-elle s'acheter et pour pas cher ? La réponse est oui", a réagi François Ruffin à l'issue de l'audience. "C'est un blanc-seing pour toutes les futures affaires d'infiltration de multinationales. Il a suffi que LVMH paie pour être extrait de la procédure", a-t-il lancé.
"Le principal commanditaire de cette affaire sort par la petite porte", a regretté Me Alexandre Merdassi qui représentait François Ruffin et l'association Fakir, également partie civile, lors de l'audience. Il a estimé que ce chèque de 10 millions d'euros n'avait "aucun intérêt dissuasif".
"Le parquet de Paris estime que la procédure de Cjip est un moyen efficace de sanctionner des faits prohibés par la loi pénale et auxquels la société signataire a justifié avoir mis fin", a fait valoir la procureure de Paris Laure Beccuau dans un communiqué dans l'après-midi.
Si cette convention éteint la possibilité de poursuivre LVMH dans ce dossier une fois le paiement effectué, elle ne met pas fin aux poursuites visant les personnes physiques. Au moins neuf personnes sont désormais mises en examen dans cette information judiciaire.
Parmi elles, Bernard Squarcini l'est pour 16 délits présumés, dont le trafic d'influence, le détournement de fonds publics, ou encore la complicité d'atteinte à la vie privée et d'exercice illégal d'agent de recherches privées.
À son côté, Laurent Marcadier, un ancien magistrat de la cour d'appel de Paris qui s'était reconverti en 2013 dans la sécurité, également au sein de LVMH, est aussi poursuivi. Au tribunal, le haut dirigeant de LVMH Jérôme Sibille a indiqué qu'une procédure de rupture conventionnelle avec M. Marcadier était en cours et qu'il quitterait le groupe en janvier 2022.
Avec AFP