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Affaire Dupond-Moretti : "Un ministre de la justice mis en examen, c'est inimaginable"

Malgré une mise en examen pour prise illégale d'intérêts, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, soutenu par le gouvernement, a affirmé lundi être "plus que jamais déterminé" à rester à ses fonctions. France 24 s’est entretenu avec la présidente de l’association de lutte contre la corruption Anticor, à l’origine de ce dossier.   C'est une première en France pour un ministre de la Justice en exercice. Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a été mis en examen, vendredi 16 juillet, pour prise illégale d'intérêts. La Cour de justice de la République (CJR), seule juridiction habilitée à juger des ministres pour des infractions commises dans l'exercice de leurs fonctions, le soupçonne notamment d'avoir profité de sa position au sein du gouvernement pour régler ses comptes avec des magistrats avec qui il avait eu un contentieux en tant qu'avocat.   En septembre, le ministre de la Justice a ordonné une enquête administrative contre trois magistrats du parquet national financier (PNF) qui avait fait éplucher ses relevés téléphoniques détaillés, alors qu'il était encore avocat, dans le cadre d'une enquête visant Nicolas Sarkozy et son conseil Thierry Herzog. Dans un second dossier, il est reproché au ministre d'avoir diligenté des poursuites administratives contre un ancien juge d'instruction détaché à Monaco, Édouard Levrault, qui avait mis en examen un de ses ex-clients.  L'enquête qui vaut actuellement une mise en examen au ministre Éric Dupond-Moretti a été diligentée après les plaintes de deux syndicats de magistrats et de l'association de lutte contre la corruption Anticor. France 24 s'est entretenu avec sa présidente, Élise Van Beneden, également avocate au barreau de Paris.   Pourquoi Anticor a-t-elle porté plainte contre Éric Dupond-Moretti ?   Anticor est une association citoyenne fondée en 2002 pour lutter contre la corruption et rétablir l'éthique en politique. À ce titre, nos militants nous alertent sur des situations qui leur paraissent problématiques, nous étudions les dossiers et engageons des procédures en justice si nous estimons cela nécessaire. C'était à notre sens le cas avec le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti. En juin 2020 alors qu'il est avocat, il apprend que ses relevés téléphoniques ont été étudiés par les magistrats et dénonce des "méthodes de barbouze". Il porte plainte et la ministre de la Justice de l'époque, Nicole Belloubet, demande une enquête. Une fois nommé ministre, il reçoit le rapport d'enquête qui souligne certes des dysfonctionnements au sein du parquet national financier, mais conclut à "l'absence de faute" des magistrats. Étant lui-même impliqué dans ce dossier, donc dans une situation de conflit d'intérêt, il décide pourtant de diligenter une seconde enquête visant ces mêmes magistrats.  Il faut bien comprendre que n'importe qui peut se retrouver dans une situation de conflit d'intérêt, ce n'est pas une infraction pénale contrairement à la prise illégale d'intérêts, qui fait encourir une peine de 5 ans d'emprisonnement et de 500 000 euros d'amende. Face à cette situation, il aurait dû se déporter et renvoyer l'affaire au Premier ministre comme le prévoit la loi, car on ne peut pas conduire une mission de service public lorsqu'on a des intérêts personnels. Le même principe s'applique à la deuxième affaire concernant Édouard Levrault. D'ailleurs, le bureau du Premier ministre a publié un décret fin octobre, suite aux plaintes, pour placer officiellement les anciennes affaires d'Éric Dupond-Moretti sous le contrôle de Matignon.  Éric Dupond-Moretti se défend de toute prise illégale d'intérêts, affirmant qu'il n'a fait que "suivre les recommandations" de son administration et accuse les magistrats de "manœuvres politiques" pour lui faire quitter ses fonctions. Que vous évoquent ces arguments ?     Ces propos sont à mon sens fantaisistes, le garde des Sceaux ne délègue pas sa responsabilité. Il affirme que le bureau de déontologie des services judiciaires lui a demandé de saisir l'Inspection générale de la justice, mais qui donne des ordres ? Pourquoi le procureur François Molins aurait demandé une nouvelle enquête, comme l'a affirmé Éric Dupond-Moretti, alors que la première avait conclu à l'absence de faute ? En se posant en ministre impartial et en accusant les magistrats de lui faire la guerre, Éric Dupond-Moretti renverse les rôles. Les syndicats de magistrats défendent les intérêts de leur profession et sont en droit de déposer plainte s'ils jugent qu'une infraction pénale a été commise. Ce ne sont pas les magistrats du parquet national financier qui ont mis en examen Éric Dupond-Moretti, mais la commission d'instructionde la Cour de justice de la République. Si le garde des Sceaux bénéficie de la présomption d'innocence, l'instruction a jugé qu'il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable la commission d'une infraction. Il revient maintenant aux juges de la Cour de justice de la République, composés de 12 parlementaires et trois magistrats, de trancher dans cette affaire.  En 2017, le candidat Emmanuel Macron affirmait qu'un ministre doit quitter le gouvernement s'il est mis en examen. Or Éric Dupond-Moretti est aujourd'hui soutenu par le gouvernement et se dit "plus que jamais déterminé" à rester à son poste. Comment expliquez-vous cette bascule ?   Emmanuel Macron affirmait à l'époque que, bien que présumé innocent, un ministre mis en examen ne pouvait rester en fonction. Clairement aujourd'hui cette promesse de "gouvernement irréprochable" a du plomb dans l'aile. Il est vrai que certains ministres soupçonnés d'abus comme François Bayrou ou François de Rugy ont démissionné, sans même avoir été mis en examen, pour assurer leur défense. Mais le président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, pourtant quatrième personnage de l'État, est resté à son poste malgré une mise en examen pour prise illégale d'intérêts avec le soutien du pouvoir. Aujourd'hui la mise en examen du ministre de la Justice est inimaginable. S'il n'a pas d'obligation légale de démissionner, on peut tout de même se demander comment il peut déterminer la politique pénale de la nation en étant lui-même mis en examen ? Le choix d'Éric Dupond-Moretti, un avocat connu pour ses positions offensives vis-à-vis de la magistrature, comme garde des Sceaux était déjà un signal politique fort en termes d'équilibre des pouvoirs. Aujourd'hui en soutenant son ministre malgré sa mise en examen, le gouvernement réaffirme encore un peu plus l'ascendant du gouvernement sur la justice, quitte à décrédibiliser son action ainsi que celle du garde des Sceaux.

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